Les Crimes du Futur

(Crimes of the future)

2022

Réalisé par: David Cronenberg

avec : Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart et Scott Speedman.

Film vu par nos propres moyens

8 ans que nous n’avions pas retrouvé David Cronenberg derrière la caméra. Il nous propose enfin une nouvelle œuvre après le mitigé Map to the Stars. Les crimes du futur étaient à la fois attendus et craints. Le réalisateur Canadien réussit-il à susciter haine et passion chez le spectateur?Pour ce retour, Cronenberg se base sur les idées développées pour son projet avorté de 2002 avec Nicolas Cage : PainKiller.  Nous suivons l’histoire de Saul Tenser, incarné par Viggo Mortensen qui travaille pour la 5ème fois avec le metteur en scène. Il interprète un artiste performeur, accompagné de son assistance Caprice (Léa Seydoux). Ensemble, ils mettent en scène les étranges transformations que subit l’artiste. Des tumeurs appelées “organes” apparaissent sans cesse, le poussant encore et encore à vouloir s’en débarrasser et vivre dans la souffrance. L’artiste est surveillée par la nouvelle brigade des mœurs ainsi que l’étrange Timlin (Kristen Stewart), enquêtrice auprès du bureau des registres des organes.

A la recherche des sentiments

Les crimes du futur est un film marqué par l’identité et les obsessions de son réalisateur. Dès le générique, nous ne pouvons nier que nous allons une fois de plus plonger dans la psyché de l’artiste. Nous découvrons un motif très organique comme si nous regardions des images issues d’une caméra chirurgicale, le tout accompagné de la perturbante musique aux accents électro d’Howard Shore.

Nous découvrons ensuite un monde en putréfaction. Il est sale, suintant comme une plaie qui se serait infectée. On apprend alors que les gens ne ressentent plus d’émotions sauf celle de la douleur. Cronenberg, comme à son habitude, met en scène ce sentiment de façon sensuel La caméra caresse ses corps en souffrance allant parfois jusqu’à simuler l’acte sexuel par ses mouvements ou bien encore dans la gestuelle de ses personnages. La souffrance est organique, elle fait partie intégrante de la vie des protagonistes, les accompagnant dans chaque étape de leur quotidien. Se nourrir, par exemple, devient une épreuve lorsque nous découvrons Saul dans cette chaise qui pourrait sortir du jeu vidéo issu du film Existenz. On sent qu’il souhaite se nourrir mais c’est extrêmement difficile et douloureux pour Saul. Pourtant en parallèle le réalisateur nous montre Caprice qui semble ne rien ressentir face à une assiette appétissante de bacon qu’elle mange face à la mer. Elle apparaît éteinte, presque envieuse dans sa moue,  par la situation de son partenaire en parallèle de la lutte à laquelle se livre Saul qui sonne comme importante.

Les sentiments et leur ressenti, c’est l’un des questionnements que nous propose David Cronenberg. Nous sommes dans une société en recherche de sensations mais qui en même temps veut fuir celles qui sont trop dures à supporter.

L’apparition de ces organes illustre parfaitement cette contradiction. En psychologie, on parle de somatisation lorsque l’on se rend malade plutôt que d’affronter ses émotions. Les crimes du futur illustre bien ce propos, surtout au travers de son personnage principal: Saul. Il confie détester ces organes qui poussent et les faire enlever pour ne plus les avoir en lui, et d’ailleurs l’un d’eux ressemble à un cœur. Tout au long de l’histoire nous allons suivre sa souffrance et cette impression qu’il reste toujours en marge de la société, s’habillant en noir et se dissimule. Il se cache de lui-même et des autres, le personnage nous paraît faux comme s’ il était en représentation permanente. Il ment à son assistante Caprice, à la société en travaillant pour la nouvelle brigade des mœurs et surtout il se ment à lui-même.

La rencontre de Saul avec le personnage de Lang est l’étincelle qui le pousse à faire face à ses contradictions. Lang accepte ce qu’il est et ses sentiments. On le voit pleurer la mort de son fils et montrer plusieurs fois qu’il est touché par ce qui l’entoure. Il accepte d’être différent de cette société et apparaît donc plus en équilibre avec celle-ci. Ses échanges avec Saul poussent celui-ci à la fin à accepter sa mutation ne plus rejeter ces corps qu’il considère comme étrangers au début du film. Pour avancer et faire l’expérience de sentiments positifs comme l’extase , il ne faut pas refuser d’expérimenter toute la palette des sentiments. La douleur n’est pas une fin, et le réconfort ressentit lorsqu’elle nous quitte n’est qu’un faux bonheur et ne sera jamais suffisant pour les personnages. C’est un fonctionnement identique à celui des drogues et néfaste sur la longueur.

Les crimes du futur

Tout ce parcours illustre bien le fait que la société dépeint dans Les crimes du futur est une société qui se détruit à petit feu en refusant le changement. La nouvelle brigade des mœurs le représente très bien. Dès qu’un être essaie d’évoluer pour survivre, celui-ci doit être supprimé. L’esprit ne doit pas penser et remettre en cause son environnement, il doit rester sous la coupe de cette maladie qui dévore tout sur son passage. On peut également voir tout ça comme la représentation du travail qu’effectue le patient auprès d’un psy. L’esprit résiste au départ, puis progressivement, par l’échange et le fait d’être placé face à ses contradictions,s’ouvre jusqu’à la prise de conscience . Ce thème est le plus envoûtant du film, Cronenberg illustre toujours très bien la complexité et la richesse de l’esprit humain, capable du bon comme du pire. Cependant, le long métrage ne pousse pas assez loin dans sa réflexion et se finit abruptement en laissant le spectateur rempli de questions et de doutes.

 De plus, en dehors du personnage de Saul, le reste de l’univers reste assez confus dans son fonctionnement et ses personnages, surtout ces protagonistes féminins. Elles sont inconsistantes et ne représentent aux yeux de l’artiste que des entraves dans sa quête du moi. 

Elles ne sont pas non plus des objets de désirs, mais participent au contraire à la décadence de ce monde ne cherchant que l’excitation provoquée par la souffrance. La performance de Léa Seydoux n’arrange pas les choses, tantôt robotique, tantôt dans le sur-jeu, on ne comprend jamais son but à part celui de justifier son prénom : Caprice.  Finalement les crimes du futur que sont ils ? 

Pour Cronenberg, les crimes sont de refuser de s’accepter, de refuser de vivre ses émotions mais surtout  l’absence de réflexion au profit de la fuite. Tous les personnages sont dans cette fuite de leur désir , ils les répriment tous et utilisent une sexualité déviante  pour pouvoir garder un semblant d’équilibre qui ne les satisfait jamais. Caprice, pour revenir à elle, refuse de montrer aux yeux du monde ses goûts et son attirance pour Saul, malgré les insinuations qu’elle reçoit. Elle réprime tellement que rien ne la satisfait vraiment et elle passe le film à faire littéralement des caprices réclamant toujours plus et plongeant ainsi plus profondément dans les ténèbres. Ne pas vouloir voir les problèmes de notre société ainsi que ses problèmes personnels sont les crimes du futur car ils le tuent au fur et à mesure.

L’art de l’autodestruction

Autre point développé dans le film, c’est le rapport à l’art.  On en parlait en introduction, le film peut être vu comme un best of de David Cronenberg. Si on reste bloqué sur cette première lecture, on rejette directement cette œuvre remplit d’auto citation constante. Rien que le titre du film fait référence à une œuvre du canadien sorti en 1970. Bien que celui-ci se défende de tout lien avec cette version de 2022, celle-ci parlait déjà des dérives de l’humanité, de maladie ainsi que d’organes apparaissant mystérieusement dans les corps des femmes. Il y a aussi les références à Chromosomes 3, La mouche, Crash ou bien encore Existenz, que ce soit aussi bien dans les propos que dans l’esthétique. Le public peut se dire que Cronenberg est fini, il se contente de refaire encore et encore le même film et ressasse les mêmes thèmes. Pourtant lorsque l’on prend le temps de digérer Les crimes du futur, on se rend compte qu’il y a un autre sens de lecture. Le réalisateur est en fait conscient de ce côté greatest hits. Il en fait un autre outil d’interrogation et de réflexion. 

Que représente le travail d’un artiste ? Pour Cronenberg  c’est une obsession, il revient sans cesse sur  les mêmes thèmes encore et encore jusqu’à atteindre l’overdose et disparaître dedans pour  devenir lui-même un bout de sa propre création .

Saul est une représentation du réalisateur, il aime mais déteste en même temps cet art qui repose sur le choquant et le voyeurisme. Le personnage en voit le côté sombre et prend conscience de son atrocité. Plus l’art devient brutal et morbide, plus les spectateurs sont fascinés par ses œuvres. Pour garder l’intérêt de son audience, il doit rester absolument dans une caricature de lui-même alors que son désir et au contraire d’évoluer vers un autre état. Cette idée est aussi renforcée par le personnage de fan hystérique de Tamlin tellement obsédée par Saul qu’elle sabote un spectacle qui pourrait remettre en cause toute la démarche du performeur.

La métamorphose de Saul fait écho à celle de Brundle dans La mouche, la mutation d’un artiste qui tend à atteindre un autre idéal pour retrouver le goût de la création. C’est encore une fois une histoire de survie, l’art comme les sentiments doit s’adapter et évoluer pour continuer de nourrir son créateur. L’utilisation des scalpels pour couper et écorcher les personnages, illustre très bien ce désir de briser cette routine et l’envie de trouver une autre source d’inspiration. Ces auto-citations sont finalement un moyen pour le réalisateur de s’en séparer comme le scalpel taillant dans la chaire pour faire l’ablation de ces organes non désirés.

Si ce questionnement et la remise en cause d’un art devenu mécanique sont pertinents, Cronenberg ne pousse pas la réflexion jusqu’au bout et la parasite avec des scènes d’une grande condescendance ainsi que des dialogues frisant le ridicule et  qui sonnent aussi faux qu’un slogan publicitaire. Cronenberg, à l’ image de son personnage, se sent piégé dans son propre univers mais en même temps son égo l’empêche de prendre totalement du recul. La dernière séquence du film peut cependant nous apporter une lueur d’espoir car cet avatar de l’auteur semble transcender sa condition et atteindre l’extase en brisant l’interdit de la société pour redécouvrir enfin le vrai plaisir. Espérons que ce soit le signe d’un désir de Cronenberg de nous proposer une nouvelle approche de son cinéma.

David Cronenberg fait une fois de plus équipe avec Viggo Mortensen pour Les crimes du futur.  C’est un duo en osmose qui nous parle de psychanalyse, de notre société et surtout de la création artistique. Malheureusement, malgré la fascination que provoquent ces thèmes, le film n’explore pas assez cet univers putride ainsi que ses protagonistes. Les personnages féminins en sont les plus représentatifs, sans savoir et avec un mauvais choix de casting, elles mettent juste en valeur la condescendance qui transparaît le temps de quelques séquences dans le travail de Cronenberg. Malgré ces problèmes, Les crimes du futur reste un film intriguant que l’on peut voir et surtout ressentir de différentes façons.

Les Crimes du Futur est actuellement en salle.

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