Un monde
Un monde affiche

2021

Réalisé par: Laura Wandel

Avec: Maya Vanderbeque, Günter Duret, Karim Leklou

Film fourni par Dark Star pour M6 Vidéo

À seulement 38 ans, et bien qu’elle ne soit créditée que sur 4 métrages, Laura Wandel s’affirme comme une personnalité émergente du septième art belge. Dans des cadrages au plus proche de ses personnages, perçant leur carapace pour confronter le spectateur à leurs dilemmes profonds, la réalisatrice s’épanouit dans un cinéma de l’intime qui convoque une intensité émotionnelle totale. Après avoir fait ses premières armes sur deux courts métrages discrets, Murs en 2007, et O Négatif en 2010, Laura Wandel est propulsée sur le devant de la scène internationale en 2014 avec Les corps étrangers. À nouveau dans une forme brève ne dépassant pas les 15 minutes, elle propose à l’écran le récit d’un photographe devenu handicapé, tentant d’accepter son corps estropié au fil de sa rééducation. La sincérité et la subtilité de la metteur en scène émerveillent alors les observateurs du monde entier. Entre autres événements cinématographiques, Les corps étrangers est sélectionné à Cannes et séduit la critique. L’histoire d’amour avec La Croisette n’en est pourtant qu’à ses débuts: son premier long métrage Un monde, accueilli chaudement cette année dans la sélection Un certain regard, fait de Laura Wandel une nouvelle protégée du festival.

En communion avec l’enfant, Un monde met en lumière l’épineux problème du harcèlement scolaire, à travers le regard de son héroïne, Nora (Maya Vanderbeque). Cette jeune élève discrète d’une école primaire belge est confrontée à la cruauté des autres enfants, alors qu’elle voit son grand frère Abel (Günter Duret) subir les sévices physiques les plus effroyables. Le monde des adultes semble bien loin de saisir la teneur de tous les sinistres événements qui prennent place dans la cour de récréation, et les deux personnages se retrouvent rapidement livrés à eux-mêmes, malgré l’amour de leur père Finnigan (Karim Leklou). Nora est en plein dilemme: non seulement Abel refuse son aide, mais tenter de lui porter secours risque même d’attirer sur elle les brimades de ses camarades et de la mettre en marge d’un système violemment sans pitié.

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Pour propulser le spectateur dans la peau d’une jeune fillette, Un monde en épouse le point de vue. Jamais la caméra de Laura Wandel ne dépasse la hauteur de Nora, et la réalisatrice suit ses déambulations éperdues dans une succession de plans séquences, en immersion dans l’établissement scolaire. À l’instar de son court métrage Les corps étrangers, la cinéaste opte également pour un cadrage qui reste le plus souvent proche de son héroïne. L’espace d’un peu plus d’une heure, le public redevient enfant, replonge dans le monde parfois âpre de la cour de récréation et de ses rapports de domination. Pour parvenir à une osmose totale avec sa toute jeune actrice, Laura Wandel a effectué un travail préparatoire intense, accompagnant notamment Maya Vanderbeque dans son apprentissage de la natation, en amont du tournage, afin de créer un lien intense de complicité. Si la plupart des scènes sont savamment préparées, Un monde laisse également une grande place à l’improvisation, pour préserver la fraîcheur des jeunes acteurs. Régulièrement, Laura Wandel capte des prises de vue à l’insu de ses comédiens, pour saisir des élans de sincérité enfantins.

Dans ce monde juvénile, Un monde incorpore la violence comme un mal solidement installé, presque incontournable. Les brimades que subit Abel n’interviennent jamais suite à une coupe de montage, mais s’incorpore dans la continuité des plans séquences qui sont l’apanage du long métrage. Le plus souvent, Laura Wandel suit son héroïne dans des scènes initialement légères, avant qu’elle ne se retrouve face au harcèlement dont est victime son frère, dans un mouvement fluide. Les sévices sont tristement parties intégrantes du monde de l’école, tout comme le sont les jeux d’enfants. Loin du regard des adultes, ils s’affirment comme un élément impossible à départager de l’environnement décrit. Une volonté pertinente de choquer habite les prises de vue d’Un monde, qui ponctue chaque élan d’épanouissement par un moment empreint de haine, comme une lugubre fatalité. La sphère sonore joue un rôle essentiel dans cette triste représentation: lorsque Nora détourne le regard, l’absence totale de musique et les cris de détresse d’Abel empêchent le spectateur de s’échapper de la réalité, il est prisonnier du cercle vicieux qui s’instaure.

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Un monde est par ailleurs marqué par l’absence presque absolue de solutions venues des adultes. Si Finnegan tente de porter secours à son enfant, il est par nature exclu de l’enceinte de l’école, désespérément impuissant. D’une façon encore plus cynique, certains surveillants de l’établissement n’ont soit pas conscience de la réalité, soit s’en désintéressent ouvertement. Le “monde” que décrit le film est exclusivement réservé aux enfants, et seuls ces derniers peuvent en influencer le cours des événements. Laura Wandel souligne le manque d’emprise des adultes par son cadrage, qui exclut le plus souvent les hommes et les femmes mûrs de l’image. Seule l’institutrice de Nora perce cette bulle, mais son rôle reste ouvertement extérieur, et renvoie à l’impuissance profonde qui est la sienne. Dans cet empire de violence, les élèves ne comptent que sur eux-mêmes.

Loin du regard des anciens, le mal prolifère, et la victime est condamnée à devenir bourreau. Puisque la haine est la seule règle que connaît Abel, il est destiné à en répéter les infâmes rouages, pour s’affirmer dans un univers sans pitié. Néanmoins, Un monde ne jette pas l’opprobre sur Abel, sa transformation en harceleur est désespérément compréhensible, et il n’en est pas le responsable. Comme une maladie contagieuse, la violence devient le mode d’expression d’un jeune garçon qui l’a subi de plein fouet. Pour briser cette sinistre logique, Un monde tente bien de proposer l’affection en guise de réponse, celle qui s’exprime dans les étreintes désespérées de Nora, mais jamais le film n’en fait une solution de facilité. Laura Wandel préfère laisser planer le doute quant à la portée de ces gestes de compassion, et confronter le spectateur à l’impuissance d’une fillette face au système endémique de l’agressivité, posant son regard sur un microcosme qui se dérobe normalement aux yeux des adultes.

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L’affirmation de soi devient une quête éperdue dans cette société miniature. Bien que Nora soit à quelques rares occasions inclue dans l’univers qui l’entoure, Un monde propose en majorité un jeu de focale qui rend son environnement flou. La toute jeune fille navigue dans un milieu qui se refuse à elle, comme un navire en pleine tempête, pris dans le tumulte de la folie de masse. Pour nouer de nouvelles amitiés et grandir, elle est contrainte à la fracture avec son frère, sous peine de devenir également la cible de brimades. Un écartèlement moral insensé étreint Nora, la force à un choix impossible qui ne devrait jamais peser sur de si jeunes épaules. Trouver sa place dans le monde n’est plus un simple dilemme, c’est un renoncement aux valeurs fondamentales d’amour et de compassion qui devraient former le socle de l’épanouissement. Si Un monde ne devait avoir qu’une mission, se serait cette dénonciation nécessaire du cercle de la haine, que Laura Wandel accomplit avec brio.

Un monde conjugue la nécessité d’un message indispensable et la pertinence d’une mise en image réfléchie. Laura Wandel fait preuve d’une grande justesse et se démarque par sa subtilité.

Un monde est disponible en DVD chez M6 Vidéo, avec en bonus:

  • Le court métrage Les corps étrangers
  • Des scènes commentées par la réalisatrice
  • Une courte séquence sur la réception du film au Festival de Cannes

Nicolas Marquis

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