Winchester ’73
Winchester '73 affiche

1950

Réalisé par: Anthony Mann

Avec: James Stewart, Shelley Winters, Stephen McNally

Film vu par nos propres moyens

À l’orée des années 1950, James Stewart est un acteur en perte de vitesse. Bien qu’il reste une icône d’Hollywood, ses succès de la décennie précédente sont déjà loin dans un microcosme qui vit à vive allure. Ses chef-d ‘œuvres, notamment sous l’égide de Frank Capra, restent dans toutes les mémoires, mais une succession d’échecs dans la période d’après guerre malmène son image. Une profonde remise en cause s’initie alors pour le comédien: conscient de son statut vacillant, James Stewart fait le pari de se réinventer et de surprendre les spectateurs dans des rôles aux antipodes de son répertoire habituel. Un cycle s’ouvre, et une complicité sans faille s’affirme sur grand écran alors que le réalisateur Anthony Mann est sollicité par l’acteur pour l’accompagner dans cette nouvelle aventure. Les deux hommes se connaissent déjà intimement, ayant déjà collaboré un temps au théâtre, mais c’est cette fois dans l’exposition des grands espaces américains qu’ils se retrouvent. 5 films naissent de leur union cinématographique, 5 westerns qui redorent le blason de James Stewart durablement. Le premier d’entre eux, Winchester ‘73, se révèle même révolutionnaire dans le mode de fonctionnement des productions de l’époque: pour la première fois depuis l’avènement du cinéma parlant, la tête d’affiche d’un film n’est plus uniquement rémunérée par un cachet, mais touche également un intéressement sur les bénéfices. Une nouveauté vouée à devenir la norme dans les années à venir. Au final, le public plébiscite Winchester ‘73, faisant de l’œuvre une étape cruciale dans l’Histoire du western.

À l’évidence, personne ne s’attend à voir James Stewart jouer les pistoleros à l’époque, et c’est pourtant le cas dans le long métrage. Il y incarne Lin McAdam, un cowboy lancé sur les traces de Dutch Henry Brown, que joue Stephen McNally, pour assouvir une vengeance aux motivations obscures de prime abord. Tous deux se retrouvent à Dodge City, au cours d’un concours de tir où les as de la gâchette rivalisent de précision pour gagner un fusil légendaire, une Winchester à la conception parfaite, surnommée le “One in one Thousand”. Si Lin remporte le tournoi, Dutch lui dérobe son prix et file dans les landes sauvages. Winchester ‘73 restitue alors la poursuite infernale entre les deux hommes, bientôt rejoint par Lola, campée par Shelley Winters, prise en étau entre les deux hommes.

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Alors que Winchester ‘73 constitue l’une des premières œuvres où James Stewart enfile le costume de cowboy, Anthony Mann met un point d’honneur à narrer son histoire dans une époque charnière de la construction de l’identité américaine. Comme un symbole, le film s’ouvre sur des visuels de Dodge City, se préparant à fêter l’anniversaire de l’indépendance des USA. À plus forte raison, incarné Wyatt Earp à l’écran, un véritable symbole de justice pour l’Amérique ayant bel et bien existé, accentue l’envie du film de ne pas s’épanouir dans une bulle temporelle fantasmée. Pourtant, au moment où prend place l’intrigue, la population vit encore les blessures de la guerre de sécession, et la paix relative trouvée sème une forme de confusion. En faisant de Lin un ancien sudiste, Winchester ‘73 joue avec l’image de James Stewart, avant que l’on ne comprenne, dans une séquence où il combat avec des militaires de l’armée confédérée, que les ennemis d’hier sont devenus les alliés d’aujourd’hui par la force des choses. Le pays se reconstruit.

Cependant, un autre conflit à pris la place de la guerre civile, celui qui oppose les hommes à la peau blanche aux indiens. Les références récurrentes à la bataille de Little Big Horn, véritable défaite pour l’armée américaine, accentuent ce positionnement. Si la population amérindienne est source de péril, et même si Winchester ‘73 finit par les mettre en scène comme une meute désincarnée avide de sang, le long métrage marque une évolution de son temps: les indiens ne sont plus des antagonistes froids, sans autre motivation que la haine inexpliquée. Cela reste discret dans l’œuvre d’Anthony Mann, mais dans une brève ligne de dialogue, le chef indien explique que les hommes blancs tuent les siens, et que sa vengeance n’est pas déraisonnée, tissant ainsi un parallèle avec la quête de Lin. Par ailleurs, 1950 est aussi l’année de sortie d’un autre western avec James Stewart, La flèche brisée, dans lequel les natifs américains étaient profondément humanisés. L’évolution est dans l’air du temps.

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Il serait toutefois rigoureusement malhonnête de parler d’œuvre prônant la tolérance en ce qui concerne Winchester ‘73. À l’évidence, l’action est le nerf de la guerre dans le film, et une forme de haine endémique est même dessinée par Anthony Mann. En faisant d’un fusil l’objet de toute les convoitises, et en taisant les racines du drame qui unit Lin et Dutch pendant presque tout le long métrage, Winchester ‘73 témoigne d’une violence profondément enracinée dans le paysage américain. Pire, alors qu’à Dodge City, pistolets et fusils sont proscris, laissant ainsi apparaître un idéal que les USA n’ont toujours pas adopté à l’heure actuelle, l’œuvre s’épanouit par la suite dans une course à l’armement. La loi du plus fort, du mieux équipé, prime sur des valeurs humaines qui ne sont étalées qu’à la toute fin. Le personnage de Lamont, joué par John McIntire, est même ouvertement un profiteur de guerre, qui vend ses biens à qui lui fait la meilleure offre, sans se soucier des mains qui manipuleront ses instruments de mort. Sur le plateau, Shelley Winters fait part de ses inquiétudes à Anthony Mann: elle doute de la solidité de son rôle, ne comprenant pas pourquoi tous ces hommes convoitent une Winchester plutôt que le personnage qu’elle incarne. Pourtant, à l’écran, la logique de Winchester ‘73 est claire: les sentiments les plus intenses chez l’homme sont la haine et l’appât du gain.

Anthony Mann joue même de la mise en scène pour montrer la criminalité comme une fatalité propre à l’époque. Au moment d’introduire le personnage du truand fou de la gâchette Waco Johnnie Dean, incarné par Dan Duryea, le cinéaste casse le décor: en un seul mouvement de caméra, le malfrat passe de l’extérieur, où il échange des coups de feu avec les forces de l’ordre, à l’intérieur d’une maison où il est confronté à une mère de famille et à ses enfants. Le mal insidieux de la violence s’immisce dans le moindre foyer, contamine une Amérique aux abois. Par le dialogue, ce même personnage souligne cyniquement la banalité de la situation, qualifiant l’échauffourée de simple “Samedi soir au Texas”. Winchester ‘73 en deviendrait presque fataliste, puisque le contrepoids censé être apporté par Lin n’intervient que tardivement. Durant la grande majorité du film, lui-même n’est habité que par sa soif de vengeance, et il n’envisage le futur que très vaguement. Son ami High Spade, campé par Millard Mitchell, incarne bien la loyauté et l’amitié sans faille, mais Lin n’est pas dans un rapport d’égal à égal avec lui, et lorsque son partenaire évoque un retour vers le travail des champs, James Stewart marque un détachement certain. L’heure n’est pas à la paix.

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Winchester ‘73 tutoie même une forme de pureté dans la haine, un retour aux mythes ancestraux, qu’ils évoquent les textes bibliques ou même Hamlet. De la lente course entre Lin et Dutch, véritable fil rouge du film sur un rythme lancinant qu’émulera plus tard le western spaghetti, se détache le sentiment d’un retour à une violence primaire. Le long métrage a beau enrober son histoire d’enjeux plus admissibles par le public, son but ultime est une vengeance froide: quoi qu’il arrive, sans que le spectateur n’en doute une seule seconde, et même si ses motivations sont légitimes, Caïn finira par tuer Abel. En étalant leur affrontement loin de toute civilisation, dans une dédale de roche, Anthony Mann convoque les démons immémoriaux de l’homme à travers un décor dépouillé. Le cercle de la violence n’est brisé qu’en apparence, la rétribution de Lin doit être obtenue coûte que coûte.

Winchester ‘73 joue de l’image de l’héroïsme propre à James Stewart pour délivrer un récit plus fataliste qu’il n’y paraît. La violence s’exprime au-delà des apparences.

Winchester ‘73 est disponible chez Sidonis Calysta, en Blu-ray restauré, dans une édition comprenant:

  • Nouvelle version restaurée en DVD
  • Présentations Patrick Brion et Bertrand Tavernier
  • Enregistrement original du LUX RADIO THEATRE le 12 novembre 1951

Nicolas Marquis

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