La Fête à Henriette
La Fête à Henriette affiche

1952

Réalisé par: Julien Duvivier

Avec: Dany Robin, Michel AuclairMichel Roux

Film vu par nos propres moyens

Au panthéon des cinéastes français les plus influents du XXème siècle, Julien Duvivier a assurément une place de choix. Bien que son nom ne soit pas le plus couramment cité, son leg filmique reste inestimable, et a marqué l’Histoire du 7ème art hexagonal. Réalisateur populaire, au style malicieux et précis, son adaptabilité à tous les genres à fait sa renommée. Si quelques polar habiles ont contribué à sa renommée, avec par exemple Panique, l’adaptation de l’écrit de George Simenon, ou bien Marie-Octobre et son parterre de star, c’est dans un tout autre registre que verse Julien Duvivier au début des années 1950. La comédie pure se plie à sa vision, et c’est à lui que l’on doit les deux premières aventures cinématographiques de Don Camillo, véritables madeleines de Proust de toute une génération. Toutefois, entre ces deux propositions se niche un long métrage également humoristique, mais plus confidentiel et pourtant savamment novateur. En 1952, le cinéaste propulse sur les grands écrans La Fête à Henriette, un essai à la structure narrative inventive, qu’il coscénarise en compagnie de Henri Jeanson, déjà son partenaire sur une de ses œuvres les plus célèbres, Pépé le Moko.

Pourtant, vous n’avez failli jamais voir La Fête à Henriette, selon le tour de magie que souhaite proposer Julien Duvivier. D’ailleurs, au début du film, rien n’est encore écrit, et à l’écran, un scénariste (Henri Crémieux) et un réalisateur (Louis Seigner) se disputent autour de leur prochain projet. Alors que l’écrivain souhaite braver la censure, et plancher sur un long métrage acide, le metteur en scène est lui désireux de renouer avec une forme d’essentiel, une histoire simple sur des gens sans prétention. De leur joute verbale naît La Fête à Henriette, l’aventure humble d’une jeune parisienne (Dany Robin) qui au jour du 14 juillet se voit écartelée entre l’amour que lui porte Robert (Michel Roux), un photojournaliste peu sûr de ses sentiments, et la rencontre fortuite qu’elle fait avec Maurice (Michel Auclair), un voleur de haute volée. Julien Duvivier propose donc un film dans le film, une odyssée sur deux plans distincts, une œuvre qui brise le quatrième mur pour imposer une double intrigue. 

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En guise de squelette à sa voltige cinématographique, Julien Duvivier étale donc l’opposition entre deux artistes, aux visions diamétralement opposées, présentés comme de véritables divinités détentrices d’un pouvoir absolu sur le destin de Henriette. D’un coup de crayon ou d’une simple phrase, l’héroïne de leur création peut se voir plongée dans des abîmes de noirceur d’une intensité insondable. Avant toute chose, La Fête à Henriette réfléchit la responsabilité d’un auteur vis-à-vis de sa propre fiction, à mesure que l’intrigue se construit devant nos yeux. Des élans créatifs du plus vindicatif des concepteurs émerge également une certaine réflexion, voire une bravade si on s’en fie aux “Mort aux vaches !” qu’il déclame, envers la censure qui régit encore le champ artistique en 1952. Régulièrement, le scénariste cherche une logique du pire, veut confronter Henriette au sexe ou à la violence la plus sombre. Bien qu’il soit toujours rappelé à l’ordre par son partenaire, son imagination se matérialise à l’écran, et de courtes séquences l’exposent. Toutefois, Julien Duvivier a conscience de la fausseté de ces instants, et les met en image légèrement de biais, comme si la réalité était tronquée.

La volonté profonde de Julien Duvivier reste principalement un retour vers des valeurs simples, un renouement avec le quotidien de personnages modestes, d’ordinaire délaissés par le septième art. Le mot final revient toujours au plus mesuré des créateurs, soucieux de rester au plus proche du peuple. Son héroïne ne sera jamais plus qu’une simple fille de soldat, avec des aspirations communes dans une simple recherche de la vérité du cœur. À quelques moments, La Fête à Henriette lui octroie bien un statut à part, mais il est toujours le fruit d’un mensonge qui finit par être découvert. La beauté profonde et la poésie du film, au-delà de l’exercice de style qui brise le quatrième mur, est dans sa pureté. Julien Duvivier semble être conscient qu’un cinéma du quotidien recèle une vérité inaltérable, et se permet même un hommage au Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica, exemple type du genre, au cours d’une saillie verbale pleine de second degré.

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Ancrer La Fête à Henriette dans une vision concrète de la réalité ne lui interdit pourtant pas une certaine magie, semblable à celle qui parsème parfois nos vies. Julien Duvivier cherche toujours une forme de logique à ses envolées les plus abstraites. Son souhait profond est de montrer un Paris bouillonnant de vie, en pleine fête, il choisit donc de placer l’intrigue au cours du 14 juillet, alors que la ville se pare de mille couleurs. Rarement film en noir et blanc aura semblé aussi pétillant, et les mouvements de caméra du cinéaste qui tourbillonne avec Henriette au rythme des valses offre un onirisme certain. Le long métrage assume même, quitte à casser un peu sa démarche, une part de transcendance au moment où le feu d’artifice illumine la capitale. Mais une fois de plus, Julien Duvivier avait de toute façon créer l’attente pyrotechnique en se plaçant au cœur de la fête nationale. Dans un exercice d’écriture virtuose, lui et Henri Jeanson mettent à nue la beauté inattendue de nos existences.

Le cœur même du script de La Fête à Henriette attaque frontalement le monde des apparences. L’héroïne du récit est victime de mensonges: ceux qu’on lui impose, ou ceux qu’elle s’invente. Tous les personnages de l’histoire jouent un double rôle, que ce soit Henriette qui ment sur son quotidien, Maurice qui se fait passer pour un milliardaire, ou plus subtilement Robert qui cherche sa propre identité. La vie rêvée imaginaire se heurte toutefois au mur de la vérité, elle n’est jamais garante de bonheur. La Fête à Henriette fait alors tomber les masques, et une fois cet assaut porté, toutes les strates du film comportent leur part de dénonciation d’un monde qui a perdu le sens des réalités. Le métier de Robert, photoreporter, ne peut plus être interprété innocemment, il est le pourvoyeur du mensonge médiatique. Même un simple gag, le défilé hypocrite de politiques au chevet d’un mourant, semble devenir un témoignage d’un monde de l’apparence loin de l’essentiel.

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Pour porter ce message, La Fête à Henriette s’appuie sur une écriture particulièrement féminine. Bien que le long métrage soit le fruit du travail de deux hommes, la femme est au centre de l’intrigue. Henriette est l’astre suprême autour duquel virevoltent tous les autres protagonistes. Cette idée ne s’arrête pas qu’à elle, et implicitement, Julien Duvivier donne le pouvoir à ces dames. La propre mère d’Henriette est d’un pessimisme total sur les hommes, il n’empêche qu’elle est porteuse d’une part de vérité, et qu’elle domine ostensiblement son mariage. Mais c’est toutefois à travers un autre personnage, beaucoup plus discret, que s’épanouit cette volonté. La secrétaire qui consigne les idées des deux créateurs démiurges insuffle un esprit critique perpétuel sur la trame de l’intrigue, et sa parole est écoutée. En 1952, nous ne sommes à l’évidence pas encore dans une parité assumée à l’écran, et Henriette est parfois semblable à une frêle princesse, il n’empêche que les femmes ont une voix qui s’entend dans le long métrage.

Julien Duvivier propose un exercice de style virtuose avec La Fête à Henriette. Dans son double film, il théorise aussi bien les affres de la création artistique, que le quotidien de français simples et humbles. Son film dans le film résonne en mille éclats de rire.

La Fête à Henriette est disponible chez Pathé, en Blu-ray et DVD

Nicolas Marquis

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