Compétition Officielle
Compétition Officielle affiche

(Competencia oficial)

2021

Réalisé par : Mariano Cohn, Gastón Duprat

Avec : Penélope Cruz, Antonio Banderas, Oscar Martínez

Film fourni par Wild Side

Depuis plus de vingt-cinq ans, les réalisateurs argentins Mariano Cohn et Gastón Duprat font route commune dans leur périple cinématographique et évoluent de concert. Dès leur tout premier court métrage documentaire d’à peine trois minutes, Venimos llenos de tierra, sorti en 1996, les deux hommes nouent une complicité sans faille qui ne cessera jamais de se consolider. Au fil des années, le binôme est érigé en figure de proue du septième art de son pays. Régulièrement nommées et primées aux cérémonies de récompenses locales, les œuvres de Mariano Cohn et Gastón Duprat traversent les frontières, jusqu’à s’inviter aux prestigieux Goya espagnols et dans les circuits festivaliers. Leur film L’Homme d’à côté, sorti en 2010, assoit ainsi leur réputation, mais c’est en 2016, avec Citoyen d’honneur, qu’une nouvelle dimension internationale est atteinte par les deux metteurs en scène. En compétition à la Mostra de Venise, le long métrage jouit d’un excellent accueil critique, faisant de Mariano Cohn et Gastón Duprat des auteurs reconnus. 

Adoubés par le monde du septième art, les réalisateurs tissent de nouvelles amitiés et voguent vers de nouveaux projets. À l’aube des années 2020, leur connivence avec Penélope Cruz et Antonio Banderas fait naître en eux une envie de travail commun, avant même de savoir de quoi ils souhaitent parler. Au gré des discussions, une idée se dégage néanmoins rapidement : Mariano Cohn et Gastón Duprat souhaitent opposer un miroir déformant au microcosme du cinéma, pour en souligner les travers et dérives. Avec Compétition Officielle, sorti en 2021 et désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Wild Side, les deux metteurs en scène s’attèlent à dénoncer la grotesquerie d’un univers dont ils sont pourtant partie prenante. La saillie filmique n’aurait néanmoins aucun sens si Mariano Cohn et Gastón Duprat ne faisaient pas en même temps leur autocritique. À plus d’un titre, ils s’immergent eux-même dans leur long métrage, en se moquant implicitement de leur accent argentin ou en faisant de l’ouvrage fictif déjà au centre de Citoyen d’honneur un pivot du récit.

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© 2021 Mediaproduccion S.L.U, Prom TV S.A.U. Tous droits réservés

Dans une mise en abyme de la création cinématographique, Compétition Officielle narre l’élaboration d’un film, financé sous l’impulsion d’un magnat de l’industrie pharmaceutique, désireux de laisser un héritage culturel derrière lui. En confiant son élaboration à l’exubérante Lola Cuevas (Penélope Cruz), le riche entrepreneur s’adjoint les services d’une réalisatrice perfectionniste reconnue, mais aux méthodes de travail lunaires et saugrenues. Pour incarner les personnages principaux de son œuvre, Lola fait appel à deux comédiens opposés en tout. Iván Torres (Oscar Martínez) est un acteur vieillissant, à la rigueur académique, fruit de l’école du théâtre, et profondément élitiste, tandis que Felix Rivero (Antonio Banderas) prend des allures de playboy dilettante et peu méthodique. Durant les quelques jours de répétition précédant le tournage de leur film, les deux hommes se confrontent obstinément, sous le regard de Lola qui orchestre leur affrontement à travers des ateliers absurdes.

Compétition Officielle installe le monde du cinéma comme un empire d’égocentrisme et de vacuité constante, dans lequel des êtres boursouflés par leur narcissisme ostensible se voient déconnectés de la réalité des gens simples, qu’ils ont pourtant la charge de transcrire à l’écran. Le cynisme constant de Mariano Cohn et Gastón Duprat s’exprime dès l’entame du film, alors que l’amorce du projet de long métrage fictif n’est pas le fruit d’une vision artistique, mais seulement du désir d’un parvenu de laisser une trace derrière lui. La création cinématographique a pour base une volonté économique et non émotionnelle, et le septième art n’est qu’un instrument voué à flatter un puissant. Jamais le public potentiel de l’œuvre n’est considéré dans la construction du film au centre de Compétition Officielle, chaque strate de son élaboration n’est qu’un moyen de plus pour ses participants de se complaire dans leur orgueil démesuré. En privant presque totalement Compétition Officielle de personnages secondaires, et en s’épanouissant dans la mise en image de grands décors vides, Mariano Cohn et Gastón Duprat renvoient les protagonistes à un repli sur soi évident dont ils n’ont pourtant pas conscience. Dans des séquences hilarantes, les comédiens du film crient leur propre nom face à ces espaces absents de toute vie, comme pour vérifier qu’ils existent vraiment au-delà des apparences qu’ils entretiennent. La frontière entre l’égoïsme du trio de personnages principaux et leur extrême solitude est souvent tracée, faisant évoluer les deux idées de concert. À chaque gag qui démontre la folie douce de l’un des héros du film succède une scène plus mélancolique où ils font face à leur travers dans le cadre privé. Ainsi, Lola est une élitiste, mais tente vainement de s’adonner à une danse à la mode; Iván se drape d’un intellectualisme factice mais rêve d’un blanchiment des dents; Felix se vante de son régime alimentaire exigeant, mais dévore pourtant un hamburger dans le plus grand secret.

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© 2021 Mediaproduccion S.L.U, Prom TV S.A.U. Tous droits réservés

Au cœur de la dissertation facétieuse proposée par Compétition Officielle, la confrontation entre deux approches totalement différentes du métier d’acteur forme le pivot du récit. En installant les personnages de Felix et Iván comme deux pôles opposés de la comédie, le long métrage entend décrire l’éventail le plus large possible. Pourtant, les protagonistes se révèlent être les deux faces d’une même pièce, bien plus proches que ne laissaient paraître les premières minutes du film. Iván semble être le vecteur de sérieux et de vérité dans les scènes initiales. Sa méthodologie presque mathématique et son altruisme complètement exagéré prête à sourire mais témoigne d’une forme de respect pour sa profession. Néanmoins, plus Compétition Officielle avance, plus le masque tombe, et ses exercices ridicules ne deviennent plus qu’instrument voué à flatter son égo. Iván prétend maudire les récompenses, et pourtant, seul face au miroir, il répète un discours de remerciement faussement corrosif. À l’inverse, la frivolité de Felix peut paraître froidement attaquée dès l’entame du récit, et il est évident que Mariano Cohn et Gastón Duprat tournent en ridicule sa désinvolture durant toute la durée de l’œuvre. Pourtant, ce personnage détestable qui fait de la comédie un assemblage de trucages idiots parvient à piéger ses deux vis-à-vis et à leur mentir sans qu’ils ne s’en doutent. Si Compétition Officielle ne décrit pas exactement une juste voie dans l’approche de la comédie, il souligne toutefois la proximité insoupçonnée entre ses deux protagonistes.

Ce jeu de similitude inattendue se synthétise perpétuellement dans la mise en scène de Mariano Cohn et Gastón Duprat, qui rapprochent visuellement les deux comédiens. Bien qu’ils se détestent cordialement, et bien que tout les oppose, ils sont appelés par Compétition Officielle à ne former qu’une entité. Face à Lola, au moment de la première lecture du texte, ils sont montrés côte à côte et non face à face. Dans une autre répétition, alors que la réalisatrice fait planer au-dessus d’eux une gigantesque pierre qui menace de les écraser dans un exercice déjanté, ils sont à nouveau proches physiquement. Enfin, lors d’une autre séquence beaucoup plus explicite, la metteure en scène fait fusionner leurs corps en les entourant de cellophane, à travers une autre de ses excentricités. Le binôme n’est plus qu’un, et la symbolique du film poursuit cette image : le visuel de deux cerises qui se touchent devient récurrent dans Compétition Officielle pour métaphoriser leur rapport. Ironiquement, la trame du film souligne le fait que les rôles qu’ils sont appelés à jouer sont parfaitement interchangeables et qu’un seul comédien pourrait endosser les deux casquettes si besoin était.

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© 2021 Mediaproduccion S.L.U, Prom TV S.A.U. Tous droits réservés

En dépossédant les comédiens de leur identité pour les transformer en êtres analogues, Compétition Officielle confère à Lola une position presque divine. Au-delà de son obsession maladive du contrôle, la réalisatrice épouse un aspect démiurge et affirme son emprise sur la trajectoire des acteurs, qu’elle semble posséder. Sans cesse, elle détruit pour reconstruire. La diction de Iván, qu’on imagine pourtant travaillée depuis des années, est ainsi ouvertement critiquée par la cinéaste qui lui intime l’ordre incessant de répéter ses répliques. Plus ouvertement, la destruction totale des statuettes de récompenses qu’ont glané les deux acteurs assoit l’autorité absolue de Lola. Pourtant, et avec une grande ironie, Mariano Cohn et Gastón Duprat démystifient le métier de réalisateur pour réduire sa mission à néant. Chacune des nombreuses scènes humoristiques du film ne sert qu’à accentuer un peu plus la caricature acide de Lola qui est offerte. Dans sa quête de vérité absolue, la cinéaste perd totalement pied avec la réalité, en tentant d’en saisir le moindre détail. À force de méticulosité, Lola passe à côté de l’essentiel. Ainsi, la recherche du tissu idéal pour un simple rideau devient maladive, tandis que la dynamique émotionnelle de son film en devenir se perd. Lola refuse l’imitation, pourtant rien de vrai ne naît de sa démarche. Symboliquement, la pierre qu’elle faisait suspendre au-dessus de Felix et Iván se révèle factice et faite de carton-pâte, illustrant ainsi le troncage du réel dont la metteure en scène se rend coupable sans s’en rendre compte.

Si la conception du film dans le film ne met qu’une seule chose vraie à jour, c’est le profond mépris que vouent les trois protagonistes pour ceux qui les entourent, et dans une certaine mesure pour eux-mêmes. Bien que Compétition Officielle reste une pure comédie, une violence sous-jacente née organiquement du long métrage, fruit de l’acidité voulue par Mariano Cohn et Gastón Duprat. La caricature n’épargne personne et l’entreprendre en faisant des concessions n’aurait pas de sens. Les deux réalisateurs parsèment leur œuvre de personnages presque invisibles de prime abord, mais qui à des instants diablement précis se révèlent être le support du dédain des trois héros du film, comme un témoignage de leur duplicité morale effroyable. De plus, l’égo surdimensionné des protagonistes destine Compétition Officielle à se conclure dans une violence attendue. Le chaos perpétuel est tel que le moindre équilibre atteint ne peut être qu’éphémère, et la communion de la scène de répétition finale est rapidement mise à mal par une recrudescence de haine. Mariano Cohn et Gastón Duprat se révèlent encore plus glacial au moment de mettre un point final à leur film : l’entrepreneur qui a financé le long métrage fictif a construit un pont pour laisser sa trace dans l’Histoire, et ne s’est pas contenté de l’œuvre de Lola. Le projet cinématographique s’est accompli, mais il n’aura servi à rien en définitive.

Acide, corrosif, et surtout drôle, Compétition Officielle dynamite le petit monde du cinéma pour en offrir une caricature savoureuse.

Compétition Officielle est disponible en Blu-ray et DVD chez Wild Side, avec en bonus : 
des entretiens avec l’équipe du film

Nicolas Marquis

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