CODA
CODA

2021

Réalisé par: Siân Heder

Avec: Emilia Jones, Marlee Matlin, Troy Kotsur

Film vu par nos propres moyens

En 2014, un petit phénomène cinématographique envahissait les écrans français et se nichait dans les cœurs attendris des spectateurs mais aussi de la critique: La famille Bélier. Pourtant franchement loin d’être exempt de tous reproches, le film de Eric Lartigau avait su séduire, au point d’imposer sa présence aux Césars, pour une fois en accord avec les aspirations du grand public. Il n’en fallait pas plus pour que les États-Unis remarque le long métrage et lui applique l’implacable loi du remake américain, par l’intermédiaire d’Apple TV+, nous livrant ainsi CODA. Aux bons souvenirs de vos cours de flûte à bec du collège, vous vous rappelez peut être que ce mot décrit un élément de composition musicale, mais les majuscules avec lesquels Sian Heder inscrit l’intitulé de son long métrage convoque également un acronyme signifiant “Children Of Deaf Adult”, comprenez par là “enfant de parents sourds”. Un astucieux titre qui restera malheureusement la seule idée véritablement originale de ce mélodrame dirigiste et ennuyeux.

CODA restitue le parcours de Ruby (Emilia Jones), une adolescente seule membre de sa famille de pêcheurs n’étant pas malentendante. Partagée entre son quotidien de jeune femme et ses obligations envers sa lignée, servant à la fois de main-d’oeuvre sur l’humble bateau de son père et d’interprete du langage des signes pour ses parents dans les moments les plus intimes, notre héroïne subit les quolibets détestables de ses camarades de classe. Mais Ruby a une passion secrète: elle est férue de chant et possède un véritable don artistique qui pourrait bien lui offrir un cursus universitaire inespéré. Tout le dilemme du film naît donc de ce choix impossible entre épanouissement personnel et devoir familial.

Mauvaise partition

En faisant de la musique une thématique centrale de son œuvre, Sian Heder s’expose à un double jugement. Au terme du long métrage, le spectateur n’évalue pas seulement les forces cinématographiques de CODA, mais peut être surtout la façon dont sont restituées les mélodies. Comme frappée par les maux de son époque, la réalisatrice met en scène des interprétations sans naturel ni pureté. Remplacer Michel Sardou par des standards américains plus séduisants aurait dû nous conquérir, mais on grince effroyablement des dents à entendre Emilia Jones polluer les classiques de Marvin Gaye ou de David Bowie par ses vibratos factices. CODA prend très régulièrement des airs de Star Ac’ à peine voilée et il règne une profonde ironie à voir un personnage se moquer de Glee alors que le film en copie très souvent les mêmes élans détestables.

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Une comparaison qui ne s’arrête malheureusement pas uniquement à la musique. Les interactions entre Ruby et les autres jeunes de son âge apparaissent caricaturales au possible. Les adolescents sont parfois cruels dans notre monde, nul ne le conteste, mais CODA accentue cette idée à l’extrême en tentant de condenser trop fortement une source du mal-être de l’héroïne. Sian Heder ne fait pas preuve de plus de subtilité dans la mise en scène des amitiés et des amours de Ruby. Si la psyché de sa copine la plus proche est réduite à peau de chagrin et n’est là que pour la bouffonade, c’est surtout dans l’intrigue sentimentale complètement téléphonée avec Miles qu’on éprouve ce sentiment négatif le plus vivement.

Sosie lourdingue

Il plane en vérité un sentiment de paresse totale sur le film que nous offre Sian Heder. En termes de réalisation pure, la cinéaste semble démissionner de son rôle, s’appuyant tout au mieux sur de brèves fulgurances de mise en scène le plus souvent héritées d’autres cadors du film musical. CODA ne semble jamais qu’à quelques encablures d’un sous-Dirty Dancing (c’est dire…), reposant sur une alternance de pathos et d’imagerie proche du téléfilm. C’est d’ailleurs principalement du monde de la télévision que provient Sian Heder et la transformation ne s’opère pas. On peut également rajouter à toutes ses facilités horripilantes notre point de vue très français au moment de constater que CODA ne fait copier La famille Bélier jusque dans ses scènes les plus anecdotiques: Ctrl-C, Ctrl-V, Imprimer scénario.

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Comme une cerise amère sur un gâteau fade, les tentatives d’humour ne font jamais réellement mouche. Ici une blague sur un pet, là une saillie sur les relations sexuelles, ou encore les maladies qui peuvent en découler… À force de se croire drôle, CODA n’a pas conscience qu’il sacrifie toute tension dramatique intéressante sur l’autel du rire gras, sans raison apparente. Pire, le film pourrait paraître offensant par moments pour les gens qui souffrent de surdité à force de jouer la carte de la comédie potache pour donner un rythme artificiel à son scénario bien famélique.

L’âge adulte

Dans ces circonstances, comment expliquer que CODA réussissent pourtant à séduire le public américain, tout comme La famille Bélier avait convaincue les français? Il y a une strate du récit qui se fait touchante malgré tout ce qu’on pourra reprocher à l’œuvre, dans le dilemme que Ruby éprouve à devoir délaisser sa famille. Là, Sian Heder atteint quelque chose de profond, une vision de l’isolement des personnes en situation de handicap qui est incontestablement romancé mais qui met en lumière un tort de notre société moderne. À voir l’héroïne se démener de partout et vivre son existence au gré des péripéties familiales, on comprend que sa jeunesse lui est volée. Quand bien même cet élan est parasité par les tâtonnements de mise en scène, son message est louable et souligne le manque d’inclusion de notre monde.

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Sian Heder va même plus loin dans sa démarche et fait le choix de faire appel à des acteurs véritablement malentendants pour jouer dans son film. Une bonne volonté que La famille Bélier n’avait pas et qui semble tout à fait cohérente avec le message du long métrage. Malheureusement leurs rôles sont taillés à la serpe: il est bien difficile d’admettre les protagonistes adultes de CODA tant ils semblent par moment profondément égoïstes. Oui, l’axe principal du film est le dilemme de Ruby, mais était il nécessaire de l’exacerber par un entourage parfois toxique? Juste un peu de naturel semblait suffisant.

CODA est disponible sur Apple TV+

CODA a tout du remake robotique et ne réussit jamais à offrir de la sincérité dans son propos, malgré une thématique naturellement pleine d’émotions. Un acte manqué.

Nicolas Marquis

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