L’arnaque

(The Sting)

1973

Réalisé par: George Roy Hill

Avec: Paul Newman, Robert Redford, Robert Shaw

Sorti en 1973, “L’arnaque” reste à ce jour l’un des films du cinéaste George Roy Hill les plus emblématiques de sa carrière. S’y replonger, c’est parcourir le testament que nous a laissé un auteur à part, apte à marier cinéma de divertissement et exigence dans l’écriture. Un style fluide et d’apparence simple mais qui demande une précision absolue pour ne pas sombrer dans l’oubli. “L’arnaque” possède cette force fédératrice qui émerveille chaque spectateur, cette notion de quasi-perfection qui fait de ce long métrage un des sommets du film d’escroquerie, souvent imité et rarement égalé encore aujourd’hui. Ne boudons pas notre plaisir et laissons nous doucement mener par le bout du nez par un grand maître du 7ème art.

Hooker (Robert Redford) est un arnaqueur un peu minable mais talentueux qui vit de petites combines aux dépens de ceux qu’il piège. Le jour où notre héros s’attaque à un plus gros poisson, les conséquences sont terribles et Hooker est contraint de prendre la fuite. Il trouve refuge auprès de Henry Gondorff (Paul Newman), un voyou plus expérimenté que lui et ensemble ils vont préparer la vengeance de Hooker sous la forme d’une gigantesque mise en scène visant à dépouiller le riche bourreau du plus jeune magouilleur.

C’est sur un ton volontairement très malicieux que George Roy Hill va dérouler le scénario élaboré par David S. Ward. On connaît le côté facétieux du cinéaste, parfois presque enfantin, et cette espièglerie va totalement vampiriser la pellicule pour lui donner une couleur particulière. “L’arnaque” n’est pas à proprement parler une comédie et pourtant on s’y sent bien, un petit sourire aux lèvres permanent se dessinant même sur nos visages à chaque virgule musicale enjouée. George Roy Hill réussit à nous communiquer un peu de sa légèreté: on sent que toute l’équipe prend du plaisir à tourner et cet esprit de groupe soudé va porter habillement la proposition filmique.

C’est d’ailleurs un casting qu’on connaît bien qui va performer à l’écran. 4 ans après “Butch Cassidy et le Kid”, George Roy Hill réunit à nouveau Robert Redford et Paul Newman. L’alchimie solide qui unissait les deux acteurs dans le western culte n’a rien perdu de sa magie. Beaucoup plus verbeux, porteur d’une véritable science de la réplique qui fait mouche, “L’arnaque” offre presque à nos deux truands du jour un terrain de jeu plus libre. Le passage de relais générationnel entre les comédiens s’opère à nouveau alors que Paul Newman prend presque la posture d’un père à l’écran pour Robert Redford.

« Attention, nœud pap’! On rigole plus. »

Ceci dit, jamais ces deux monstres sacrés du cinéma ne vont parasiter le film, préférant le tirer vers le haut: “L’arnaque” c’est avant tout un long métrage ludique où la beauté du geste est essentielle. Le plan des deux complices est le plus grandiose possible, la mise en scène savamment orchestrée, les surprises nombreuses et c’est avec un plaisir presque sadique qu’on voit l’étau se resserrer sur la victime de la combine. On est autant pris au piège que l’antagoniste du film et on en redemande. L’œuvre porte en elle la force de ces récits qui nous entourloupe avec délice, semblable à un cheminement de dominos qui basculeraient enfin après un long assemblage.

George Roy Hill va d’ailleurs parfaitement maîtriser le tempo de son film pour perpétuellement prendre un coup d’avance sur le spectateur. C’est un jeu qui s’instaure entre le cinéaste qui distille chaque élément clé au compte goutte et le public en quête de réponses. “L’arnaque” est une énigme, un long métrage qui invite son audience à chercher comment les héros vont arriver à leurs fins pour mieux constater que George Roy Hill nous mène totalement en bateau. À peu de choses près, l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui pourrait se rapprocher d’un polar: la volonté d’enquêter et la maîtrise d’une forme de suspense léger mais présent sont proches des sentiments qu’on éprouve devant un bon film policier.

Toutefois, il ne va jamais cesser d’émaner une douce chaleur autour de “L’arnaque”, peut être parce que le long métrage porte un regard plein d’empathie sur ses héros pourtant voyous invétérés. On avance l’équipe d’arnaqueurs presque comme une famille, ou tout du moins une bande pas seulement unie par un but commun mais également par un code de l’honneur implicite. Il règne une franche camaraderie chez ces bandits, un lien indéfectible qui invite le spectateur à s’impliquer émotionnellement pour mieux adopter cette assemblée de hors-la-loi charismatiques.

En conséquence, l’argent prend un aspect différent de ce qu’on éprouve chaque jour. Là où le commun des mortels emmagasine des richesses pour assouvir son besoin de confort, c’est ici avant tout une échelle de mesure de l’arnaque que semblent être les billets de banques. Finalement, le magot importe peu pour ces hommes, ils sont portés par leurs principes et la volonté de réussir le plus gros coup possible, presque par défi et pour la gloire. Un constat qui va de paire avec des figures d’autorités habituelles qui apparaissent ici inversées: on s’attache aux voyous, on maudit la police et les riches entrepreneurs. Sans vraiment vous en rendre compte, George Roy Hill a totalement renversé vos repères pour vous en proposer des nouveaux diamétralement opposés dans une adhésion totale à la quête de Hooker et Gondorff.

Probablement un des films les plus emblématiques de George Roy Hill, “L’arnaque” constitue une sorte d’idéal du cinéma d’escroquerie, véritable porte étendard de ce sous-genre.

Nicolas Marquis

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