Egō
Ego affiche

2022

Réalisé par : Hanna Bergholm

Avec : Siiri Solalinna, Sophia Heikkilä, Jani Volanen

Film fourni par Jokers Films

Tinja est une adolescente de 12 ans à la vie parfaite, gymnaste, vivant dans une belle maison, entourée de belles choses… du moins est-ce ce que la caméra de sa mère toujours fixée sur elle et le reste de la famille voudrait bien faire croire. Mais l’adolescente obéissant aux exigences de sa mère n’a pas d’amis ni de loisirs en dehors de la gymnastique et des exercices physiques qui occupent tout son temps et son esprit. Lorsqu’un corbeau pénètre dans le salon parfait de la petite famille, il brise tous les objets qui composent la décoration de la pièce provoquant la colère de la mère. Celle-ci ne parvient à chasser de son esprit l’oiseau dont sa mère a si sèchement brisé la nuque. Retrouvant un œuf que l’oiseau aurait pondu avant de mourir, l’adolescente le cache dans son lit et le nourrit de ses larmes et de son sang…

Très vite, la réalisatrice Hanna Bergholm nous plonge dans une atmosphère de conte de fées avec les couleurs pâles, allant du rosé au bleuté, le chant entonné d’abord sur des arbres puis par une mère et sa fille ensemble, le papier peint rosé qui fait penser à une maison de poupée, les roses poussant dans le jardin où sera jeté le corps de l’oiseau, la présence d’un corbeau, créature de conte de fées toujours lié aux sortilèges et aux sorcières, la maison au milieu d’une forêt paraissant hanté, et puis, bien sûr, la mère possessive qui n’est pas sans rappeler la belle-mère de blanche neige, enfermée dans une obsession pour son passé de sportive perdu, vivant à travers sa fille son glorieux passé à jamais disparu dans une blessure à la cuisse dont elle porte cruellement les marques.

Mais le conte de fées a aussi des échos réalistes. La perfection de cette maison, de cette vie en apparence, et l’attitude de la mère particulièrement font penser à ces influenceuses qui ne vivent que pour la perfection fantasmée qu’elles se construisent en ligne. La mère de Tinja est totalement enfermée dans ce prisme et fait subir à toute sa famille ses obsessions de beauté et d’apparence. Il faut toujours sourire sous l’œil de la caméra. Dès lors, le conte de fées paraît être une métaphore pour parler de cette quête obsessionnelle de perfection, du moins, d’image de perfection qui cache des relations glacées et superficielles à la fausseté cruelle, particulièrement pour des enfants.

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Cette étrangeté se retrouve dans l’image et la mise en scène, où tout est parfaitement cadré, calibré, les sourires figés, les couleurs chaudes masquant la froideur glacée des rapports instaurés entre chacun des personnages. Il y a un aspect « faux » en particulier dans les plans sur le quartier pavillonnaire qui n’est pas sans rappeler des films comme The Truman Show ou encore Les femmes de Stepford où les fausses apparences cachent, quasiment toujours, un noir secret. Une séquence de jardinage vous fera même songer à Blue Velvet, qui lui aussi explorait la noirceur cachée sous les beaux quartiers résidentiels.

Aussi, quand le fantastique et l’horreur s’invitent, c’est presque un soulagement de constater qu’enfin, il y a une chance pour que les apparences soient brisées et que Tinja se libère de cette vie qui ne lui convient pas. Mais bien sûr, comme dans les contes de fées, les monstres ne sont rarement là pour nous aider, ils ne font que nous montrer le reflet distordu d’une réalité qu’on voudrait bien continuer à se cacher à soi-même.

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Au-delà des problématiques dans sa vie, la mainmise de sa mère sur la sienne, il y a aussi toutes les obsessions de l’adolescence que le film explore, et ce, en mélangeant parfaitement l’inquiétante étrangeté baignant les contes de fées modernes que les romans gothiques qui ont dû également inspirer la réalisatrice. Certaines séquences, de par leur mise en scène autant que par ce qu’elles racontent, nous font également penser à Suspiria ou encore à Les yeux sans visage. Bien sûr, pas uniquement dans le fantastique, mais également dans le rapport entre l’héroïne et ses camarades du même âge avec qui elle peine à nouer des liens.

Egō est le premier long métrage de Hana Bergholm qui s’est fait connaître avec son dernier court métrage Puppet Master qui a remporté des prix notamment à Fantasia. Pour une première réalisation, elle est maîtrisée. L’image photographiée par Jarkko T. Laine (Star Boys, Mother of Mine) est très belle, avec une lumière très travaillée allant chercher cette perfection qu’explore le film. On peut également saluer le travail de Connor O’Sullivan  qui est en charge des effets spéciaux particulièrement maîtrisés qui rendent certaines scènes fascinantes aussi bien qu’effrayantes.

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Pour appuyer le propos, il fallait évidemment un bon jeu d’acteurs. Siiri Solalinna qui incarne la jeune Tinja est vraiment touchante. Sa prestation est d’autant plus à saluer que la jeune actrice a seulement 12ans, comme son personnage. L’intensité de son jeu à un si jeune âge est assez frappante, tout autant que la difficulté de ce qu’elle a à jouer. Face à elle, Sophia Heikkilä qui joue sa mère est tout aussi incroyable. Elle parvient très bien à jouer cette perfection glacée et même à nous faire frissonner par de simples gestes ou paroles glaçantes.

Il n’est dès lors, guère étonnant que le film ait remporté le premier prix à Gérardmer durant l’édition 2022. Ce nouveau film d’horreur venu du nord semble confirmer l’existence d’un cinéma de genre de qualité dans ces pays. En effet, en 2021, The Innocents de Eskill Vogt remportait le grand prix de l’Étrange Festival, jouant déjà sur l’horreur et l’enfance. Même si Goodnight Mommy est autrichien, le masque que porte le petit frère de Tinja n’est pas sans rappeler celui que portaient les jumeaux dans ce film qui avait remporté le grand prix à Gérardmer durant l’édition de 2014. En somme, le film semble appartenir à une vague de films venus du froid réveillant un peu le cinéma de genre européen.

Ego est édité par The Jokers.

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