Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin
Jack Burton affiche

(Big Trouble in Little China)

1986

Réalisé par: John Carpenter

Avec: Dennis Dun, Kurt Russell, Kim Cattrall

Film fourni par L’Atelier D’Images.

Certaines légendes du cinéma s’écrivent en dehors de l’écran autour duquel nous communions tous. Pour bien comprendre les volontés propres qui habitent Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, et l’intention première de son réalisateur John Carpenter, un peu de contexte est nécessaire. En 1986, la carrière du cinéaste connaît un certain coup d’arrêt: si Christine a connu un beau succès, Starman et The Thing n’ont pas rencontré leur public. Le metteur en scène est sûr que les années redoreront les blasons de ces deux longs métrages, à raison, mais il a toutefois besoin d’un projet qui le remettrait immédiatement sur le devant de la scène hollywoodienne. Il ne sait pas encore que cette aspiration le mène invariablement vers un bras de fer mythique avec la 20th Century Fox, qui dégoutte pour un temps John Carpenter des films à gros budget.

Le tournage se déroule aussi bien que possible, mais les relations de travail deviennent tendues lors des projections privées auprès des financeurs, qui confrontent leur logique mercantile à la vision d’un artiste: d’un côté la Fox veut son Indiana Jones, d’un autre côté John Carpenter à la plus vaste ambition d’offrir un hommage appuyé à la culture asiatique. Les studios ne comprennent pas cette démarche, et après avoir montré un certain désintérêt pour le film, ils imposent des scènes additionnelles, dont le cinéaste ne veut pas mais qu’il se résigne à tourner, avant de lâcher complètement le film en pleine promotion. Difficile donc d’aborder sereinement Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin et pourtant, à chaque mouvement de caméra, la magie opère, le réalisateur parvient à nous communiquer sa générosité légendaire, et cette nouvelle édition de L’Atelier D’Images permet de savourer le film à sa juste valeur, grâce aux nombreux bonus qui font intervenir des participants à l’élaboration de l’œuvre et qui jettent un regard nouveau sur les envies de John Carpenter.

Dans ce nouveau film, le maître de l’horreur délaisse l’épouvante pour offrir du grand spectacle bon enfant. Jack Burton (Kurt Russell) est un chauffeur de camion, ayant ses habitudes dans le quartier chinois de San Francisco. Après une rude soirée de beuverie, il accepte à contrecœur d’accompagner son ami Wang (Dennis Dun) à l’aéroport pour y accueillir Miao Yin (Suzee Pai), la promise de ce jeune restaurateur asiatique. Fraîchement débarquée de l’avion, la belle est immédiatement kidnappé par les truands de Little China, et Jack et Wang se retrouvent plongés dans une guerre opposant différentes écoles d’arts martiaux locales, le crime organisé, mais aussi des forces occultes millénaires regroupées derrière le sorcier Lo Pan (James Hong).

Jack Burton illu 1

Au premier niveau de l’analyse, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin se révèle être un long métrage à la structure narrative aussi claire qu’efficace, presque linéaire si elle n’était pas aussi diaboliquement amusante. En épousant les codes du film d’aventure de l’époque, en accord avec la légèreté voulu par les producteurs, John Carpenter assimile la force qui réside dans la simplicité de cette grammaire, mais décèle aussi son potentiel pour délivrer quelques thèmes forts, même s’ils finiront contrariés par les circonstances qui entourent la fin du tournage. On ne semble jamais très loin du jeu vidéo, en plein essor en 1986, dans la courbe de progression qu’empruntent les deux héros du film. Jack, mais surtout Wang, sont d’abord confrontés à une poignée de sbires, puis viennent les tumultes des grands affrontements chorégraphiés, de plus en plus imposants, avant d’être face aux antagonistes principaux du films, hautement stylisés. L’avalanche de pugilat dans des lieux exiguës, comme des couloirs, invite aussi l’imagerie des Beat’em All contemporains de l’œuvre: un jeu comme Double Dragon, qui partage de nombreuses similarités avec Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, sort ainsi l’année suivante. Il existe un certain essor de la culture asiatique à l’époque, et John Carpenter embrasse la curiosité du public.

Pourtant, l’inspiration initiale de Gary Goldman et David Z. Weinstein, les deux scénaristes du long métrage, est tout autre: si la dimension chinoise de l’œuvre a toujours été présente, sa première version devait être un Western dans lequel Jack aurait été un cowboy. Il faut attendre la venue de W.D. Richter en tant que Script Doctor pour que l’histoire soit catapultée dans le monde moderne. Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin n’en garde pas moins certains traits caractéristiques: de manière très ouverte, le film fait par exemple référence la construction des chemins de fers pour laquelle la main d’œuvre asiatique était essentielle, et si Jack n’a pas de cheval mais un camion, un échidné est bien présent sur le capot de son engin. Plus implicitement, les similarités avec les films des légendes de l’Ouest sont nombreuses, en premier lieu desquels l’installation de la figure du héros: il est aisé de voir en Kurt Russell le squelette d’un pistolero, arrivant au centre d’une querelle dont il ne maîtrise pas les tenants et aboutissants, opposé aux figures d’autorité en place puisque Lo Pan est aussi bien assimilé à un spectre qu’à un chef d’entreprise malhonnête. Le cinéma asiatique, cependant essentiellement japonais, et le Western se sont mutuellement influencés au fil des années, et Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin opèrent presque un retour aux sources.

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Il convient dès lors, alors que John Carpenter cherche ouvertement à rendre hommage à l’Asie, de s’interroger sur ce qu’il choisit de garder de l’Amérique. C’est à travers le personnage de Jack que s’épanouit cette couche de l’histoire. Dès les premières images, en nous montrant son héros au volant de son camion, de nuit, le réalisateur nous place au plus près de la classe ouvrière de son pays et de son quotidien éprouvant. Burton est sale, le visage marqué, la privation de sommeil évidente, et pourtant il sillonne les routes inlassablement pour gagner sa croûte. John Carpenter balaie à nouveau les clivages politiques pour se placer dans le camp de ceux qu’il aime: les américains moyens. Toutefois, à mesure qu’on adopte ce protagoniste, son aspect grotesque ne cesse d’éclater au grand jour. Jack Burton est une grande gueule, voire un léger idiot, ses prouesses au combats sont loin d’être flamboyantes, et seule une hypothétique histoire d’amour avec Kim Cattrall le motive réellement.

Pour parfaitement admettre le film, il faut comprendre que Kurt Russell n’est que l’acolyte de Dennis Dun, un simple garant de la bouffonnerie et de l’humour du long métrage, toute la charge dramatique est ailleurs. Une idée qui est au centre de la conception de l’œuvre: John Carpenter lui-même la conforte dans les bonus de cette nouvelle édition, et Kurt Russell évoque même des concours avec le cinéaste pour trouver de nouvelles astuces permettant d’évacuer Jack Burton de certaines scènes. Elle est probablement ici la discorde la plus intense entre le réalisateur et les studios, qui ne comprennent pas l’avalanche d’humour très grand guignolesque, le manque d’emprise du héros sur le film, et son absence de réel charisme. C’est en tout cas ce dilemme qui a forcé les décisionnaires à faire tourner à John Carpenter un prologue inutile et incongru dont l’artiste ne voulait pas.

Si Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin est alors une porte ouverte vers la culture de la population d’un autre continent, déjà établie sur le sol américain, le périple oscille constamment entre imaginaire et réalité, à un endroit où les mythes et légendes se confrontent à la modernité. Le repère secret de Lo Pan se cache ainsi au cœur de San Francisco, mais en sous sol, là où nulle n’y mettra les pieds. C’est un monde secret, caché de tous, bien que nul sino-américain ne doute de son existence, dans lequel on pénètre toujours par un passage étroit, un peu tel Alice dans le terrier du Lapin Blanc. D’abord une ruelle minuscule, puis un couloir étroit, voire un vrai souterrain claustrophobique: la transition est toujours notable et le travail de John J. Lloyd sur le décors, lui le grand maître de la perspective, est essentiel à cette compréhension.

Jack Burton illu 3

À plus forte raison, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin porte tellement en lui l’envie de placer les personnages d’origine asiatique sur le devant de la scène, malgré les embûches semées par la production, qu’il n’hésite pas à faire de Kurt Russell un suiveur, visuellement. Jack ne sait jamais où il doit aller, Wang précède toujours ses pas et la moindre de ses initiatives. Quelle destination pour le duo ? Où John Carpenter nous dirige-t-il ? Dans l’une des ultimes scènes du film, le cinéaste semble nous donner la réponse alors que le décors fait autant la part belle aux statues asiatiques centenaires, qu’aux néons modernes. L’Asie n’est pas une expérience qu’on peut condenser et consommer, elle est le fruit de millénaires entiers d’Histoire, et même si John Carpenter en offre une sorte de best of, il prend soin de toujours placer le spectateur dans une position presque ignorante, en perpétuelle découverte. Ce n’est d’ailleurs nullement un hasard si la première fois qu’on sillonne Little China, c’est à bord d’un bus de touriste: nous avons tout à découvrir.


Une fois ces éléments posés, la grande thèse propre au film semble s’articuler autour de la cohabitation possible entre américains caucasiens et ceux venus d’Asie. Sans devenir un pamphlet humaniste, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin réussit à insuffler quelques thématiques lourdes derrière le maquillage du divertissement. Le kidnapping de réfugiées et la prostitution ne sont pas des éléments simples à distiller dans un long métrage à gros budget, et pourtant John Carpenter y parvient ! Son délire acidulé ne saurait être que léger, il chatouille la gravité. Le cinéaste semble en réalité nous dire que les cultures venues d’ailleurs sont une chance de s’élever intellectuellement, mais que pour caresser cette richesse, il faut savoir faire le premier pas, comme Jack Burton y a été contraint, et s’imprégner de l’autre pour s’en nourrir.

Véritable moment de cinéma jouissif, Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, malgré ses problèmes de conception, est un bonbon acidulé qui se savoure une fois de plus à merveille, dans cette nouvelle édition.

Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin est a retrouver du coté de L’Atelier D’Images dans une édition entièrement restaurée, comprenant:
– Commentaires audio de John Carpenter et Kurt Russell
– Scènes coupées
– Fin alternative
– Featurette vintage
– Clip vidéo
– Interview de Richard Edlund
– Bandes-annonces
–  » Retour à Little China « :: interview de John Carpenter
– « Dans la peau de Jack Burton  : interview de Kurt Russell
–  » Carpenter et moi  » : interview de Dean Cundey
–  » Produire Les aventures de Jack Burton  » : interview de Larry Franco
– « Mettre en scène Les aventures de Jack Burton « : interview de Jeff Imada
– Cartes postales
– Affiche
– Livret

Nicolas Marquis

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