Le Dernier Pub avant la fin du monde

(The World’s end)

2013

Réalisé par: Edgar Wright

Avec: Simon Pegg, Nick Frost, Martin Freeman

Film vu par nos propres moyens

9 ans après avoir entamé sa trilogie Cornetto avec Shaun of the Dead, Edgar Wright referme ce chapitre de sa vie avec Le Dernier Pub avant la fin du monde. Il aura donc fallu 3 longs métrages à ce cinéaste anglais talentueux pour définir parfaitement son identité aux yeux du public, si on met de côté son détour par l’Amérique du Nord pour le brillant Scott Pilgrim. Après sa vision des œuvres autour des zombies qui avait ouvert le tryptique, à la suite de Hot Fuzz qui assimilait les codes du film d’action, c’est désormais à la science-fiction que s’attaque le réalisateur, avec sa générosité caractéristique. Edgar Wright est un caméléon curieux de tout, toujours prompt à se fondre dans le moule d’un genre donné pour en retenir ce qui forme le socle de son cinéma. Entre hommage et créativité, et toujours avec un humour décapant, le metteur en scène signe une fois de plus un film profondément fun, mais qui révèle aussi une profondeur cachée.

Toujours épaulé par Simon Pegg au scénario et dans le rôle principal du film, Edgar Wright nous livre les aventures d’une bande d’amis de lycée qui se sont perdus de vue après leurs études. De joyeux soiffards à l’époque, désormais devenus des membres à part entière de la société avec un certain succès financier. Tous sauf un, Gary (Simon Pegg), clown exubérant et un poil idiot, toujours fêtard et surtout prisonnier d’un passé qu’il idéalise. C’est à son initiative que cette bande de potes se réunit pour accomplir ce qu’ils n’avaient pas su terminer naguère: le “Miracle Mile”, comprenez par là la tournée des 12 bars d’un village perdu d’Angleterre. Rapidement, nos héros prennent toutefois conscience que le village est en proie à une invasion de robots venus coloniser la terre, et doivent tout faire pour leur échapper et mettre un terme à leurs agissements.

L’approche d’un fan

Ce sont donc ici les traits caractéristiques d’un film de science-fiction apocalyptique que digère Edgar Wright pour les restituer avec sa propre patte. Le metteur en scène clame ouvertement son amour de la Pop Culture et entraîne naturellement dans son sillon ceux qui ont grandi avec les mêmes références. Des clins d’œil que Edgar Wright déguise à peine, avec au plus évident L’invasion des profanateurs de sépulture. Mais à l’instar de ses autres films, le cinéaste ne fait pas que cracher bêtement une série d’Easter Egg froidement et sans âme, il nous offre également une forme de critique de ce style cinématographique. C’est parce qu’il affiche ouvertement sa passion qu’on accepte aussi bien les poncifs que souligne l’auteur avec une certaine acidité. Ces robots ne semblent-ils pas factices, plus proches des Lego que des androïdes dans la façon dont ils se détachent? Edgar Wright en joue, énonce même cette métaphore textuellement dans une ligne de dialogue. Il fait de son public des personnages de l’œuvre, comme un livre dont vous seriez le héros, grâce à son écriture qui fait écho aux réflexions du spectateur.

Pourtant Edgar Wright ne fait pas que se reposer sur ses lauriers, il continue d’apprendre perpétuellement, et l’évolution de son style graphique est palpable dans Le Dernier Pub avant la fin du monde. Si on prend le montage du film en exemple de ce constat, le contraste avec Shaun of the Dead est clairement visible à l’écran. Le réalisateur cite maintes fois le premier volet de la trilogie Cornetto mais semble beaucoup mieux maîtriser la rythmique de son film. L’alternance de plans qui s’enchaînent sur un rythme presque épileptique contraste avec de longs plans séquences, souvent lors des combats contre les robots démoniaques, sur une cadence parfaitement huilée. Edgar Wright a affiné son art pour en tirer le meilleur, sans jamais tomber dans la frime, toujours au service de son public.  

Les illusions perdues

C’est pourtant dans les thématiques profondes du Dernier Pub avant la fin du monde que la métamorphose de Edgar Wright se fait la plus palpable. Si le metteur en scène a toujours marqué son art de sa nostalgie profonde pour les longs métrages et autres jeux vidéos qui l’ont bercés, il est presque indispensable de voir en Gary un écho de cette mélancolie propre au cinéaste, mais là aussi très acerbe. Jusqu’alors, le cinéma de Edgar Wright glorifiait un certain âge d’or révolu. On ne peut donc qu’être interpellé par un héros qui vit enfermé dans son adolescence, qui refuse de grandir et d’acquérir de la maturité. On est même piqué au vif tant le film condamne l’attitude de ce protagoniste, soulignant son incapacité à avancer, se réfugiant dans un passé idéalisé. Son appartenance à un groupe n’est qu’un mirage, celui-ci n’existe plus et chacun à fait son chemin. 

Edgar Wright ne se réinvente tout de même pas complètement alors qu’on voit les autres personnages revenir eux aussi progressivement à des échos de leur adolescence. Le passé les ensorcèle. Un axe qui se conjugue avec la vision que le cinéaste offre du monde moderne: ses héros sont des forçats de travail, dans lequel ils ne s’épanouissent pas du tout malgré leur succès, et leur vie de famille semble dissolue alors qu’elle devrait être la base de leur épanouissement. Edgar Wright va même aller plus loin en condamnant une forme d’uniformisation de la société: à travers les robots, bien sûr, mais aussi dans la vision des fameux pubs qui se ressemblent désespérément tous.

Fin de cycle

À tous les niveaux, Edgar Wright semble sans cesse signifié à son public que Le Dernier Pub avant la fin du monde marque bel et bien la fin de sa trilogie. Le ton du film se fait par moment désabusé, comme si le temps qui passe ne pouvait pas être arrêté. Plusieurs gestes d’écriture appuient ce sentiment d’une manière assez prononcée. Le dialogue final d’affrontement contre les machines se vit ainsi à deux niveaux: Edgar Wright revendique son droit à l’immaturité avec énormément d’humour, mais il insuffle aussi une forme de second degré qui sonne étrangement, comme si la solution aux problèmes de ses personnages n’était qu’illusoire et incohérente. D’une façon plus imagée, la fameuse glace Cornetto présente dans les trois film à elle aussi suivi une évolution: dans Shaun of the Dead Simon Pegg l’achetait, dans Hot Fuzz il la mangeait, dans Le Dernier Pub avant la fin du monde elle n’est plus réduite qu’à un simple emballage vide.


Comme pour boucler la boucle, Edgar Wright propose également un personnage qui répond à Shaun du premier volet de la trilogie. Le premier devait grandir pour avancer, Gary revendique son droit à l’immobilisme. Deux thèses qui peuvent sembler contraires mais qui cohabitent finalement de manière efficace. Il faut savoir prendre un peu de la folie de chacun pour comprendre la personnalité de ses créateurs. Pour faire un bilan parfait, le réalisateur de l’œuvre mélange aussi des éléments de ses films précédents: si on s’en tient à la trilogie Cornetto, c’est l’apocalypse de Shaun of the Dead et la ruralité de Hot Fuzz qui se côtoient ici. Comme un clin d’œil, une séquence présente dans les trois longs métrages se retrouve. Shaun sautait par dessus une palissade de jardin et celle çi s’écroulait, le héros de Hot Fuzz la franchissait vaillamment, Gary entraîne avec lui l’intégralité des barricadé dans sa chute Si on pense à Scott Pilgrim, on peut souligner la courbe de progression du film qui remplace les “boss” de l’œuvre précédente par des bars de plus en plus inatteignables. Le Dernier Pub avant la fin du monde a tout de la synthèse.

Le Dernier Pub avant la fin du monde est édité chez Universal.

Point final d’une trilogie jouissive à l’extrême, Le Dernier Pub avant la fin du monde se savoure comme une bonne crème glacée, généreuse et légère, où le rire est facile mais jamais gratuit.

Nicolas Marquis

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