Les Évadés de l’espace
Les Évadés de l'espace affiche

(宇宙からのメッセージ)

1978

Réalisé par : Kinji Fukasaku

Avec : Philip Casnoff, Vic Morrow, Etsuko Shihomi

Film fourni par Carlotta Films

En 1977, l’Histoire de la science-fiction change à tout jamais. Voué à devenir la première pierre d’une des sagas les plus cultes du septième art, La Guerre des étoiles déferle dans les salles, et provoque un engouement exceptionnel partout en Occident. Pour son créateur George Lucas, le début d’une épopée filmique unique qui fera rêver des générations entières durant des décennies commence. Pourtant, l’opus initial de la franchise Star Wars prend des allures de pari. Si le cinéma de l’époque a déjà entamé une transition lente vers une plus grande démocratisation du Space opera, le succès commercial n’est pas toujours au rendez-vous pour les grands studios, et l’enthousiasme qui entoure le film offre une légitimité nouvelle au genre. Malgré le budget conséquent dont il bénéficie, et l’appui de société à la pointe des trucages cinématographiques, George Lucas crée la sensation et dépasse toutes les attentes. Les producteurs du film semblent même partiellement pris par surprise, et bien que le Japon constitue un parc de salles non négligeable, l’exportation de La Guerre des étoiles dans l’archipel n’est pas prévue avant plus d’une année. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour les géants du cinéma nippon. Dans une course effrénée à l’élaboration de longs métrages largement, et parfois grossièrement, inspirés de l’œuvre américaine, les firmes iconiques locales se jettent sur la manne financière. Si la Toho ouvre les hostilités et connaît un petit succès en offrant au public The War in Space, c’est la société Toei qui provoque un véritable phénomène de société avec Les Évadés de l’espace. Réalisé en un temps record, et constituant à l’époque le plus gros budget de l’Histoire du cinéma japonais, le film de Kinji Fukasaku est adulé par les foules, se révélant ironiquement plus rentable dans le pays que La Guerre des étoiles qui ne sortira que quelques mois plus tard, alors qu’il en emprunte ostensiblement nombre d’éléments. Preuve de son succès, le film donnera par la suite naissance à la série télévisée San Ku Kaï.

Réduire l’Histoire du Space opera nippon à un simple travail de copiste est toutefois réducteur, et Les Évadés de l’espace hérite en réalité autant de son ascendance américaine que des grandes œuvres japonaises préalables. Dès 1974, Space Battleship Yamato, de Leiji Matsumoto, relance la mode de la fresque spatiale au cinéma nippon, et constitue une autre source d’inspiration notable du film. Faire appel à Kinji Fukasaku pour la mise en scène du long métrage de la Toei convoque également le souvenir légèrement plus ancien de Bataille au-delà des étoiles, sorti en 1968, que l’artiste avait réalisé, et dans lequel il dirigeait déjà un casting anglo-saxon, comme c’est partiellement le cas dans Les Évadés de l’espace. En 1977, Kinji Fukasaku est à un pic de sa popularité. Ses films de Yakuza sont plébiscités au Japon, mais ne représentent qu’une des innombrables facettes de ce caméléon du cinéma apte à tous les genres, ayant même plusieurs fois collaboré avec les studios américains. Les producteurs n’hésitent pas à lui confier de gros budgets, certains de la rentabilité de l’investissement, et sa nomination à la tête du projet est presque une évidence pour la Toei. Trois ans après Les Évadés de l’espace, Kinji Fukasaku battra d’ailleurs à nouveau le record du film japonais le plus cher de l’Histoire, avec Virus, témoignage de la foi que lui accordent les décisionnaires.

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Dans Les Évadés de l’espace, le cinéaste nous propose de voyager à travers le cosmos, jusqu’à la planète Jillucia, dont le peuple est persécuté par les terribles Gavanas, dirigés par l’effroyable Rockseia 12. Pour s’extirper du joug de l’envahisseur, les opprimés se tournent vers leur divinité, Liabé, qui manifeste son pouvoir à travers huit noix destinées à parcourir l’espace et à s’offrir aux héros à même de libérer les Jilluciens de la tyrannie. Les fruits mystiques trouvent leurs destinataires sur Terre, dans les mains d’intrépides pilotes de vaisseaux, d’un ancien soldat, et d’un truand minable. Mais les Gavanas ont suivi la trajectoire des noix prophétiques, et jettent leur dévolu sur notre monde.

En s’appropriant un large nombre d’éléments propres à La Guerre des étoiles, Les Évadés de l’espace tisse dès lors avec le spectateur actuel un jeu de similarités amusant. La proximité criante entre certains personnages communs aux deux œuvres, allant de l’aspirant pilote analogue à Luke Skywalker à la princesse en perdition semblable à Leia jusque dans ses costumes, ne laisse planer aucun doute sur la volonté des scénaristes d’émuler la recette concoctée par George Lucas. La dynamique initialement conflictuelle mais finalement complice entre les protagonistes, et leur trajectoire allant de la pauvreté affirmée au rang de sauveur de la galaxie confère au long métrage un souffle épique déjà perçu dans Star Wars. L’emprunt manifeste se retrouve jusque dans certaines séquences rigoureusement identiques, et culmine dans un final extrêmement proche de l’inspiration américaine. Néanmoins, Les Évadés de l’espace jouit d’une folie débordante et d’une décomplexion omniprésente qui lui permet de trouver sa propre identité. Kinji Fukasaku semble résolu à offrir au spectateur le spectacle le plus exubérant possible, multipliant les coups d’éclat filmiques. Les effets spéciaux du film en sont l’incarnation. Bien que l’œuvre soit à l’époque la plus chère du cinéma japonais, son budget est moitié moindre que celui de La Guerre des étoiles. Le réalisateur compense le manque financier par une ingéniosité visuelle qui atteste du savoir-faire nippon. Le travail autour des maquettes reste bluffant aujourd’hui, et rappelle inexorablement les films de Kaiju qui rythment le cinéma local de l’époque. L’utilisation de Totsu ECG, une technique de superposition des images, est quant à elle moins convaincante, et témoigne davantage d’un procédé encore balbutiant à ce moment de l’Histoire, mais montre toutefois la volonté du metteur en scène de faire de son oeuvre une démonstration des technologies émergentes.

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Cependant, la douce démence loufoque qui habite Les Évadés de l’espace se retrouve en définitive davantage dans le déroulé du scénario, que dans l’aspect technique du film. Kinji Fukasaku est déterminé à métamorphoser le long métrage en terrain de jeu propice à tous les excès, franchissant parfois les limites du grotesque mais toujours avec un aplomb qui le rend attachant. Si le squelette scénaristique est celui de La Guerre des étoiles, le cinéaste l’étoffe d’excentricités prodigieuses d’audace, dans un exercice de libre expression. Au plus iconique, le vaisseau spatial strictement identique à un bateau pirate accompagne cette idée. Dans des élans plus farfelus, les scènes de danse en petites tenues et de beuverie dans les bars, qu’on raconte non simulées pendant le tournage, offrent une aura délicieusement décalée aux Évadés de l’espace. Mais surtout, la très grande accumulation de personnages et l’avalanche d’explosions démesurées démontrent la générosité libre de toutes contraintes propres au film. Il n’existe absolument aucune limite dans l’œuvre de Kinji Fukasaku, au point que parmi les huit héros choisis par les noix de Liabé, certains apparaissent totalement inutiles, et le clament haut et fort à l’écran. Tout est permis dans ce royaume de l’imaginaire, surtout le plus improbable, au fil d’une course vers un plaisir presque enfantin, qui se manifeste notamment à travers l’une des protagonistes, mutine, rieuse et attirée irrésistiblement par les lueurs du ciel, comme le réalisateur du film.

Les Évadés de l’espace se démarque également de La Guerre des étoiles dans son approche de certains grands thèmes propres à l’épopée proposée. Si les deux œuvres partagent l’idée qu’une poignée de héros peut sauver la galaxie, le long métrage japonais ne leur confère aucun pouvoir paranormal. Le concept de la Force est totalement absent du récit. Les héros ne sont pas des surhommes, et la destinée manifeste est partagée entre de nombreux personnages, refusant dès lors l’idée d’un élu unique. Si le mysticisme est omniprésent, il ne sert qu’à aiguiller vers une prise de conscience personnelle, et ne trace jamais un chemin affirmé ni ne confère une puissance supérieure. Pour devenir héros, presque tous les protagonistes passent par une phase de doute clairement exprimée, allant parfois jusqu’à refuser les noix de Liabé. Personne ne naît messie dans Les Évadés de l’espace, chacun le devient après une période d’introspection, et à la lumière de l’émotion que suscite le sort effroyable des Jilluciens, faisant ainsi de l’ouverture sur l’autre la voie vers l’héroïsme. Seule une terrienne choisie par l’un des fruits semble immédiatement émue par la condition du peuple extraterrestre, accentuant ainsi une volonté du film d’offrir une noblesse de cœur plus affirmée chez les femmes que chez les hommes. Que ce soit cette protagoniste, intrépide et assoiffée de justice, ou la princesse de Jillucia vouée à assumer le rôle de guide envers les siens, un pouvoir féminin s’affirme.

Ces deux personnages trouvent néanmoins un contrepoint chez deux autres femmes du récit, toutes deux fortement âgées, profondément mauvaises, et à plus d’un titre semblables à de vraies sorcières. Néanmoins, Kinji Fukasaku fait le choix de confier leur interprétation à des hommes grimés, rejoignant par là même l’esprit du théâtre ancien japonais et des premiers temps du cinéma, où les rôles de femmes était interprété par des acteurs masculins. Cette envie apparaît loin d’être anodine, tant Les Évadés de l’espace s’épanouit dans l’affirmation d’une âme purement nippone, malgré l’emprunt initial à l’occident. Un large spectre d’éléments scénaristiques et visuels ancre le film dans le paysage culturel de son pays. La science fiction locale est clairement invitée à l’écran, à l’image de la mention de l’énergie atomique, qui rappelle vaguement Godzilla, où à la façon dont les vaisseaux des héros s’assemblent pour n’en former qu’un, typique des Tokusetsu, mais aussi annonciateur de l’émergence future de Gundam. Il apparaît même réducteur de ne confiner Les Évadés de l’espace qu’à la science-fiction tant son réalisateur multiplie les clins d’œil appuyés aux autres genres iconiques de l’archipel, qu’il connaît par cœur pour les avoir souvent mis en scène. Apôtre de ce style cinématographique, Kinji Fukasaku convoque l’âme des films de Yakuza à travers un personnage de truand minable, et en criblant deux autres protagonistes de dettes. De manière encore plus ostentatoire, le chambara est invité dans le mélange hétéroclite, à travers la représentation de Rockseia 12 et de son rival injustement destitué du trône, tous deux arborant des armures évoquant celles des samouraïs, et sabre en main. Durant une séquence très étrange, les contes de Yokai sont aussi de la partie, au fil du récit d’une vieille femme ayant enfantée un monstre, inscrit dans l’imagerie d’une maison traditionelle japonaise loin de la science-fiction, où l’âtre occupe la place centrale du foyer. Si Les Évadés de l’espace lorgne du côté de La Guerre des étoiles, son accomplissement prend des allures de retour aux sources, lorsqu’on sait que George Lucas a très souvent évoqué Akira Kurosawa en influence majeure de sa saga. Asie et Occident communiquent à travers les deux films, et il est même permis de penser que certains éléments de l’œuvre japonaise, notamment certains décors et la course poursuite finale en vaisseau spatial dans les couloirs de la forteresse maléfique, ont inspiré les suites de Star Wars.

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Les Évadés de l’espace trouve une originalité bienvenue dans une réflexion écologique novatrice, absente de La Guerre des étoiles. En faisant de notre Terre le centre de l’histoire, et en lui confrontant l’image d’une autre planète dévastée par la folie des hommes, devenue machine de guerre davantage que berceau de la vie, le film alerte sur un éventail de problèmes environnementaux et sur une industrialisation à outrance. Seuls les Jilluciens sont montrés proches de la nature, à travers leurs cultes et les noix de Liabé, mais aussi leur vaisseau spatial employant une énergie qu’on devine propre. Les Gavanas, garants du mal, sont à l’inverse associés à une architecture froide, anguleuse, et métallique. De plus, un ensemble d’éléments alerte l’humanité sur les problèmes de pollution, en accord avec la lente prise de conscience qui gagne la société des années 1970. À plusieurs reprises, l’homme se rend coupable d’une perversion de l’écosystème. En conquérant l’espace, les Terriens l’ont jonché de détritus gravitant autour des planètes et créant un danger toxique. Suivant l’idée que l’équilibre avec la nature doit être préservé, l’un des personnages, sur le point de mourir, se rappelle le souvenir lointain de la magnificence de la nature et des animaux, alors que notre planète est le plus souvent montrée comme aride et désertique. Le péril nous gagne, et symboliquement, le salut vient de noix.

Le long métrage appelle dès lors à une prise de conscience collective, et confronte le bien de l’homme à son système de gouvernance actuel, qui n’officie que rarement dans l’intérêt commun. Même si le nombre de héros, huit, n’est pas choisi au hasard et fait référence à un récit fondateur de la littérature japonaise, il est permis de voir dans cette volonté de souder un groupe, l’envie d’inviter à une union face à la répression. À l’évidence, la vision de la dictature et du système totalitaire est omniprésente chez les Gavanas, alors que Rockseia 12 a usurpé le trône et impose un règne de la terreur où il dispose de la vie de ses sujets à merci. Pour symboliser le mal d’un pouvoir autocratique, Les Évadés de l’espace représente l’ensemble des Gavanas, y compris leur régent, le visage peint d’une peinture grise, les rendant tous identiques et ainsi privés de sentiments. La seule exception à cette règle se trouve chez l’héritier légitime, presque sans maquillage, et dont on peut dès lors distinguer les émotions. Toutefois, le film semble alerter notre propre monde sur ses dérives, et en offre une vision désenchantée. Si les technologies futuristes ont connu un essor fabuleux, les Terriens sont presque toujours montrés comme vivant dans une pauvreté absolue, soumis à l’autorité. Durant toute la première moitié du long métrage, le pouvoir militaire supplante même scénaristiquement celui politique, étrangement absent. Ce n’est qu’une fois l’exposition d’une forme de présidence démocratique mondiale que l’intrigue se résout, alors qu’en parallèle le peuple dans sa diversité que symbolise les huit élus prend son destin en mains. Par ailleurs, et même s’il faut y voir davantage une volonté de production liée aux possibilités d’export du long métrage, s’appuyer sur un casting international accentue l’universalité du message.

Farfelu, décomplexé et épique, Les Évadés de l’espace se redécouvre avec un plaisir enfantin, et apporte une touche très japonaise au monde du Space opera.

Les Évadés de l’espace est disponible en combo Blu-ray et DVD chez Carlotta Films, dans une édition prestige limitée à 2000 exemplaires, avec en bonus:

  • Graines de star : un entretien avec Fabien Mauro et Jérôme Wybon
  • La bande annonce originale
  • Un fac-similé du dossier de presse d’origine
  • 6 cartes postales
  • L’affiche du film
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Nicolas Marquis

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