Belle
Belle affiche

(竜とそばかすの姫)

2021

Réalisé par: Mamoru Hosoda

Avec: Kaho Nakamura, Ryo Narita, Shota Sometani

Film vu par nos propres moyens

D’un esprit discret peut parfois naître une poésie profonde. De nature plutôt réservée, voire un peu froide, le cinéaste Mamoru Hosoda s’impose pourtant au fil des années comme l’un des rêveurs les plus séduisants du 7ème art. La magie de ses longs métrages ensorcellent petits et grands, et chacune de ses nouvelles propositions animées est scrutée par une horde de fans acquis à sa cause. L’indépendance ne s’est toutefois pas obtenue du jour au lendemain pour le cinéaste, et son cursus épouse une certaine tradition nippone. Après avoir fait ses premières armes en tant que petite main sur des productions Dragon Ball Z, Mamoru Hosoda réalise son premier métrage à l’ombre d’une autre licence culte, la série Digimon, qu’il mettra en image plusieurs fois. Mais en 2006, tout change pour l’artiste: las des travaux de commande, il rejoint Madhouse, qui lui permet de se pencher sur deux scénarios de Satoko Okudera. Cette rencontre bouleverse l’existence de Mamoru Hosoda, tant le succès de La Traversée du temps puis de Summer Wars lui confère une renommée internationale. Fort de ces deux réussites, le cinéaste fonde son propre studio, Chizu, en 2012. En seulement 3 films, tous élaborés par le maître, la firme devient une place forte de l’animation nippone, au point de voir Miraï, ma petite sœur nommé aux Oscars en 2018. Le quatrième long métrage de l’entreprise, Belle, était donc fermement attendu, et promettait son lot de fantaisie visuelle et scénaristique propre à Mamoru Hosoda.

Belle propulse le conte de La Belle et la Bête à notre époque, dans une relecture totale du mythe. Il s’y dessine le destin de Suzu (Kaho Nakamura) une jeune lycéenne japonaise profondément timide et réservée, marquée par la mort de sa mère musicienne dès son plus jeune âge. L’héroïne du film en a perdu toute volonté de chanter, ce qui était pourtant une de ses passions, et à bien du mal à exister dans son établissement scolaire, entre les élèves populaires et les garçons qui tournent autour d’elle. Toutefois, l’identité de Suzu est double. Dans le monde que nous propose Belle, le jeu vidéo U, un espace virtuel de tous les excès graphiques, est prisé par des millions d’utilisateurs. Suzu y devient Belle, une chanteuse admirée de presque tous. Mais dans cet univers parallèle, un joueur, surnommé la Bête, sème la terreur. De la rencontre entre Suzu et cet énigmatique personnage naît un conte aux airs de parcours initiatique.

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Belle joue des différentes dimensions qu’il étale à travers deux langages filmiques radicalement différents. Alors que Mamoru Hosoda expose une certaine froideur dans sa représentation du monde réel, adoptant la plupart du temps de plans fixes pour montrer des instantanées du quotidien, il casse complètement cette logique au moment de basculer dans l’univers virtuel de U. Dans des séquences mémorables et hautement oniriques, où l’imaginaire débridé du cinéaste est laissé pleinement libre, les mouvements sont incessants, et le point de vue du spectateur tourbillonne autour d’une Suzu transformée. Toutefois, cette opposition qui sert de base au récit n’est pas fixe, et se voit mise à mal par le déroulé du scénario. La réalité est initialement austère et glauque, notamment au moment de nous positionner en témoin du décès de la mère de l’héroïne, mais se teint progressivement d’un positivisme certain, tandis qu’à l’inverse, l’identité virtuelle supposée idyllique de Belle est petit à petit noircie par les rebonds du scénario.

Sans jamais devenir donneur de leçons, Belle dénonce ouvertement les dérives d’un monde fait d’apparences, souvent trompeuses. Mamoru Hosoda reconnaît les bienfaits de U: la preuve ultime reste l’épanouissement qu’y trouve Suzu, alors qu’elle se noie dans sa vie quotidienne. Toutefois, cet empire de pixels est aussi synonyme de danger: celui d’y être dépendant d’une part, mais surtout une forme de cyberharcèlement que le film condamne avec fermeté. La Bête est traquée par la police du jeu, et leur arme principale consiste à en révéler la véritable identité s’ils réussissent à le débusquer. Une certaine frénésie médiatique accompagne cette chasse à l’homme, alors que le cinéaste nous confronte à de nombreux montages sur des émissions télévisées, ou des vidéos issues d’internet, qui tentent de démasquer cet antagoniste complexe. Pourtant, Belle n’a assurément rien de manichéen au moment de théoriser les nouvelles technologies. La Bête souffre, et la quête de l’origine de ce mal est la solution finale de l’intrigue. La fascination de Belle pour ce mystérieux personnage s’accompagne d’une volonté de prodiguer une aide sincère.

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Trouver sa propre voie à travers les difficultés de la vie est même l’idée principale du film, et Mamoru Hosoda n’a probablement pas conscience du jeu de mot qui en découle dans notre langue, mais cette recherche invite Suzu à se trouver une voix. L’affirmation de soi, propice à parler à un public adolescent, s’accompagne de la délivrance du passé, qui permet à l’héroïne de chanter à nouveau. Ce que lui permet le monde de U est voué à se répercuter sur son quotidien, et la musique doit au final redevenir un élément fondateur de son existence. Pour y parvenir, le film entoure Suzu d’une dizaine de personnages secondaires, pour la plupart profondément bienveillants, voire peut-être un peu trop. On reconnaît ici l’écriture plurielle que Mamoru Hosoda avait déjà adopté sur Summer Wars, une autre œuvre liée à internet. Pour trouver sa place dans le monde, le personnage principal doit accepter l’altruisme des autres, et l’exercer lui-même, quitte à se sacrifier.

Un reniement de son équilibre personnel immédiat qui fait fi de l’égoïsme pour trouver un équilibre à long terme. Suzu ne comprend et n’accepte pas les circonstances qui entourent le sacrifice de sa mère pour sauver un autre enfant. Pourtant, en bout de périple, la jeune fille doit elle aussi se mettre en danger, de façon désintéressée, pour porter secours à son prochain, sans rien attendre en retour. Belle expose ainsi implicitement un paysage familial complexe, que Mamoru Hosoda ne souligne jamais trop intensément. Si la plupart des personnages qui gravitent autour de Suzu sont de simples amis, c’est bien la reconnexion avec son père, et le souvenir de sa mère, qui apparaît comme objectif final, uniquement affirmé au terme de l’épopée.

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Car à l’évidence, Belle a tout d’une véritable aventure: l’introspection est au centre du récit, mais Mamoru Hosoda offre au spectateur son lot de grand spectacle. Les folles poursuites entre la Bête et la police de U convoquent une forme de frénésie, et les scènes de chant de Belle s’accompagnent d’une fantaisie visuelle ahurissante. Il semble toutefois intéressant de s’attarder plus précisément sur ce que le cinéaste retient du conte de fée dont il s’inspire: si il ne se dérobe pas à quelques moments attendus, comme la séquence du bal ou à travers le symbole de la rose, Mamoru Hosoda en détourne le sens profond. L’amour qui est le point de mire original n’a ici rien de charnel, bien plus une connivence de deux êtres dont les trajectoires se sont croisées, et qui au moment de tomber les masques se retrouvent totalement mis à nu. Deux âmes se rencontrent, dialoguent à un niveau de complicité inégalable, puis reprennent leur parcours, sur le chemin sinueux de la vie.

Belle réussit à ébahir visuellement, tout en délivrant un message parfois plus complexe qu’il n’y paraît. Un brin de naïveté habite l’œuvre, mais sert le raffinement progressif d’une thèse doucement délimitée.

Belle est disponible chez All The Anime dans un magnifique coffret 4k comprenant:

  • 1 livret de 52 pages
  • 1 poster A3
  • 16 cartes collector dont 1 numérotée
  • 1 CD avec la bande originale de film
  • 1 Blu-ray de bonus
  • 1 Blu-ray de bonus édition Fnac

Mais aussi dans des éditions plus simples.

Nicolas Marquis

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