Nomadland

2021

Réalisé par: Chloé Zhao

Avec: Frances McDormand, David Strathairn, Linda May

À force de films, de séries, de livres et autres voyages culturels de toutes sortes, on se sent tous un peu américain. Le pays de l’oncle Sam semble proche de nous, et son hégémonie sur le monde du cinéma grand public renforce ce sentiment. Pourtant, l’image qu’on reçoit des USA reste souvent fantasmée, loin du quotidien des “États-Unis bis”, ceux des désoeuvrés. Qu’en est-il donc de la vie de ceux qui n’ont plus rien après avoir souvent tout perdu?

C’est dans cette exploration sociologique que nous entraîne Chloé Zhao en suivant le parcours des nouveaux nomades, ces américains qui vivent dans des camionnettes de fortune et qui sillonnent le pays en quête de petits boulots saisonniers. Une vie faite de précarité, de débrouille mais aussi de rencontres. D’ailleurs, à l’exception de Frances McDormand qui tient le rôle principal, celui d’une veuve enfermée dans ce destin d’errance, la cinéaste met en scène de vrais ermites plutôt que des acteurs chevronnés dans les rôles secondaires, preuve d’une certaine authenticité. 

Ce sont donc de véritables tranches de vie de ces marginaux, des oubliés, que nous propose “Nomadland”, des instantanés du quotidien parfois assemblés assez trivialement dans un montage en douceur qui porte la narration. Faire l’expérience “Nomadland”, c’est accepter de se perdre dans les méandres de ces existences singulières. Au détour d’un dialogue, le long métrage va faire un parallèle intriguant entre les premiers colons américains et ces nomades: une réflexion qui sonne volontairement faux, les premiers cherchant à établir leur maison sur leur lopin de terre, les seconds faisant le chemin inverse, du sédentarisme au vagabondage.

En réduisant les possessions des personnages au strict minimum, le film propose également implicitement un retour à la valeur des choses. Dans cette pauvreté éprouvante, on recycle, on répare, on bricole, et une simple assiette devient un trésor. De quoi mettre en accusation le consumérisme et la course folle aux dollars qui caractérise une portion significative de la population américaine, des compatriotes qui préfèrent fermer les yeux. Pourtant, le message politique de Chloé Zhao n’est jamais forcé: “Nomadland” ne construit pas une critique de la société, il l’est par nature, logiquement.

« Pas vraiment la jungle urbaine. »

Toutefois, cette vie de bohème représente également une fuite pour le personnage de Frances McDormand. Aussi contrainte soit sa situation, c’est un protagoniste solitaire qui s’affirme, une femme qui ne s’attache que très peu aux gens malgré sa douceur. Son périple est rythmé par les gens qui traversent sa vie mais il subsiste un sentiment de solitude assez frappant.

Un personnage qui jouit par ailleurs d’une interprétation sans faille de Frances McDormand. Son physique est légèrement transformé, ses traits plus creusés, et chacune de ses tirades (peu nombreuses au final) est frappée du sceau de la sincérité. Un jeu d’actrice moins exubérant que ce que la comédienne propose d’ordinaire, beaucoup plus dans la subtilité. Frances McDormand reste une valeur sûre, un gage de qualité.

Visuellement, ce sont les décors qui nous ont hypnotisés. Point de building ou de métropole fourmillante de vie. Non, ce sont ici les paysages les plus désertiques de l’Amérique qui sont mis en valeur. Un sentiment étrange s’en dégage, la sensation qu’on vit dans un cadre apocalyptique qui appuie encore plus la détresse des nomades. Il subsiste durablement dans nos esprits l’image de Frances McDormand seule face à l’immensité, dernier rempart avant le vide.

Malheureusement, cette proposition faite d’errances porte en elle une certaine forme de limite dans l’impact. Une lassitude se dégage de la pellicule, l’impression de tourner parfois en rond (peut-être volontairement) fait perdre du poids à une œuvre pourtant pleine de vérités indispensables à entendre. À vouloir être parfois trop planant, “Nomadland” perd de vue sa mission, même s’il finit toujours par retomber sur ses pattes.

C’est une image nouvelle des USA qu’on découvre dans “Nomadland”. Un témoignage des oubliés de l’ultra-libéralisme rempli d’empathie pour ces nouveaux hermites.

Nicolas Marquis

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