La Revanche des humanoïdes
La Revanche des humanoïdes affiche

1983

Réalisé par : Albert Barillé

Avec : Roger Carel, Annie Balestra, Claude Chantal

Film fourni par Carlotta Films

Tel un puits d’érudition intarissable, l’œuvre d’Albert Barillé porte en elle les nobles vertus du partage et de la transmission du savoir aux jeunes générations. Habité par l’envie perpétuelle de léguer ses connaissances, le réalisateur et scénariste a fait de l’éducation et de l’élévation intellectuelle le moteur de sa démarche artistique. Après le succès de son dessin animé Colargol au début des années 1970, empreint de légèreté mais néanmoins d’une certaine poésie philosophique, il s’attèle à l’élaboration de ce qui allait devenir son héritage encyclopédico-télévisuel le plus conséquent avec la grande saga des Il était une fois…, en 1978. L’homme, L’espace, La vie, Les Amériques, Les découvreurs, Les explorateurs et Notre Terre : Albert Barillé berce pendant plus de trente ans les enfants de plus de cent-vingt pays, au rythme de ses leçons savantes sur le monde qui nous entoure et sur son Histoire. Lui-même enfant modeste qui doit la profondeur de son instruction à sa passion dévorante pour la lecture et la recherche, l’auteur sait pertinemment que la société de demain appartient à la jeunesse d’aujourd’hui, et qu’il est de la responsabilité de chaque adulte de laisser dans son sillage les clés d’un futur meilleur.

Si aujourd’hui, les séries d’Albert Barillé sont unanimement reconnues pour leur valeur pédagogique, et même si le succès est très tôt au rendez-vous pour les Il était une fois…, l’élaboration de La Revanche des humanoïdes représente le pari fou d’une équipe créative portée par la noblesse de sa mission, en 1983. Regroupant la trame des six derniers épisodes de Il était une fois… L’espace en un seul film complètement inédit, l’œuvre constitue une excentricité dans le paysage cinématographique de l’époque. Non seulement le Space opéra français est quasiment inexistant, mais même les longs métrages d’animation hexagonaux peinent à exister au début de la décennie. Le Roi et l’oiseau, de Paul Grimault, jouit d’un excellent accueil trois ans plus tôt mais reste une exception du septième art local. Fédérer une cohorte d’artistes talentueux autour d’un projet de grande envergure se révèle donc particulièrement ambitieux, et Albert Barillé assume le rôle de chef d’orchestre de sa troupe. Accompagné de Jean Barbaud, déjà présent sur Il était une fois… L’homme, pour le design des personnages, du dessinateur Manchu pour celui des vaisseaux et villes, de Afroula Hadjiyannakis pour les décors des planètes, et du grand Michel Legrand pour la musique, le cinéaste mène à bien collectivement la conception d’une œuvre pourtant très intime. À l’occasion des quarante ans de la société de production Procidis, une restauration complète de La Revanche des humanoïdes est proposée au public, désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Carlotta Films, concluant ainsi le travail engagé sur l’ensemble de la saga Il était une fois… .

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Dans un futur où les voyages spatiaux sont devenus courants, Pierrot, Psi et le robot Métro mènent une mission de reconnaissance pour la Confédération d’Oméga, un ensemble démocratique réunissant humains et extraterrestres. Au cours de leur périple, les trois aventuriers sont témoins de l’assemblage d’un gigantesque canon capable d’anéantir une planète entière. Le terrible engin est manipulé par les Humanoïdes, un groupe d’androïdes à l’intelligence artificielle particulièrement développée, qui désire assouvir les races vivantes pour leur imposer un ensemble de règles totalitaires idiotement jugées bénéfiques pour elles. Échoués sur une planète avoisinante, Pierrot, Psi et Métro entre en contact avec des hommes et des femmes vivant déjà l’oppression robotique, et tentent de se soulever.

Il était une fois… L’espace, et par extension La Revanche des humanoïdes, se distingue ostensiblement du reste de l’œuvre de Albert Barillé en offrant au cinéaste un champ fictionnel plus fourni. Bien que le réalisateur reste un pourvoyeur de savoir factuel notoire, le film lui permet de se défaire plus librement des contraintes de ses autres séries, soumises à la nécessité d’une rigueur scientifique totale. L’imagination débridée de l’auteur a ici toute la place pour s’exprimer, et celui qui a si magnifiquement transformé l’Histoire de l’homme en odyssée devient le conteur de son propre récit. Pionnier des programmes télévisés ludo-éducatifs, Albert Barillé initie un dialogue à cœur ouvert entre l’adulte qu’il est et les enfants qui sont sa cible privilégiée, autour de thèmes de société profonds et importants, rendus parfaitement intelligibles à un jeune public, notamment grâce à la présence de personnages communs à tous les Il était une fois… . Le chercheur s’efface devant l’artiste et le libre penseur. La Revanche des humanoïdes s’affirme également en grand film d’aventure conscient et amoureux de ses influences : des clins d’oeils appuyés à Star Wars, Godzilla, ou Star Trek, à la reprise de thématiques préalablement perçues dans Dune, que le cinéaste avoue avoir dévoré, le long métrage distille ses références avec malice et intelligence, et surtout jamais gratuitement.

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La patte caractéristique des Il était une fois… se retrouve dans une courbe de progression scénaristique, entamant son périple au berceau de l’humanité, pour aboutir à l’apogée des sociétés modernes futuristes. Dans une brève introduction très rythmée, La Revanche des humanoïdes laisse entrapercevoir des hommes de cro-magnons que rencontrent Pierrot et Psy, avant que l’image d’êtres seuls face à une nature hostile, réunis au coin du feu, soucieux de leurs outils et vêtus d’accessoires tribaux ne s’invite. Puis vient le temps des villes, d’abord modestes puis complètement mécanisées, avant que le grand final de l’œuvre n’offre une représentation démesurée d’un grand univers démocratique où chaque espèce a voix au chapitre, comme un doux idéal. Même au cœur d’une pure fiction, Albert Barillé restitue son savoir relatif à l’évolution. De la même manière, l’aventure qui s’ouvre sur le naufrage d’un couple unique agglomère autour d’elle toujours davantage de protagonistes, comme une explosion démographique scénaristique totale, jusqu’à aboutir sur des visuels finaux qui convoquent des milliers d’individus. La Revanche des humanoïdes reste une œuvre de science-fiction, mais elle utilise les codes de l’Histoire que connaît parfaitement son réalisateur.

Si Albert Barillé a fait de la transmission de la connaissance le but de toute une vie, son film distille une autre forme de savoir et s’érige rapidement en école de la pensée critique apte à être assimilée par petits et grands. Face à un système autocratique, qui entrave les libertés de l’homme, la révolte est un acte nécessaire, et le sacrifice de soi au bénéfice d’un idéal commun indispensable. Avec la représentation d’hommes résignés face à la rigueur mathématique des Humanoïdes, que Pierrot mène à un grand soulèvement populaire, La Revanche des humanoïdes quitte le simple champ de la science-fiction pour devenir une œuvre philosophique à même de faire réfléchir à notre propre condition. La loi n’a de sens que si elle sert le bonheur collectif, mais également si elle se prête à une remise en cause de son application. Tout dogme mécaniquement appliqué, sans conscience humaine, ne peut aboutir qu’à un malheur institutionnalisé. En opposant une assemblée de créatures diverses à des robots d’apparence tous semblables, Albert Barillé réussit le pari insensé d’inviter les enfants, de façon parfaitement compréhensible, à prendre le parti de la diversité face au conformisme et à célébrer les différences. La solution se doit d’être collective et non individualiste, et le long métrage souligne cette idée en incitant les héros à tendre la main à leurs antagonistes. Le réalisateur prolonge l’idée soufflée par le combat de ses protagonistes face à l’uniformisation dans ses déclarations : 

“Ne pas accepter l’esclavage  ; non pas au nom d’un désir de conquête mais tout simplement pour la dignité de l’homme, qui ne peut pas accepter la dictature de la machine ou des hommes qui sont des machines.” 

Albert Barillé
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Les Humanoïdes ne sont pour autant pas à proprement parler mauvais, mais agissent simplement sans une conscience des sentiments, empruntant ainsi le chemin du totalitarisme. Lors d’un échange entre Psi et l’un des robots, l’être mécanique affirme ne pas comprendre la nature des émotions. Il a une connaissance absolue des mécaniques organiques de l’humain, mais est incapable de percevoir le fonctionnement de l’âme. Alors que son créateur est un formidable encyclopédiste, La Revanche des humanoïdes remet en cause le bien fondé d’un savoir s’il n’est pas appliqué avec la sagesse du cœur. Prolongeant cette idée, Albert Barillé met en accusation une humanité qui accorde une trop grande confiance à ses outils, jusqu’à être dépassée par sa création. Les Humanoïdes ne sont jamais plus que le résultat de l’égocentrisme d’un homme, convaincu que le salut est dans la robotisation. Dans le même ordre d’idée, l’échange d’armes à feu entre Pierrot et des autochtones dénonce l’importance démesurée accordée aux biens matériels, au détriment de la symbiose entre les espèces. Symboliquement, cette peuplade, tout comme les androïdes, est destinée à être annihilée par les forces de la nature. Le réalisateur déclare à ce sujet:

“Ce film a une motivation très profonde qui surgit vers la fin. À savoir qu’avec les meilleures intentions du monde, ne donnez pas trop de pouvoir à vos créations, les machines, les robots, sinon, un jour ou l’autre, ils voudront ou pourront supplanter les hommes. On a beau me dire que le cerveau humain est infiniment plus subtil que ne peut l’être un ordinateur ; mais un ordinateur peut penser des milliers, des millions de fois plus et plus vite qu’un cerveau humain, il n’y a pas les mêmes scrupules ou motivations. Il peut aussi s’amuser et pour lui, la vie humaine ne signifie rien.” 

Albert Barillé

La Revanche des humanoïdes refuse toutefois le manichéisme, et trace une voie où l’utilisation de la technologique est nécessaire : en pourvoyant le robot Métro d’une personnalité, Albert Barillé fait de lui un élément de la résolution de l’intrigue, apte à aider le mythique Maestro dans ses calculs, à travers une relation d’échange équivalent.

Le long métrage énonce clairement que pour acquérir un savoir, il faut le mériter. Octroyer à l’homme un nouvel outil, sans contrepartie, alors qu’il n’a pas éprouvé préalablement le chemin complexe fait d’erreurs et de tâtonnements qui le conduit vers cette connaissance supérieure, ne peut que le mener vers le chaos. Début et fin du film se répondent, alors que Pierrot et Psy sauvent des hommes de cro-magnons à l’entame du récit, mais les invitent à poursuivre seuls leur évolution, tout comme une intelligence mystique vient au secours des protagonistes dans la conclusion de l’œuvre en leur prodiguant le même conseil. L’essence de l’art d’Albert Barillé se retrouve dans cette volonté scénaristique. Le cinéaste a offert le fruit de son éducation et de ses recherches à la jeune génération, tout en l’incitant à poursuivre la voie qu’il a commencé à tracer. Le réalisateur n’a jamais perdu foi en l’humanité, et son fils Gilbert le définissait volontiers comme “un vrai humaniste comme ceux du XVIIIe siècle qui croyaient profondément en l’homme et en ses capacités.”. La Revanche des humanoïdes en est l’une des plus belles preuves.

Fidèle à sa légende, Albert Barillé fait de La Revanche des humanoïdes un vecteur de transmission du savoir, mais aussi une initiation magnifique à la pensée critique.

La Revanche des humanoïdes est disponible en combo Blu-ray / DVD, en édition prestige limitée, chez Carlotta Films, avec en bonus:

  • Les commentaires audio de Albert Barillé
  • La piste musicale isolée de Michel Legrand
  • Il était une fois… La restauration : un making of réalisé en 2022
  • Bandes annonces originale et de la restauration

Ainsi que de nombreux Memorabilia : 

  • Un fac-similé de l’album du film
  • Un jeu de 6 cartes / Dessins préparatoires
  • Un paquet de 8 stickers collector
  • L’affiche du film

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

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