Gloria

1980

Réalisé par: John Cassavetes

Avec: Gena Rowlands, John Adams, Julie Carmen, Buck Henry

Film fourni par Wild Side

S’il y a un artiste qui incarne parfaitement l’esprit du cinéma indépendant, c’est bien John Cassavetes. Durant toute sa carrière, son travail ainsi que ses sacrifices personnels et financiers lui ont permis de surmonter les épreuves pour proposer des films sans concessions, au service de grandes causes, comme la lutte contre le racisme. Il traitera également de relations humaines notamment au sein du couple. La télévision et le théâtre lui ont donné le goût de la réalisation et de la direction d’acteur , et lui ont permis de découvrir de sa muse, Gena Rowlands, qui l’encourage tout au long de sa carrière. Gloria représente un film à part dans la filmographie du réalisateur. Cassavetes n’aime pas travailler avec les grands studios hollywoodiens qui l’empêchent d’avoir le contrôle total de son œuvre. A la suite de problèmes financiers, il accepte d’écrire et de réaliser ce film, racontant l’histoire d’une femme devant protéger un jeune garçon recherché par des criminels, suite au meurtre de sa famille. Barbra Streisand est pressentie pour incarner Gloria, mais elle décline, offrant ainsi à Gena Rowlands, l’épouse du metteur en scène, l’un de ses plus beaux rôles.

Le travail de studio

Travailler pour un studio comme Columbia impose de faire des compromis, ce qui est dur pour le réalisateur. Fonctionnant comme un jazzman, il a l’habitude de beaucoup improviser, en se nourrissant des idées et du travail de son équipe pour en faire jaillir une œuvre cinématographique, à l’image d’un groupe de musique composant un tube. Le résultat donne des films qui tentent différentes techniques  pour aboutir à un rendu à la fois très engagé et réaliste. Une formule qu’il applique depuis son premier long-métrage, Shadows, mettant en scène la lutte pour les droits civiques des personnes afro-américaines. Gloria ne suit pas la méthode de travail de John Cassavetes. Son film est écrit, son tournage classique est bien préparé et pourtant, le réalisateur livre une œuvre qui lui ressemble, bien qu’au départ il n’y crût pas.

© 1980 Columbia Pictures Industries, Inc. Tous droits réservés

Le film est une fuite en avant, marquée par l’agitation et les sentiments de ses personnages. Si Sidney Lumet, dans son remake, emploie la ville comme le terrifiant théâtre de l’intrigue, Cassavetes met en avant les corps, une fois de plus. La foule avançant sur les personnages comme une vague menaçant de les submerger renvoie au spectateur une impression d’oppression et de terreur. N’importe quel danger peut surgir d’une marée humaine sans que Gloria ne puisse rien faire. La caméra suit en permanence les protagonistes, ne s’éloignant que très rarement pour nous offrir un aperçu géographique de leur avancée. La peur et le stress omniprésents se devinent sur le visage de Gloria, même lorsqu’elle essaye de nous le cacher en portant ses lunettes de soleil. Cassavetes joue en permanence avec ses acteurs, les poussant à bout. Sur le tournage, il se disputait beaucoup avec Gena Rowlands pour qu’elle soit à fleur de peau et offrir ainsi le jeu le plus réaliste possible. Le regard de la caméra se fait plus doux lorsqu’il est posé sur le petit garçon. Le spectateur est triste pour cet enfant qui semble perdu, sans vraiment comprendre les enjeux qu’il doit affronter par la faute de son père.

La mise en scène suit des héros perdus dans un labyrinthe qu’ils tentent de quitter. Ce sentiment est accentué par certains cadres qui prennent au piège les personnages en bouchant toutes portes de sortie, grâce aux décors ou bien encore par l’utilisation de gros plans. Gloria est principalement touchée, permettant ainsi de comprendre qu’elle ne peut échapper à son rôle de gardienne, ainsi qu’aux criminels. C’est dans l’utilisation de la caméra que Cassavetes permet à son audience de retrouver son côté mélomane. Tout le film est une suite d’émotions jouant les unes avec les autres pour couper le souffle au spectateur et le pousser à prendre part à l’action. L’envie que Gloria et Phil, l’enfant, s’en sortent est intense.

La partition de Bill Conti complète parfaitement la réalisation. Elle offre un mélange de styles : du jazz, de la musique latine, et de la musique plus classique dans ce type de film. Elles traduisent le drame, le stress mais aussi le mélange culturel que représente la ville.

© 1980 Columbia Pictures Industries, Inc. Tous droits réservés

Bien que le film soit classique dans sa structure, pour plaire aux critères des studios, Cassavetes réussit à parler de l’aspect social. New York est un melting-pot qui rassemble des personnes de tous horizons, et de tous les milieux. Le film se concentre sur une famille vivant dans un quartier pauvre où lorsque l’on est pas du bon côté du pont, on tombe rapidement dans l’illégalité en voulant survivre. Quand Gloria prend la fuite avec le petit garçon, elle ne peut demander l’aide de personne par manque de confiance. De plus, à aucun moment la police ne représente une menace pour l’enfant et elle. Résoudre le meurtre d’une famille d’origine hispanique dans un quartier pauvre et rechercher la femme qui aurait enlevé un enfant n’est pas la priorité des forces de l’ordre. Cassavetes aborde les inégalités sociales aux États-Unis et comment certains se retrouvent totalement abandonnés par les autorités et le gouvernement.

Un beau portrait de femme

L’autre point fort du film, en dehors de sa réalisation, c’est Gena Rowlands. Elle apporte un côté lumineux et une grande force. C’est un magnifique personnage féminin qui n’a pas besoin de parler pour partager avec le spectateur sa puissance mais aussi ses doutes et ses peurs. Le désir de l’actrice était que l’on sente le vécu de Gloria. Pour rester dans le personnage et ainsi offrir la performance la plus juste possible, elle gardait hors tournage le même ton froid et un peu bourru avec le jeune interprète de Phil. Elle pensait pouvoir l’aider à tenir son rôle de cette manière. 

© 1980 Columbia Pictures Industries, Inc. Tous droits réservés

Si son travail n’a pas été de tout repos, devant affronter des disputes très dures psychologiquement avec son mari, celui-ci se voit à chaque seconde du film. Gloria est magnétique. On la découvre complètement détachée, demandant à ses voisins du café, avant de la voir subitement se transformer en femme d’action. Un regard à la caméra permet de comprendre que Gloria sait le danger auquel doivent faire face ses voisins et qu’elle connaît la criminalité. Elle râle beaucoup, disant sans cesse qu’elle ne veut pas de cette responsabilité mais pourtant elle l’assume jusqu’au bout. Gloria cache toujours ses émotions sous ce déguisement de femme en colère, comme si reconnaître le fait d’avoir des sentiments était une faiblesse. Le film lui montre d’ailleurs le contraire: plus elle s’attache à Phil, plus elle devient une vraie lionne qui n’hésite pas à sortir le pistolet pour protéger son petit. 

Gloria est complexe mais elle dégage un énorme charisme. Le spectateur a confiance en elle et sait qu’elle fera tout pour aider le garçon. Une belle relation se construit entre les deux. Ils se disputent parce qu’ils sont sous pression, mais se cherchent sans cesse. Gloria est maternelle alors qu’elle clame ne pas aimer les enfants. La façon de passer la main dans ses cheveux, de lui prendre la main ou simplement par le regard, nous fait immédiatement ressentir l’attachement de Gloria pour Phil. 

De son côté, le petit garçon a peur d’être abandonné par son ange gardien, il la prend souvent dans ses bras, lui parle la nuit pour vérifier qu’elle ne part pas, pour finalement lui dire qu’elle est tout pour lui. La terreur et la tristesse de ce petit garçon transparaît dans cette relation. Les scènes au cimetière, lorsqu’il s’adresse à sa famille morte, sont très sobres et poignantes. Elles ont pour rôle d’aider l’enfant à faire son deuil, se réconforter et gagner ainsi en force.

Gloria est un film haletant et poignant. Il nous propose un duo de personnages qui fonctionne à merveille et rend chaque instant de l’histoire crédible. Gloria est un personnage féminin puissant que toute actrice devrait rêver d’interpréter. C’est un feu puissant qui guide le spectateur au travers de ce dangereux labyrinthe urbain. La réalisation musicale et toujours en mouvement de John Cassavetes finit de magnifier le tout, faisant de ce long métrage un incontournable du cinéma qu’il faut absolument découvrir.

Gloria est disponible le 27 juillet en DVD & Blu-ray chez Wild Side avec en bonus:
– Une femme d’influence : Gena Rowlands par Murielle Joudet
– Un enfant revient : à propos du film, par Murielle Joudet [sur le Blu-ray]
– Dix pas avant le people : entretien avec Robert Guédiguian [sur le Blu-ray
– Un livret inédit de 50 pages, écrit spécialement par Frédéric Albert Levy

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