Tastr Time: La vie est belle

(It’s a Wonderful Life)

1946

de: Frank Capra

avec: James StewartDonna ReedLionel Barrymore

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “La vie est belle” de Frank Capra.

Vous avez déjà discuté de “La vie est belle” avec quelqu’un? Bordel, c’est un enfer sans nom! Vous pouvez être sûrs qu’une fois la conversation engagée, votre interlocuteur se perd, deux films (tous deux géniaux) portant exactement le même nom en français. Vous voulez parler du film de Frank Capra? On croira que vous évoquez le Benigni, et inversement. C’est d’autant plus agaçant que lorsque vous précisez duquel des deux vous parlez dès le début de vos discussions, vous pouvez être sûrs qu’on vous lancera un incroyablement condescendant “Bien sûr!”. Mais pas de ça entre nous, on le dit directement: aujourd’hui on évoque avec plaisir “La vie est belle” de Frank Capra, avec James Stewart.

Un grand classique des fêtes de fin d’année chez nos amis anglo-saxons: l’histoire de George Bailey (James Stewart) qui se sent un peu déprimé le soir de Noël, alors que dans le ciel, on s’affaire pour lui envoyer un “ange gardien” qui viendra à son secours. Dès lors, le film adopte une structure en flashbacks, où l’on découvre la destinée d’un personnage d’un altruisme total. Ses rêves de jeunesse et d’ailleurs, il les a tous abandonnés pour reprendre la petite banque de son père et rester dans sa bourgade typiquement américaine. Il aide les plus démunis à prospérer malgré les innombrables embûches qui s’accumulent. Un personnage foncièrement bon: malgré le succès de ses amis partis loin, pas d’amertume. Il gardait la patate jusque là ce bon vieux George.

Il faut dire que la prestation de James Stewart est l’une de ses meilleures, sans conteste. Ce personnage qui pourrait paraître trop beau pour être vrai, il le nuance, y apporte un tas de petites choses qui le rendent plus réaliste. C’est un constat qu’on étend volontiers au reste du film: les personnages sont bien incarnés, malgré leur côté assez tranché. Mais plus que des performances individuelles, c’est la maestria de Capra pour diriger la foule qu’on a redécouverte avec plaisir. La ville où se déroule l’action est dans son écriture presque semblable à un seul personnage et ça, le cinéaste l’a parfaitement retranscrit à l’écran. Sa gestion visuelle des attroupements, toujours juste, impose cette histoire presque à la manière d’un conte philosophique.

« La vie avant les gestes barrières »

La thématique principale du film englobe tout un tas de problèmes, qui n’ont pas vieilli d’un poil. Notre société honore-t-elle suffisamment ses martyrs? Tous ces gens qui renoncent à une existence plus fastueuse pour tirer le collectif vers le haut, sont-ils reconnus à leur juste valeur? Cette question, Capra nous la pose d’abord à nous: complètement à contre-courant de l’idéologie américaine traditionnelle, “La vie est belle” montre la beauté du partage désintéressé. Dans un pays où l’ultra-libéralisme est un dogme, le long-métrage paraîtrait presque communiste. Mais sortons la politique de là pour garder cette simple vérité: il faut donner aux autres sans arrière-pensée.

Si Capra s’était arrêté là, le film aurait pu sembler un peu convenu. Intervient donc la deuxième partie, celle où l’ange gardien vient tirer George de son cafard. On bascule dans un film plus fantastique, aux allures de “Drôle de Noël de Monsieur Scrooge”: l’ange montre à George ce que serait la vie si le personnage de James Stewart n’avait pas été là. L’existence de la ville dans son ensemble est complètement bouleversée et les valeurs que porte notre héros sont absentes.

Et bien dans cette deuxième partie, Capra va étendre sa question initiale pour y apporter une réflexion bien plus profonde. La société méprise presque ses héros, soit. Mais le destin est-il juste lui? C’est une vraie interrogation sur la notion de karma qui est amenée, pour laquelle Capra n’hésite pas à utiliser des faux-airs de divertissement familial pour venir titiller les consciences. Le jeu de la gentillesse en vaut-il vraiment la chandelle? La réponse de la pellicule peut sembler assez claire de prime abord, surtout si comme nous vous avez découvert le film jeune: sa fin semble laisser peu de place au doute. Et pourtant! En revoyant le long-métrage grâce à Tastr, on a complètement changé d’opinion, l’âge aidant. Si l’ange montre un monde sans George, la toute fin est-elle réelle elle aussi? Ou au contraire une autre illusion? On ne peut pas vous spoiler mais on vous invite à vous poser la question.

Mais même en restant terre à terre, on ne peut que succomber au charme du film. Une belle histoire, où on élève les plus pauvres socialement, où on honore les valeurs de partage, et où on déglingue ceux qui spéculent sur le malheur d’autrui. Avouez qu’en ce moment, un long-métrage de la sorte est plus que bienvenu.

Qu’est-ce que vous faites encore là? “La vie est belle” est sans conteste dans la poignée de films à voir une fois dans votre vie. Alors ouste! Allez savourez cette œuvre hors du temps qui vient remettre des pendules éternellement déréglées à l’heure.

Nicolas Marquis

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