Arc de Triomphe
Arc de Triomphe cover

Arch of Triumph

1948

Réalisé par: Lewis Milestone

Avec: Charles Boyer, Ingrid Bergman, Charles Laughton

Film vu par nos propres moyens

L’après et l’avant

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se reconstruit. Paris, longtemps occupée par les forces nazies, retrouve sa liberté, et tout doucement, l’ébullition culturelle de la capitale française reprend ses droits. C’est à cette époque charnière, dès 1946, que Lewis Milestone y installe sa caméra pour tourner son drame Arc de Triomphe. Si le titre symbolique rend hommage au célèbre monument emblématique de la ville, la conception du long métrage est aussi l’occasion d’offrir la venue de grandes stars de l’époque à ses habitants enfin libérés: Charles Boyer, Ingrid Bergman, Charles Laughton… Une fois la mort et la désolation passée, l’art peut à nouveau s’épanouir.

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Pourtant, l’intrigue d’Arc de Triomphe s’écrit au passé. Lewis Milestone replonge le public dans les années qui ont précédé l’occupation de la France, alors que la tension monte dans la cité. Au milieu des avenues parisiennes, l’influence germanique se fait de plus en plus sentir, et le docteur Ravic (Charles Boyer), un médecin autrichien ayant fui l’oppression dans son pays, y vit caché, sans papier, avec la peur perpétuelle qu’on ne l’expulse. Dans la ville lumière, Ravic n’a de cesse de croiser la route de l’officier nazi Haake (Charles Laughton), un ancien tortionaire du héros qui a mis à mort son ancien amour, et qui rode autour de lui comme un spectre du passé. Obsédé par l’idée de prendre sa revanche sur le gradé allemand, le protagoniste principal d’Arc de Triomphe met toutefois ses plans en suspens alors qu’il croise la route de Joan (Ingrid Bergman), une femme perdue, avec qui il noue une romance aussi fusionnelle qu’impossible.

Danse macabre

Se placer dans l’avant-guerre semble loin d’être innocent pour Lewis Milestone qui adapte à nouveau, après À l’ouest rien de nouveau, une nouvelle d’Erich Maria Remarque. En situant son son film à cette époque, il fait planer un sentiment de fatalité sur son œuvre. L’issue à court terme semble inéluctable pour Paris, qu’on sait condamné à la prise de pouvoir nazie, et par extension pour Ravic. Arc de Triomphe s’impose dès lors comme une course contre la montre narrative où la naissance du moindre espoir n’est qu’une illusion, à peine une oasis de bonheur vouée à se tarir.

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Le cinéaste en a parfaitement conscience et souligne de sa mise en scène cette idée. Lewis Milestone fait par exemple le choix d’inscrire son histoire dans des séquences se déroulant très souvent dans l’obscurité: Joan et Ravic travaillent essentiellement de nuit, chacun dans leur domaine respectif. Pourtant, la belle refuse de dormir la lumière éteinte, comme si elle avait conscience, de manière prémonitoire, des ténèbres insolubles à venir, même si il semble que ce trait de caractère soit lié à un passé traumatique dont on ne saura jamais rien.

Visuellement, le réalisateur accumule aussi les indices qui rendent la mort omniprésente. Lorsque Ravic aperçoit pour la première fois Haake dans les rues parisiennes, ils sont séparés par l’étal d’un volailler qui fait cuire des poulets. Les flammes du rotissoire d’époque envahissent ainsi le bas de l’image, alors que l’officier allemand occupe le haut, lui donnant une apparence maléfique. Plus tard dans le film, Ravic fait négligemment une sieste au soleil, mais un bandana recouvre ses yeux, comme ceux d’un condamné à mort d’un peloton d’exécution. Lewis Milestone suggère implicitement l’ombre de la faucheuse funeste à tous les détours du scénario.

Melting Pot

Le metteur en scène n’oublie pourtant pas sa promesse initiale et rend grâce à la ville lumière. Bien que certaines scènes d’intérieur, impératifs de l’emploi du temps d’Ingrid Bergman obligent, sont tournées en studio, à New York, le travail de décors se révèle convaincant et évoque avec brio les chambres de la capitale française. Mais pour l’essentiel, c’est bien l’éternelle Paris qui est mise en image, obligeant la production à se rendre en France pour ses prises de vue et à investir de nombreux dollars en reconstitution. Malheureusement, Arc de Triomphe ne rencontrera pas son public, mais malgré les années qui se sont écoulées, on peut toujours savourer cette approche amoureuse.

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Pourtant, le long métrage convoque tout autant la fibre internationale: au-delà des dialogues évidemment déclamés en anglais, Arc de Triomphe fait appel à de nombreux éléments extérieurs à la France. On y évoque ainsi les milliers de réfugiés européens qui fuient la barbarie et le meilleur ami de Ravic est d’ailleurs d’origine russe. Plus implicitement, le nom des multiples hôtels dans lesquels prend place l’intrigue sont associés à d’autres villes, toutes en dehors de l’hexagone. Le film chronique les affres du continent tout autant que les tourments français.

L’étrange docteur Ravic

Arc de Triomphe peut également s’appuyer sur un duo d’acteurs qui vire au duel. Ingrid Bergman apparaît tantôt fragile, tantôt mutine et frondeuse. Son caractère qui évolue et s’affirme tout au long du film est empreint d’une cohérence certaine, mais fait surtout écho à celui de Charles Boyer, froid et inflexible. Le doute plane d’ailleurs intelligemment sur l’identité de ce médecin bien curieux. Ravic est un nom d’emprunt auquel le personnage s’est simplement “attaché” selon ses propres mots. On ne lui offrira jamais de patronyme véritable et ce refus s’avère intriguant: Charles Boyer n’est dès lors plus une simple personne, il est l’expression de ceux que l’horreur de la guerre à traumatisé jusqu’à en bouleverser l’identité.

Arc de Triomphe illustration

Seule sa profession de docteur en médecine est affirmée perpétuellement, mais pour mieux en jouer. Lui qui est normalement voué à sauver des vies ne cesse de valser avec la mort. Son projet d’assassinat semble ainsi contraire à sa vocation et la contradiction entre ses envies de meurtres et son serment d’Hippocrate pèse sur le récit. La substance profonde de son être est chamboulée par la guerre qui ravage l’Europe. C’est dans le même décors froid et clinique que prennent place ses opérations chirurgicales et les flashbacks sur sa torture passée, pour davantage de confusion. Lewis Milestone souhaitait même aller plus loin sur cet axe: une scène de mise à mort des mains de Ravic devait par exemple être beaucoup plus explicite visuellement, mais s’est vue adoucie par le studio. Une autre séquence mettant en scène un avortement prodigué par le médecin à tout simplement subit les coupes du comité de censure de l’époque. Le paradoxe qui fait le personnage qu’incarne Charles Boyer n’en reste pas moins omniprésent.

Arc de Triomphe est édité par Sidonis Calysta.

Paris resplendit sous le regard de Lewis Milestone, mais la menace gronde inévitablement derrière la romance savante que nous propose le cinéaste.

Nicolas Marquis

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