Grand Format: Hot Fuzz

2007

Réalisé par: Edgar Wright

Avec: Simon Pegg, Nick Frost, Jim Broadbent

Film vu par nos propres moyens

En 2004, le public se prend d’affection pour Shaun of the Dead, présenté à l’époque comme «une comédie avec des zombies». Ce film rendant hommage aux films de morts-vivants et plus particulièrement à ceux de Romero nous permet de découvrir le talentueux Edgar Wright ainsi que Simon Pegg et Nick Frost. Ce trio va être au centre d’une trilogie connue sous le nom de la trilogie Cornetto. Les 3 longs métrages qui la composent (Shaun of the Dead, Hot Fuzz et The World’s End) sont reliés par la célèbre glace présente dans chaque œuvre mais aussi par le fait qu’ils rendent hommage à trois genres différents qu’affectionne le réalisateur et son co-scénariste Simon Pegg. Il serait faux de limiter ce lien à ce seul point. La trilogie Cornetto c’est surtout le parcours d’un passionné se questionnant sur son rapport à la société et son propre positionnement par rapport à elle.

Des questions et des thèmes dans lesquels nous pouvons tous et toutes nous projeter.

Hot Fuzz

J‘ai la joie aujourd’hui de vous parler du milieu de ce voyage entrepris par Wright et Pegg. Après le succès public de Shaun of the Dead, nos deux fans de pop culture décident de s’attaquer à un autre genre populaire: le cinéma d’action et plus particulièrement le Buddy Movies.

Ils vont utiliser la même méthode que le film précédent: revoir beaucoup d’œuvres, les étudier pour en comprendre la substance , les limites ainsi que les possibilités narratives. C’est donc en 2007 avec un budget beaucoup plus important (160 millions) que nous avons pu découvrir le fruit de leurs réflexions.

Hot Fuzz est bien une lettre d’amour à un genre mais il est plus que ça . C’est un film personnel, l’histoire d’une personne qui ne trouve pas sa place dans la société et qui cherche comment coexister avec elle sans se perdre. C’est une œuvre qui me touche énormément, car ses problématiques sont aussi les miennes. Peut-être qu’en lisant ces lignes vous aussi vous y verrez un reflet de votre propre parcours.

Le film commence comme une bande-annonce d’un film de Schwarzenegger ou bien encore Chuck Norris. Nous découvrons notre héros Nicholas Angel (Simon Pegg). C’est le meilleur dans toutes les catégories, il a fait le plus d’arrestations et survécu à des blessures dont la dernière  est un coup de couteau donné par Peter Jackson en père Noël (la classe): bref c’est le super flic.

Le réalisateur va alors casser tout ça en positionnant ce super personnage d’action seul contre tous, enfermé dans un bureau de verre et devant faire face à sa hiérarchie qui gênée d’avoir un agent de police trop inflexible dans des valeurs, différentes de celles des autres, l’envoi dans un petit village du nom de Sandford. Il y découvrira un lieu paisible en apparence mais qui cache des secrets. Accompagné de son partenaire Danny Butterman (Nick Frost), fan de films d’action et fils du chef de la police (Jim Broadbent), ils vont tenter de percer les mystères de cette petite ville paisible.

Un cri d’amour

Lorsque je regarde le travail accompli par Wright et Pegg sur l’aspect film d’action, je pense à deux œuvres: Last Action Hero et la série Psych.

Avec Last Action Hero, nous avons un essai, une réflexion sur les mécanismes de fonctionnement du personnage type de film d’action. Le film de John McTiernan, utilise la même structure que Hot Fuzz celle du buddy movie. Deux personnages totalement différents vont devoir bosser ensemble pour résoudre une intrigue policière. Dans Last Action Hero, c’est un enfant, fan de ce genre et qui va devoir faire équipe avec Jack Slater, le héros qu’il idolâtre. Leur association va permettre d’expliquer au public le fonctionnement de ce type d’histoire mais aussi de le remettre en question en pointant ses faiblesses. Au fur et à mesure du film, le flic bodybuildé va s’humaniser en s’ancrant dans le réel, devenant ainsi plus attachant pendant que le public, au travers des yeux de l’enfant, comprend que ces histoires sont un moyen d’évacuer notre colère, notre peur et de quelque part oublier un peu notre quotidien dans un pot de pop-corn, devant une bonne scène à grand spectacle. McTiernan nous le dit, la fiction possède une certaine magie.

Hot Fuzz fait la même chose. Il commence avec Nicholas Angel partant du fond du cadre pour se rapprocher de l’écran comme Jack Slater sortant du sien. Une image qui va revenir souvent tout au long du film: Angel sera le personnage qui va tout briser. Dès qu’il se trouvera prisonnier du cadre, il aura tendance à le casser en brisant une porte, lançant une explosion ou bien encore sautant par-dessus des barrières. C’est le contraire du personnage de Shaun qui lui va constamment être le prisonnier du cadre de son histoire.

Angel va se retrouver confronté à un partenaire fan de cette figure héroïque tout droit sorti des ces histoires spectaculaires. Il possède ainsi les codes de ces univers. Pendant tout le récit, Danny va confronter notre super flic à ces images de fiction faisant ainsi ressortir les contradictions du personnage. On nous dit en introduction que c’est le meilleur: pro des poursuites en vélo, doué en autodéfense… Lors d’une scène de discussion, quand Danny veut en savoir plus sur ses faits de gloire, Angel lui répondra que ses meilleures armes sont un carnet de notes ainsi que le code de la police, parfait selon lui. Le film va passer son temps à lui montrer qu’il ne peut pas rester bloqué sur ses principes et qu’il doit évoluer pour être accepté par SandFord.

L’évolution, c’est un des thèmes chers d’Edgar Wright. Il faut savoir que le réalisateur est quelqu’un de très nostalgique et qui a du mal avec les changements, comme l’explique l’équipe de Capture Mag dans son émission consacrée au réalisateur anglais. Il est à la fois Angel et Danny. Il comprend que malgré les qualités de ce genre, il a besoin d’évoluer pour pouvoir continuer à exister et surtout de ne pas rester centré sur lui-même. Wright va donc garder ce qu’il juge comme important: le duo de flics qui va apprendre à bosser ensemble et devenir amis, l’opposition à l’autorité et les gros dégâts.

Il va aussi s’inspirer beaucoup de la façon de travailler de Tony Scott dans la couleur à dominance bleu et vert, avec certains plans notamment dans le final qui pourront vous faire penser à Domino. Il ajoute à cela un montage nerveux, également inspiré par le réalisateur de Top Gun,  selon ses dires dans les bonus du DVD. Il proposera également des scènes  plus directes comme Danny tirant en l’air comme Keanu Reeves dans Point Break ou bien encore la fameuse caméra à 360 degrés de Michael Bay dans Bad Boys 2.

Wright va ensuite aller plus loin dans cette réinterprétation du genre. Il va même incorporer dans la relation Angel/Danny un côté comédie romantique. On retrouvait d’ailleurs déjà cet aspect dans Shaun. Le réalisateur est d’ailleurs fan de Richard Curtis, scénariste et réalisateur de comédie romantique (4 mariages et un enterrement, Bridget Jones, Yesterday) er Jim BroadBent est d’ailleurs un de ses habitués. C’est assez pertinent de le retrouver dans une incarnation de l’autorité, lui qui en général joue des personnages positifs apportant leur aide aux héroïnes et héros dans les comédies romantiques.

Notre fameux Angel est présenté comme quelqu’un aveuglé par son travail, qui a du mal à garder une relation, comme nous le montre la scène avec son ex (Cate Blanchett) qui nous dit directement qu’ll est incapable d’aimer. Sa Bromance avec Danny va lui permettre de se reconnecter à ses sentiments pour s’épanouir à la fin. On retrouve également la fameuse structure “Up and down” avec l’incontournable moment où le héros se sentira abandonné par cette relation récente car il refuse de changer. Après avoir touché le fond, notre protagoniste va alors avoir une épiphanie comprenant finalement ce qui est vraiment important pour lui.

Si Shaun est une déclaration d’amour pour les zombies alors Hot Fuzz en est une pour ces Roller-Coaster bourrins.

Je vous citais tout à l’heure la série Psych pour évoquer le travail de Wright autour de ce genre, il est temps d’y revenir. Si vous ne connaissez pas cette série (disponible sur Amazon Prime) elle raconte les aventures de Shawn et Gus, deux amis d’enfance fan de pop culture et notamment des mêmes films que Wright. Lorsque Shawn va se faire passer pour un médium auprès de la police de Santa Barbara, les deux amis vont pouvoir transposer leur rêve de vivre la vie de leurs modèles dans le quotidien.

C’est exactement ce que je ressens en voyant Hot Fuzz. Pour m’expliquer, je vous propose de vous concentrer sur le personnage de Danny. Comme Wright. Ce protagoniste a grandi dans une petite ville typique de la campagne anglaise. Tout doit être correct, personne ne doit être extravagant. C’est un garçon gentil qui a dû faire face au brutal décès de sa mère. Pour survivre et échapper à son quotidien il n’a que sa dvdthèque. Il rêve de vivre les aventures de ces personnages imaginaires. Sa rencontre avec Angel va être pour lui un moyen de sortir de sa tristesse, de sa frustration et d’enfin faire coexister ensemble son univers et celui plus classique de Sandford.

Lorsque Angel lui montre que les apparences sont trompeuses durant leur pause glace en réinterprétant la vie des personnes qu’ils croisent, Danny l’écoute en souriant heureux . Nos personnages sont enfermés dans une case symbolisée par leur voiture de police. Leur état d’esprit se propage par les fenêtres ouvertes ainsi que par des couleurs plus vives, comme si la réalité plus austère du début du film était éclairée par la blancheur de la voiture et de leurs uniformes. Je pense que tout ceci symbolise l’état d’esprit du jeune Wright, frustré par sa vie calme à Poole, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Rêver à une vie moins ordinaire en se plongeant dans sa collection de film, représente finalement pour lui cette petite étincelle qui rend la vie magique, qui apporte de la poésie, un peu comme le héros de Paterson de Jim Jarmusch  qui trouve dans son quotidien des petits moments de grâce. Cette deuxième utilisation de ces œuvres bourrées d’action va nous conduire à une autre couche du film et à un affrontement.

Classique vs originalité

Dans Shaun of the Dead, nous avions le début de ce combat de titans entre la société très codifiée et rigide face aux individus refusant de se conformer à celle-ci. La fin du film nous permettait de voir qu’il fallait trouver un moyen de s’adapter. Dans Hot Fuzz, Wright poursuit sa réflexion sur le sujet. La communauté va être symbolisée par Sandford. C’est un village qui veut de l’uniformité qui cache ce qui ne convient pas, préférant ignorer les personnes sortant de leur cadre de vie très classique et puritain. Un artiste jouant la statue vivante, va disparaître, des enfants traînant dans la rue plutôt que de rentrer sagement chez eux seront également considérés comme ennemis public numéro 1.

Une excellente illustration de cette lutte contre l’anticonformisme nous est donnée durant la scène de théâtre. On y retrouve Timothy Dalton qui en plus de son statut de James Bond à eu l’occasion de jouer du Shakespeare. Cette incarnation du classique va se mettre à critiquer avec véhémence la représentation de Roméo et Juliette clairement inspirée de la mise en scène de Baz Luhrmann pour son film de 1996. La représentation se conclut d’ailleurs par la fameuse chanson de The Cardigans: Lovefool. Pour Wright le monde se divise en deux catégories: ceux qui s’ennuient dans un quotidien banal et ceux comme nos deux héros qui veulent changer les choses pour se sentir utiles, vivre plus d’aventures et surtout se sentir enfin compris. On perçoit d’ailleurs une colère grandir jusqu’au moment où celle-ci va éclater, lorsqu’Angel ne pourra plus supporter sa frustration d’être toujours mis en doute par les figures d’autorité, le faisant passer pour fou. Le film va alors mettre en image cette rage et cette envie de tout éclater lors de la dernière partie du film.

Angel va enfin épouser sa nature de héros d’action, se sur-armant tel un Rambo et débarquer sur Norris Avenue (nom donné en hommage à Chuck) à cheval tel un vieil héros de western voir un Vigilante pour signifier qu’il n’acceptera plus cet état de fait que Wright qualifie dans les dialogues, ainsi que dans ses commentaires audio, de fascisme. Il n’en peut plus, il va littéralement tout ravager et exploser. Wright le dit, pour lui c’est une lutte idéologique qui s’installe. En compagnie de Simon Pegg, toujours dans les commentaires audio, Ils déclarent que pour eux la fin n’est pas un happy-end car c’est une idée remplacée par une autre et pas une coexistence.

Peut-on être heureux quand on ne rentre pas dans une case?

Même si le réalisateur semble pessimiste, pour moi Hot Fuzz apporte une lueur d’espoir qui en fait à mes yeux un film positif. Finalement, cet espoir vient encore du personnage de Danny et de la belle relation qu’il a créée avec Angel. Et si la réponse que recherche Edgar Wright était sous ses yeux depuis le début? Pour se sentir épanoui et accepté, la solution ne serait-elle pas de se construire sa propre famille? Angel et Danny se sont trouvés, ils se sont compris et se sont découvert des points communs en partageant les récits de leur vie. C’est en faisant s’épanouir cette relation et en s’ouvrant l’un à l’autre qu’ils ont par la suite réussi à changer l’état d’esprit des autres policiers. Wright ressent peut-être ça comme un bouleversement des rapports de forces, personnellement je préfère interpréter ce changement comme une preuve que la société plus classique et les outsiders peuvent trouver un moyen de se comprendre.

Une œuvre personnelle


Hot Fuzz c’est pour moi un bel exemple du pouvoir de la fiction et combien celle-ci peut nous aider. C’est aussi une belle déclaration d’amour visuelle et maîtrisée dans sa réalisation à un genre souvent sous-estimé, qui peut pourtant servir à raconter des choses personnelles. Découvrir ce film a été pour moi un grand moment. Je me suis vraiment retrouvée dans le discours dEdgar Wright et de Simon Pegg. La trilogie Cornetto est un essentiel pour toutes les personnes qui ont dû un jour affronter un dîner de famille où on vous laisse dans un coin, contrairement à «Bébé». Trouver un artiste qui a les mêmes angoisses, colères et interrogations que vous, c’est rassurant et inspirant. On se sent moins seul et comme Danny écoutant Angel en souriant, sa glace à la main, nous vivons devant ces films des instants magiques de pur bonheur. Hot Fuzz nous permet de nous reconnecter avec nous même, de fantasmer la révolution de notre quotidien. Edgar Wright nous transporte ailleurs, grâce à ses scènes musclées et spectaculaires, comme l’avait déjà fait John McTiernan lorsque j’étais encore une enfant, émerveillée devant l’apparition d’un Ticket d’or.

Hot Fuzz est distribué par Studio Canal.

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