Ma famille afghane
Ma famille afghane affiche

(My Sunny Maad)

2021

Réalisé par: Michaela Pavlátová

Avec: Zuzana Stivínová, Hynek Čermák, Jana Plodková

Film fourni par Dark Star pour Diaphana Édition

La vie de la journaliste tchèque Petra Procházková est synonyme de combat perpétuel pour mettre en lumière les zones tristement oubliées du globe, où s’invite trop souvent l’effroi. À 57 ans, cette reporter de guerre continue de s’aventurer là où la précarité et parfois la barbarie règnent. Après avoir longtemps consacré sa carrière aux pays troublés par la Guerre Froide, c’est aujourd’hui au Moyen-Orient qu’elle continue son périple. Son destin est intimement lié à l’Afghanistan, devenu sa terre d’adoption. Quelques jours seulement avant qu’il ne soit assassiné, Petra Procházková est la dernière journaliste à avoir échangé avec le commandant Massoud, figure emblématique d’une terre plongée dans le chaos. Mais l’histoire personelle de cette femme d’action est tout aussi entremelée avec l’Afghanistan: alors qu’elle couvre les conflits armés, elle s’éprend d’un photographe local, l’épouse, et donne naissance à un enfant. Ce choc des cultures certain est un événement fondateur pour la journaliste, qui puise dans son expérience une source d’inspiration affirmée pour un roman, Freshta, publié en 2004.

Presque 20 ans plus tard, une autre femme tchèque s’empare du récit et le propulse sur grand écran. La réalisatrice de court métrage d’animation Michaela Pavlátová n’a rien d’une inconnue dans le monde du cinéma. Régulièrement sélectionnées dans les plus grands festivals mondiaux, ses œuvres sont remarquées par les observateurs aguerris. De Berlin à Annecy, des Golden Globes aux Oscars, la réalisatrice n’a plus rien à prouver. Néanmoins, sa transposition filmique de Freshta, intitulée Ma famille afghane, constitue son premier long métrage, et porte en elle une forme d’audace. Le choix de l’animation n’est pas une évidence pour un récit fortement ancré dans une réalité âpre, mais Michaela Pavlátová fait de cette originalité une force. Selon les propres dires de l’artiste, rien n’est inabordable dans sa spécialité, qui lui permet même de trouver l’équilibre nécessaire entre réalisme et onirisme. Difficile de lui donner tort aux vues du résultat, tant fond et forme communient dans son œuvre.

Ma famille afghane illu 1

L’histoire de Ma famille afghane s’attarde sur la trajectoire de Herra, une jeune tchèque qui tombe amoureuse d’un étudiant afghan, Nazir, au cours de son cursus universitaire. Ensemble, ils partent pour l’Afghanistan, afin de fonder un foyer. Sur place, Herra est confrontée aux codes en vigueur dans le pays: la promiscuité avec la famille de son époux, les contraintes que subissent les femmes et la précarité sont autant de dilemmes sur lesquels l’européenne pose un regard différent de ses proches. Entre désillusions mais aussi moments d’affection sincères, elle tente de trouver sa place dans ce monde. L’arrivée d’un jeune orphelin, Maad, lui octroie un nouveau statut, alors qu’elle devient sa mère d’adoption. 

Le choc des cultures et une forme de déracinement culturel forment le socle narratif du récit. L’adaptation aux rites et aux coutumes afghans font de l’épopée de Herra un véritable parcours initiatique. Bien que l’obscurantisme et la violence s’invitent régulièrement dans Ma famille afghane, Michaela Pavlátová fait fi du manichéisme et entend proposer une vision juste d’un pays souvent caricaturé. La dureté du quotidien est une constante, qui plus est pour une femme, mais des notes plus joyeuses ponctuent également le film. La réalisatrice trouve un entre-deux cohérent, en équilibre entre espoir et pessimisme, et même si on devine que son héroïne a la chance de gagner une famille plus tolérante que d’autres, une forme d’amour pour la culture afghane émane du film. La moralité n’est jamais fixe et polarisée, elle semble à l’inverse en perpétuelle évolution. Ainsi, quelques flashbacks sur la Tchéquie sont proposés dans Ma famille afghane, mais leur représentation graphique se métamorphose au gré de l’aventure. Dans un premier temps, Herra est craintive mais heureuse de déménager en Afghanistan, et les souvenirs de son pays natal prennent une teinte grise, austère, comme pour restituer un environnement qu’elle est contente de quitter. Au fil des difficultés que la protagoniste connaît au quotidien, une forme de nostalgie pour sa terre d’origine s’amorce, et Michaela Pavlátová propose les instantanés du passé en couleurs, comme le doux souvenir d’une époque bénie.

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La vision de l’Occident n’est pas circonscrite à ses quelques séquences, et si Herra se confronte à de nouvelles règles, les afghans composent eux aussi avec une perception de l’étranger qui s’impose dans leur pays. Bien évidemment, le bien fondé et le bénéfice des ONG n’est absolument jamais remis en cause, mais les habitants du pays font l’expérience de la culture extérieure à travers des incursions qui leur semblent saugrenues. Ainsi, Ma famille afghane évoque la circulation d’une VHS de Basic Instinct, et il n’en faut pas plus pour que les personnages les plus étroits d’esprit en tirent des conclusions biaisées quant à la vertu des occidentaux. Les baraquements militaires qui constellent le pays sont également synonymes d’une certaine rugosité des rapports, et accentuent une idée motrice du long métrage: l’Afghanistan et l’étranger tendent chacun la main, pourtant l’union ne s’opère jamais réellement alors qu’il suffirait de peu pour y parvenir. Les associations caritatives qui s’implantent sur le territoire en sont un exemple concret: alors qu’elles sont sources de travail et d’évolutions nécessaires pour les locaux, une forme de défiance règne malgré tout.

À l’évidence, la place des femmes dans la société afghane est lourdement interrogée. En faisant de son héroïne une européenne qui constate une effroyable société patriarcale, Ma famille afghane souligne toute l’absurdité d’une emprise délétère. Même si les talibans ne sont plus là, une oppression vive pèse sur les personnages féminins, soumis aux diktats de leurs homologues masculins. Le simple fait de conduire une automobile confine presque à l’acte de rébellion, et les chaînes maritales entravent l’épanouissement. Herra n’est pas vierge au moment de son mariage, et pour éviter le déshonneur, Nazir préfère ruser plutôt que d’affronter le jugement de ses pairs. Michaela Pavlátová utilise la burqa comme illustration clé de ce rapport de force dramatiquement déséquilibré: même si le voile intégral n’est plus une obligation, il est imposé implicitement. Herra elle-même ne peut s’y soustraire perpétuellement, bien que native de Tchéquie. Pourtant, le sinistre habit n’est qu’un camouflet, puisque d’une part il n’empêche pas les hommes d’avoir des comportements douteux, et d’autre part, il est employé parfois par Maad, pourtant garçon, pour se cacher des autres. Ma famille afghane invite même à s’en défaire totalement dans sa scène la plus onirique, une envolée imaginaire somptueuse au cours de laquelle les femmes quittent la burqa pour pratiquer le skate board.

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Les hommes sont mis en accusation dans une certaine mesure. Face à la perte de leurs privilèges, dans un Afghanistan qui se cherche une nouvelle identité, certains font le choix de se replier de nouveau vers l’obscurantisme pour conserver leur domination sur les femmes. Nazir semble être un progressiste convaincu, pourtant même lui passe par une phase de doute face aux vexations des autres personnages masculins qui assimilent son attitude à de la faiblesse. Le progrès gagne le pays, et les jeunes filles peuvent aller à l’école, mais elles sont cependant contraintes jusque dans l’établissement scolaire par l’ombre obscure des pères qui leur dictent la conduite à suivre. Pourtant, l’Afghanistan a connu la liberté par le passé, et Michaela Pavlátová en propose une vision concrète à travers des photographies d’un temps lointain où les femmes allaient librement au cinéma, vêtues à l’européenne. Ma famille afghane invite à retrouver cette innocence nécessaire, en employant à nouveaux des polaroids pour cette fois capturer l’image d’une adolescente insouciante, les cheveux au vent, dans un geste de symétrie scénaristique.

Il n’est assurément pas innocent que les appareils photo appartiennent au grand père de la famille, de loin le personnage masculin le plus bienveillant et tolérant. Sa représentation graphique, tout en rondeur et bonhomie, s’oppose aux traits rugueux qui marquent les autres hommes. Il est le socle de cette famille afghane, une figure d’autorité mesurée et une sorte d’idéal. Car à l’évidence, le film n’a rien d’une condamnation du mode de vie local, il préfère tenter de trouver des solutions aux dilemmes moraux. Tant bien que mal, envers et contre tous, un foyer se compose, avec ses différences mais aussi beaucoup d’amour, même s’ il est parfois dramatiquement mal exprimé. Ma famille afghane réunit des exclus, et en mettant en parallèle Herra et Maad, l’une ostracisée pour ses origines, l’autre pour son apparence physique, le long métrage fusionne les opprimés d’une société où beaucoup reste à faire. La solidarité et la sincérité du cœur apparaissent comme les seules solutions face à l’obscurantisme prêt à ressurgir.

Sans virer à la leçon malvenue, Ma famille afghane pose un regard réaliste sur l’Afghanistan d’aujourd’hui, aussi critique qu’amoureux. Michaela Pavlátová magnifie l’animation pour capturer l’essence d’un pays plein de contradictions.

Ma famille afghane est disponible en Blu-ray et DVD chez Diaphana Édition avec en bonus:

Nicolas Marquis

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