Le monde d’hier
Le monde d'hier affiche

2022

Réalisé par: Diastème

Avec: Léa Drucker, Denis Podalydès, Alban Lenoir

Film fourni par Pyramide Films

À 57 ans, Patrick Asté, plus connu sous son pseudonyme Diastème, est un homme aux multiples facettes. D’abord musicien dans un groupe de rock avant de s’essayer à la dramaturgie, l’artiste insaisissable s’attèle depuis 2008 à la réalisation de films. En seulement 4 longs métrages, qu’il scénarise tous, le cinéaste trace son sillon, met à nu l’âme rebelle et révoltée qui se cache sous ses cheveux hirsutes. 2015 marque un tournant dans sa carrière, alors qu’une polémique injuste frappe l’auteur: son oeuvre incandescente Un Français s’attire les foudres de l’extrême droite, pour avoir souligné les accointances honteuses qui règnent entre les pires des partis et le violent mouvement skinhead. Diastème n’en a que faire, et à plus d’un titre, accueille même cette flambée de haine comme une forme de reconnaissance. Si son long métrage avait été friable, nul n’y aurait porté intérêt, mais sa construction virtuose et son message parfaitement délivré met en danger l’image de personnalités en pleine dédiabolisation de façade. En renouant avec l’intrigue politique cette année avec Le monde d’hier, Diastème est donc attendu au tournant. Cependant, même si l’extrême-droite fait à nouveau partie intégrante de l’intrigue, le réalisateur n’en fait pas le moteur de son film. Plus qu’une guerre de famille politique, c’est un portrait intime que délivre l’artiste, en même temps qu’il esquisse le crépuscule effrayant d’une Vème République aux abois. Le titre de l’œuvre est d’ailleurs significatif, alors que Diastème l’emprunte au romancier Stefan Zweig, qui en 1941 livrait une autobiographie qui alertait sur la montée des régimes fascistes en Europe.

Ce Monde d’hier, version 2022, n’est néanmoins pas une fresque historique, et son intrigue s’écrit au présent. À quelques jours de la fin de sa mandature, la Présidente de la République Élisabeth de Raincy (Léa Drucker) vit ses derniers jours dans les couloirs de l’Élysée. Aux coudes à coudes avec le candidat d’extrême-droite, son successeur désigné semble en bonne place pour remporter l’élection, mais une véritable bombe s’apprête à rebattre les cartes, et risque bien de propulser le fasciste Willem (Thierry Godard) à la tête du pays. En effet, Franck L’Herbier (Denis Podalydès), le fidèle premier secrétaire de l’Élysée confie à Élisabeth l’existence d’un enregistrement accablant, incriminant le candidat de son parti, et prêt à sortir au lendemain du premier tour. Il ne reste que trois jours à la Présidente pour trouver une issue à ce dilemme, et les pires scénarios sont envisagés pour se débarrasser de Willem. Combattant un cancer qu’elle tient secret, Élisabeth doit lutter pour la sauvegarde du pays.

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Mais jusqu’où aller pour la préservation de celui-ci ? Diastème n’a pas changé son fusil d’épaule depuis Un Français, et l’écriture de Willem ne laisse place à aucun doute: son élection est synonyme de mort à court terme pour l’unité française et pour son indépendance, alors que l’enregistrement incriminant est dans les mains d’une puissance étrangère. Les quelques dialogues, relativement restreints, de ce personnage mortifère accentuent tous, sans exception, une antagonisation forte. Néanmoins, Le monde d’hier ne s’y attache que très peu et ne fait pas de lui un pivot du récit: il est la source du dilemme, mais n’en est jamais le moteur. Lui aussi n’est qu’un homme de paille parmi tant d’autres. Le long métrage se permet même de rejetter une forme de culpabilité sur Élisabeth de Raincy: si 12 millions de français sont prêts à voter pour lui, c’est avant tout parce que la présidente et son parti n’ont pas su redonner l’espoir aux citoyens, une idée dont la femme d’État à pleinement consicence. L’impression perpétuelle que la république touche à son terme ponctue l’histoire, dans une note aussi réaliste que fataliste. Face à cet ultime péril, Le monde d’hier interroge sur la juste marche à suivre: si laisser cet individu prendre le pouvoir est l’assurance d’un fascisme opprimant pour les français, le mettre à mort est-il justifié ? Son assassinat est clairement énoncé, durant les toutes premières minutes, comme l’option la plus sure. Mais dès lors, les garant de la moralité ne deviendraient ils pas eux même les pourvoyeurs de la dictature, alors que le reniement du pouvoir électoral serait clair ?

Le poids de cette responsabilité incombe à Élisabeth, et à elle seule. Diastème s’épanouit dans la mise en image d’une femme renvoyée à une extrème solitude face à la tâche impérieuse qui lui incombe. Alors que son premier secrétaire est ouvertement décrit comme le soutien fidèle de 20 ans de carrière, la querelle entre les deux personnages est forte, et le reproche fait à la Présidente de ne pas s’être représentée sonne comme un coup de semonce. L’échec est collectif, mais seul Élisabeth de Raincy apparaitra dans les livres d’Histoire comme le fer de lance d’un fascisme qui met en péril la nation. Même elle ne renie pas cette culpabilité, et se désole de n’avoir rien fait de notable de ses 5 ans de mandature: empêtrés dans les méandres législatives et les guerres de personnalités, les hommes et femmes d’idéaux se sont noyés, ont eux aussi simplement retardé un inévitable. Le monde d’hier marque toutefois, à la moitié du film, la volonté pour la Présidente de recouvrer son pouvoir: alors qu’elle était jusqu’alors face à son bureau, et qu’elle laissait même son premier secrétaire s’y asseoir, elle reprend la place qui est la sienne, et tente dans un ultime baroud d’honneur d’influencer le cours des événements, pourtant perçu comme inaltérable.

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Le monde d’hier reste cependant une histoire intime, ce que Diastème souligne en ne mettant jamais en scène la population française, exclue du récit. La fidélité politique est à de nombreux moments analogue à une romance, ayant pour principaux protagonistes Élisabeth de Raincy et Franck L’Herbier. Alors que la vie sentimentale de la Présidente est au point mort, son premier secrétaire ne trouve jamais chez son épouse le niveau de complicité tissé avec sa supérieure. Le monde d’hier se fend même d’un baiser symbolique pour unir les deux personnages, sans pour autant le rendre charnel. La symbiose est avant tout exprimée par des idées, et par une forme de dévotion dépassant l’entendement. À travers un jeu linguistique, le réalisateur témoigne encore davantage de cette dualité: variant sans cesse le “tu” et le “vous”, Franck évolue entre rapport d’affection et de respect. Pourtant, le jardin intime d’Élisabeth ne lui est pas dévoilé: sa maladie ne lui est jamais révélée, et les deux seules étreintes du film unissent la Présidente et son garde du corps, protecteur taiseux.

Bien que l’électorat ne soit jamais représenté, Le Monde d’hier évoque subtilement la responsabilité de la classe politique envers les générations futures. Alors que le film ne fait jamais étalage de quelconque mesure ayant marquée le mandat d’Élisabeth un ultime échange téléphonique avec son homologue allemand apparait comme la dernière tentative d’une femme en perdition pour préserver l’avenir, alors que leur discussion porte sur une loi liée à l’environement, que la présidente souhaite présenter au parlement européen. Plus implicitement, la fille de la femme d’État incarne cette jeunesse laissée pour compte des décisions politiques. Leur rapport ne se fait initialement qu’à distance, et Élisabeth ne semble pas percevoir le tourment de la jeune adolescente, livrée à ses angoisses. Leur relation est palpable, mais friable et fragile. En proie à une série de cauchemars, la fille de la Présidente est rudoyée: les rêves ne sont rien, ils n’ont aucun sens. Pourtant, ce sont les rêves d’un lendemain meilleur qui ont été un temps la base de l’engagement d’Élisabeth de Raincy, aujourd’hui déconnecté de cette réalité.

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Seule la mort apparaît comme un refuge concret, un repos imperturbable. Le monde d’hier laisse une grande place à ses dialogues foisonnants, sauf lors des séances de chimiothérapie secrètes de la Présidente. Durant quelques secondes, le film respire, laisse place à quelques secondes planantes où le silence se fait. Le reste du temps, dormir est toujours interrompu par les événements les plus tragiques, jusqu’à ce qu’à bout de force, Élisabeth finisse par s’effondrer sur les pelouse de l’Élysée. Diastème enrobe cette idée d’une imagerie de conte gothique, selon son propre aveu. Si la reconstitution du palais présidentiel insuffle déjà ce parfum, son jeu de lumière, souvent des chandelles, évoque quant à lui La belle et la bête de Jean Cocteau. La princesse est seule dans son palais, et les sauvages sont prêts à tout pour s’emparer du trône.

Le monde d’hier mêle efficacement thriller politique et drame humain, dans un film originalement intimiste, où l’être est dépassé par la fonction qui lui incombe.

Le monde d’hier est disponible chez Pyramide Films dans une édition comprenant:

  • Un entretien avec Diastème
  • Une bande annonce

Nicolas Marquis

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