Don’t Breathe: La Maison des ténèbres
Don't Breathe affiche

2016

Réalisé par: Fede Álvarez

Avec: Stephen Lang, Jane Levy, Dylan Minnette

Film vu par nos propres moyens

Pour Fede Álvarez et Rodo Sayagues, le passage de la relative confidentialité des plateaux de tournages uruguayens au devant de la scène américaine est le fruit d’une simple rencontre, qui bouleverse leurs vies. Alors qu’ils sont encore d’illustres inconnus pour le grand public, l’ombre bienveillante d’un parrain de choix plane sur leur parcours, et les propulse sous le feu des projecteurs. En 2013, le génial Sam Raimi repère le duo, et reconnaît en eux l’envie intense de cinéma qui l’avait lui-même habité de nombreuses années auparavant. Une flamme passionnée identique brûle dans l’âme du réalisateur et du scénariste sud-américain, et comme un leg précieux, leur aïeul leur offre son enfant démoniaque le plus cher: le remake de Evil Dead est confié au tandem. Si l’heure n’est pas encore au succès critique pour Fede Álvarez et Rodo Sayagues, leur trajectoire se dessine, et les portes du cinéma d’horreur s’ouvrent à eux. Il ne faudra attendre que 3 ans pour que leur talent se confirme sur grand écran: en 2016, toujours sous l’égide de Sam Raimi qui coproduit le long métrage, le duo livre Don’t Breathe: La Maison des ténèbres. Dans une proposition oppressante et claustrophobique, la plume de Rodo Sayagues offre à la caméra de Fede Álvarez une histoire désormais libre de tout héritage. L’identité du binôme s’affirme, leur malice et leur vice également, et l’explosion médiatique est totale. Durant deux semaines, Don’t Breathe: La Maison des ténèbres s’offre même la tête du box-office américain, glaçant le sang d’un public subjugué.

Leur histoire s’inscrit dans un contexte de précarité extrême. Rocky, Alex et Money (respectivement Jane Levy, Dylan Minnette et Daniel Zovatto) sont trois jeunes adultes des rues de Détroit, plongés dans un monde de criminalité. Pour palier à la pauvreté de leurs existences, ils enchaînent les cambriolages modestes dans les quelques maisons luxueuses de la ville. Envoutés par l’appât du gain et la perspective d’un butin inespéré, ils planifient leur futur larcin: le vol de la fortune d’un ancien GI devenu aveugle (Stephen Lang), ayant obtenu une compensation financière à la suite du décès de sa fille. Le coup semble facile pour le trio, pourtant, une fois sur place, leur plan déraille totalement et la confrontation avec l’ancien militaire vire au massacre.

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Dans son enrobage, Don’t Breathe: La Maison des ténèbres prend des allures de jeu de cache-cache sadique. Rapidement, Fede Álvarez impose une structure de huis-clos à son récit: l’avarice a conduit les protagonistes sur le lieu du drame, et le destin se joue d’eux en les enfermant dans cette humble maison, lourdement cadenassée. Le piège se referme sur les trois adolescents, et le film s’amuse de sa forme pour insuffler une originalité constante à cette courte proposition. La cécité du vétéran est l’occasion pour le réalisateur de varier sa mise en scène pour redoubler d’ingéniosité: outre le ludisme des séquences offrant des variations autour de la lumière, ou bien les expérimentations sonores constantes, le cinéaste multiplie les mises en place où les trois jeunes sont face à un homme qui ne peut pas les voir. La haine aveugle est proche d’eux, à portée de main, et le déferlement de violence est volontairement chaotique dans ses explosions. C’est toutefois dans les mouvements de caméra que Don’t Breathe: La Maison des ténèbres se révèle le plus novateur: Fede Álvarez offre nombre de visuels fuyants et ininterrompus, des longs plans séquences qui traversent son décor comme le souffle d’une respiration. Dès lors, chaque rupture avec cette logique, par l’intermédiaire de plans fixes terrifiants porteurs de jumpscares subtilement amenés, fait suffoquer le spectateur pourtant prévenu par le titre de l’œuvre. 

Cependant, la volonté première de Fede Álvarez à l’entame de l’élaboration de Don’t Breathe: La Maison des ténèbres est de s’écarter des canons du genre horrifique de son époque. Alors que lui et Rodo Sayagues avaient versé dans le surnaturel avec Evil Dead, et que le gros des productions de l’époque empruntent le même chemin, ils cherchent ici à renouer avec une histoire plus concrète, une peur que chacun peut éprouver. Ainsi, le long métrage assume sa part de violence, mais le sang n’est pas un élément central. Au contraire, une certaine froideur émane de l’affrontement entre les deux générations. Plus criant de vérité encore, le placement de l’histoire dans un Détroit à l’abandon n’a assurément rien d’innocent. La ville américaine est un symbole de la précarité aux USA, l’illustration parfaite de l’abandon des élites. Faire de l’antagoniste du long métrage un vétéran délaissé de tous, au cœur d’un “Lotissement fantôme », convoque les démons économiques d’un pays enfermé dans une course à la richesse, laissant sur le bord de la route les plus faibles.

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Don’t Breathe: La Maison des ténèbres tisse un peu plus son message sociologique, à travers le paysage familial des trois délinquants, et tout particulièrement pour le pivot du récit, Rocky. Alors que Money semble tout simplement seul, et tandis que les parents d’Alex brillent par leur absence, le film met un point d’honneur à offrir une scène fugace dans laquelle la femme du trio est confrontée à des modèles défaillants. Son père n’est plus là, et sa mère, outrageusement inhumaine, fait peser sur elle le poids de cette responsabilité. Constamment, les jeunes sont livrés à eux-mêmes, et leurs activités illégales ne sont pas un loisir, mais une nécessité. Rocky épouse implicitement le rôle de mère pour sa petite sœur, qu’elle souhaite extirper de ce cocon familial profondément vicié. L’amour est complètement absent du récit, sauf dans une séquence qui unit les deux jeunes filles, dans une étreinte fusionnelle.

Loin d’être la Final Girl fragile habituelle, Rocky devient dès lors un symbole de féminisme affirmé, et sa transformation est la clé du récit, plus que n’importe quelle logique sans fond de simple fuite en avant. Sa métamorphose de fille à femme est la véritable source de résolution de Don’t Breathe: La Maison des ténèbres qui utilise ses traumatismes dans son dernier tiers. Enfant, elle a été abandonnée de longues heures dans le coffre de la voiture familiale, pour faire taire ses pleurs: en la plaçant à nouveau dans la même situation, mais en l’invitant cette fois à sortir par ses propres moyens de l’habitacle, le long métrage souligne cette transition. Par ailleurs, Rocky porte aussi tout l’axe de réflexion propre à l’appât du gain. Les motivations de Money et Alex restent floues, celle de la jeune femme est claire: une émancipation et un voyage vers une Californie fantasmée en compagnie de sa soeur. Les deux hommes qui l’accompagnent décrivent deux bouts de l’éventail de sa psyché, dont s’amuse Fede Álvarez. Selon l’aveu du cinéaste, il puise une inspiration visuelle dans certaines images bibliques, notamment la représentation de la conscience, sous forme de démon sur l’épaule gauche, et d’angelot sur la droite. À des instants clés du film, qu’il convient de taire, Money est à sa gauche, Alex à sa droite, selon deux hémisphères opposés de la moralité.

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Pourtant, l’effroyable mélange entre les valeurs familiales et la dictature de l’argent n’est pas l’apanage de Rocky, mais trouve également écho chez le boogeyman de Don’t Breathe: La Maison des ténèbres. La torture est même telle chez ce personnage qu’il se rend coupable du pire au fil du long métrage, qui laisse percevoir son vice latent. En acceptant un règlement financier à l’amiable suite au décès de sa fille, le géniteur a fauté et a cédé. L’abîme moral qui en résulte le plonge dans l’effroi, et il ne profite d’ailleurs pas de l’argent glané au prix du sang. Ici, il semble que Don’t Breathe: La Maison des ténèbres met en garde ses spectateurs: en choisissant de ne jamais nommer cet antagoniste, et en faisant de lui un vétéran, le film le transforme en homme commun, propice à être croisé à n’importe quel coin de rue déserte, et apte à nous faire subir sa fureur de père privé de son enfant. L’horreur qui colle au film n’a rien de paranormale, elle apparaît même dangereusement commune.

Don’t Breathe: La Maison des ténèbres ne brille pas que par sa mise en scène habile et sa logique vicieuse, mais aussi grâce à quelques messages de société distillés subtilement.


Don’t Breathe: La Maison des ténèbres est disponible en Blu-ray chez Sony Pictures Home Entertainment

Nicolas Marquis

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