La captive aux yeux clairs

(The Big Sky)

1952

réalisé par: Howard Hawks

avec: Kirk DouglasDewey MartinElizabeth Threatt

Aujourd’hui, on va vous demander un petit effort: celui de se replacer dans le contexte de l’époque pour mieux apprécier une œuvre. On s’accroche donc à son fauteuil et on voyage dans le temps, très loin, jusqu’en 1952. À l’époque, Hollywood affirme déjà une certaine domination culturelle et le cinéma qui est encore tout jeune pose les codes de genres qui vont perdurer. Parmi eux, on trouve le western et par extension le film d’aventure qui connaît déjà un succès immense. Si on vous demande de vous replonger dans les années 50, c’est parce que le film qui nous intéresse, “La captive aux yeux clairs” de Howard Hawks, va porter avec un certain brio tout un tas d’éléments scénaristiques et visuels qui sont toujours d’actualité, faisant de lui un petit morceau de l’Histoire du cinéma.

En route pour l’Amérique où nous accompagnons Jim et Boone (Kirk Douglas et Dewey Martin) qui embarquent à bord d’un bateau qui va remonter le fleuve Mississippi vers le territoire des indiens “Pieds Noirs”. Les natifs américains sont hostiles à l’arrivée des colons mais pour commercer avec eux, le capitaine du navire va accueillir à son bord une princesse égarée de la tribu pour la ramener à son village natal et ainsi établir un lien de confiance. Mais le périple est semé d’embûches et des colons jaloux ainsi que d’autres tribus indiennes vont mettre en péril le parcours du rafiot et de son équipage. On y va donc avec générosité pour tous les éléments usuels du western: les affrontements, les indiens, les plaines sauvages, les villes faites d’habitations de bois… Tout dans “La captive aux yeux clairs” sent l’époque de la colonisation américaine comme le cinéma la restitue traditionnellement.

Enfin « traditionnellement », pas si sûr! Les natifs américains sont souvent dépeints comme des antagonistes un peu idiots alors qu’on sait aujourd’hui que c’est un véritable génocide que leur ont infligé les peuples venus d’Europe. Dans “La captive aux yeux clairs”, Howard Hawks semble vouloir tendre vers une représentation plus fidèle. Alors clairement, tout n’est pas parfait, loin de là: le cinéaste impose par exemple en personnage secondaire important un autochtone un peu limité mentalement et en dehors des “Pieds Noirs”, les autres indiens sont des personnages foncièrement mauvais et très marqués dans ce sens. Mais quand même, lorsque le réalisateur nous propose un personnage de femme forte à travers la prisonnière du navire (Elizabeth Threatt), traitée presque comme une marchandise, ou quand il montre l’instrumentalisation de certaines tribus par les européens, Howard Hawks n’a pas peur de chambouler un peu les conventions pour faire moins de concessions.

« Tire sur mon doigt… »

Le cinéaste va d’ailleurs venir bousculer l’un des fondements des USA: l’esprit d’entreprise. La quête du dollar est omniprésente dans “La captive aux yeux clairs” et la concurrence entre les marchands apparaît d’une violence totale. Les grandes corporations sont prêtes à tout pour mettre à mal le projet de nos marins, y compris sortir les fusils s’il le faut. Howard Hawks propose sous le déguisement du western une vision différente d’un pilier de l’Amérique. Il appuie aussi son côté multiculturel, un assemblage de toutes les origines alors qu’on parle anglais, français et dialectes indiens dans le film. Il n’y a pas une seule nation dans l’œuvre mais plutôt un maillage complexe de diverses provenances.

En toile de fond, un pays dangereux où la nature prend son dû à la moindre erreur, comme lorsque le personnage de Kirk Douglas perd un doigt après un accident. Howard Hawks respecte l’esprit de cette terre sauvage à travers quelques jolis plans qui opposent souvent l’homme aux éléments, tels ces scènes où les marins tentent de tirer le bateau à l’aide d’une simple corde. À travers quelques plans larges, il avance également de belles idées visuelles, notamment quand il prend de la distance avec ses personnages pour en faire des figures iconiques. Certes, le film est ponctué de quelques raccords foireux mais il est là aussi l’effort de contextualisation, dans le pardon qu’on accorde à certaines errances.

La captive aux yeux clairs” est d’ailleurs bourré d’ambition pour peu qu’on se replace dans les années 50. Au-delà des panoramas sur les terres sauvages, il y a du travail dans certains décors (on pense surtout à la ville de Saint-Louis reconstituée) et dans les rebonds du film. Embarquer toute une équipe de tournage pour filmer un bateau mis à mal régulièrement est presque démesuré pour l’époque et permet au film de traverser les âges dans le registre de l’aventure.

Avec ce navire qui remonte inlassablement le fleuve, le cinéaste propose un fil scénaristique clair: deux personnages principaux partis de rien, dont la destination est d’entrée installée, épaulés par un personnage de trappeur vieillissant (Arthur Hunnicutt) qui interpelle. À travers ses histoires, il est le garant de l’âme de ces contrées sauvages, celui qui brille par son expérience et qui met en garde: un véritable guide dans les faits, mais aussi plus spirituellement.

La captive aux yeux clairs” est imparfait dans sa forme et son fond mais il est également bourré de bonnes intentions et d’idées intéressantes pour l’époque qui le rendent encore très pertinent aujourd’hui.

Nicolas Marquis

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