Le Flèche brisée
La flèche brisée affiche

(Broken Arrow)

1950

Réalisé par: Delmer Daves

Avec: James Stewart, Jeff Chandler, Debra Paget

Film vu par nos propres moyens

Trop souvent utilisé comme un instrument de propagande par les puissants de notre monde, le cinéma sait aussi parfois être le marqueur de l’évolution des mentalités de son temps. En 1950, l’Amérique se cherche encore une identité, et son regard vers le passé est encore biaisé. Suivant la logique hideuse d’écriture d’un roman national fantasmé, le 7ème art alimente un flou détestable sur l’Histoire du pays, et notamment sur les guerres qui ont opposé les hommes à la peau blanche aux natifs du continent. À l’écran, les amérindiens sont encore montrés et perçus comme des bêtes sanguinaires et violentes, ne reculant devant aucune extrémité pour assouvir leurs basses pulsions. La Flèche brisée marque alors une rupture bienvenue avec ce dogme oppressant. Si quelques exemples du temps du muet apparaissaient çà et là, et si La porte du diable précède le film de quelques mois, l’œuvre de Delmer Daves est un jalon important dans la lutte pour plus de reconnaissance envers les indiens, qui plus est porté par James Stewart, déjà très en vogue. Pour l’une des toutes premières fois, les apaches ne sont plus de simples antagonistes, mais bien des personnages construits, humanisés, traités avec compassion et ouverture d’esprit. L’évolution abonde dans le bon sens, même si beaucoup de choses restent à faire: la présence à l’écran d’acteurs blancs maquillés en indiens à de quoi profondément choquer aujourd’hui, et heurtent déjà certaines sensibilités à l’époque, très logiquement. Il n’en résulte pas moins que La Flèche brisée est une étape cruciale pour le cinéma américain.

Récit intime et grande Histoire se confondent dans le film. Alors que l’armée américaine s’enlise dans une guerre sans perspective de fin, contre les apaches menés par le chef Cochise (Jeff Chandler), un homme se dresse face à la barbarie des combats. Tom Jeffords (James Stewart) refuse la logique du sang, et choisit d’apprendre les us et coutumes des indiens pour essayer de tisser un dialogue avec eux. Sa tentative, couronnée de succès, lui octroie un statut privilégié auprès du leader des apaches, et Tom est progressivement accepté en leur sein. Dès lors, il devient une passerelle précaire pour la paix, et s’évertue à assainir les relations entre deux camps qui se regardent avec défiance.

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Suivant une logique de pédagogie hautement affirmée à l’écran, La Flèche brisée épouse la mission saluable de mettre à jour une culture qui s’est vue atrocement noyée dans les bains de sang. En 1950, la plupart des indiens vivent désormais parqués dans des réserves, loin du regard d’une Amérique blanche insensible. Tout le moteur du film est donc de ressusciter leurs traditions ancestrales, et de se poser en témoin d’une époque où ils étaient encore maîtres des landes sauvages. Au fil des danses rituelles au coin du feu et des conventions de dialogue propres aux apaches, Delmer Daves immerge le spectateur dans un bain culturel trop peu vu jusqu’alors. Le long métrage se fait plein de douceur dans son dépaysement, à travers une collection de scénettes qui alimente l’immersion. Toutefois, une forme de fossé infranchissable ne manque jamais d’être souligné: Tom aura beau être accepté, certaines pratiques échappent à son bon sens, comme lorsque Cochise s’étonne de le voir s’essuyer les mains après un repas, plutôt que de se recouvrir les bras de graisse. Les apaches sont les garants d’une connexion plus profonde à la nature.

L’équilibre idéalisé et voulu par La Flèche brisée trouve toute sa substance dans une romance, celle qui réunit Tom et la jeune indienne Sonseeahray (Debra Paget). En faisant de leur idylle l’un des axes principaux de son film, Delmer Daves amorce un début de réponse à la problématique du film: le dialogue entre les peuples. Pour parvenir à un semblant de symbiose, ici exprimé par les élans du cœur, chacun doit faire un pas vers l’autre. Si Tom apprend le langage et la façon de penser apache en début de long métrage, Sonseeahray effectue elle aussi une avancée vers la culture des hommes blancs lorsqu’elle s’émerveille, un brin naïvement, de son alter ego en plein rasage. Chacun des deux protagonistes doit appréhender l’autre avec curiosité, envie, et sans arrière-pensée. La Flèche brisée assume la part de candeur propre à cet amour, car il croit sincèrement que seuls l’altruisme et le pardon peuvent guérir les maux de la guerre. Deux âmes sœurs poussées par leurs bons sentiments s’éprennent l’une de l’autre, même si le film ponctue par moment cette belle idée de fatalisme: Cochise n’est pas dupe et prévient les amants qu’ils ne seront acceptés nulle part.

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La communication est d’ailleurs la motivation première de la démarche de Tom, comme un symbole affirmé propre à l’œuvre. L’acheminement de lettres, bien qu’elles ne soient pas des communications militaires, est interrompu par les assauts répétés des indiens. Le héros de La Flèche brisée est poussé par la détresse des civils, même s’ils ne saisissent pas l’essence de sa démarche, et érigé par Delmer Daves en champion du peuple. Dans une ligne de dialogue virtuose, James Stewart se pose en témoin de ce que les deux ethnies ont en commun, au-delà de leur différence de façade: “Les lettres sont comme les signaux de fumée, et les gens qui les transportent comme le vent”. Le dialogue est la base de ces deux civilisations, le contrarié est une insulte qui n’a pas lieu d’être et une condamnation à l’immobilisme. Sans la parole, pas de futur possible.

Aussi porteur d’idées positives soit La Flèche brisée, le spectre de la haine plane sur l’ensemble du récit. Tom est un idéal à atteindre, mais le film l’isole profondément, le confronte aux mentalités les plus fermées, et essentiellement celles des blancs. Si le film s’ouvre bien sur une scène de mise à mort venue des apaches, la violence est loin d’être l’apanage des indiens. Au contraire, il semble que l’intolérance s’exprime bien plus vivement chez les compatriotes du héros. Dans un mouvement de foule irraisonné, ses semblables sont même prêts à pendre Tom, l’accusant d’être un “amoureux des indiens”. Le long métrage ne manque d’ailleurs pas de rendre compte régulier des affrontements entre l’armée et les apaches, qui ne cesseront jamais vraiment. La Flèche brisée dresse une dichotomie claire entre l’union qui s’opère entre le protagoniste principal et les amérindiens, et les scènes de guerre hachées et brutes dans lesquelles succombent de nombreux hommes. Le dialogue s’installe, mais le mal louvoie perpétuellement.

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La paix est l’ultime rêve de chacun, et le dernier tiers du film s’efforce de l’établir. La flèche que brise Cochise, et qui donne son titre au long métrage, est un symbole fort, un geste filmé avec une certaine emphase, mais est ce là un objectif atteignable ? Les dissensions dans le rang indien, qui permettront l’ascension de Geronimo, sont vives, tout comme l’appétence pour le sang de certains blancs qui violent ouvertement le traité de paix précaire. La douleur et la mort sont si fermement enracinées que La Flèche brisée se teinte de fatalisme: l’union entre les peuples ne peut venir d’être isolés, mais doit être le fruit d’un effort collectif total et absolu, sous peine que la haine ne reprenne. Il manque peut-être à ce titre une ultime séquence au long métrage. Au sortir de la séance, le public américain peut parfaitement comprendre que les autorités blanches ont tout fait pour obtenir la paix, et les violations des traités établis ne s’exposent pas ouvertement. L’armée a eu un certain rôle à jouer dans la reprise de la guerre, et La Flèche brisée choisit de s’arrêter juste avant d’y revenir, comme si le film souhaitait rester une œuvre pacifiste, au détriment des faits historiques.

La Flèche brisée marque une étape importante dans l’évolution des mentalités américaines sur la culture indienne. Empreint d’un pacifisme séduisant, le film invite les peuples à s’unir. Le chemin à parcourir reste long, mais Delmer Daves apporte sa pierre à l’édifice.

La Flèche brisée est disponible en Blu-ray chez Sidonis, avec en bonus:

  • Présentation par Patrick Brion et Bertrand Tavernier

Nicolas Marquis

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