Lost Highway

1997

de: David Lynch

avec: Bill PullmanPatricia ArquetteJohn Roselius

Ha putain! Nous voilà bien dans la merde! Pardonnez ce cri du cœur mais ce moment on l’a presque redouté. Voici venu l’instant tragique où on va devoir vous proposer l’un des films de David Lynch les plus nébuleux (et accessoirement l’un de nos préférés) pour coller à l’actu. Franchement, c’est presque aussi compliqué à critiquer qu’à interpréter, pour une raison simple: on n’a pas envie de vous enlever ce plaisir récurrent dans la filmographie du cinéaste, celui de faire par soi-même son chemin intérieur pour dégager du sens à l’œuvre. Un fil scénaristique cohérent dans “Lost Highway”, on a chacun le nôtre, et ne serait-ce qu’amorcer un début d’explication serait trahir le réalisateur et ça, jamais! C’est à vous de créer votre propre interprétation et le moindre détail de l’histoire peut vous y être utile. Acceptez donc pour une fois qu’on laisse de côté l’excellent scénario du film, pour vous prémunir de toute ligne directrice, et qu’on vous livre avant tout notre ressenti autour d’un de nos films cultes.

Ce qu’on peut déjà affirmer directement après séance, c’est que “Lost Highway” est sans conteste l’une des oeuvres les plus trash de David Lynch, sans que cela soit gratuit. Un côté rock, rêche, rugueux, presque grinçant: le film est volontairement brut. Cette ambiance, elle fait partie du pacte qu’on fait avec le réalisateur: rentrer dans son univers, d’autant plus lorsque la structure est non linéaire mais davantage un cercle vicieux, c’est pénétrer un domaine où l’auteur est roi. Lynch s’affranchit de toutes règles de convenance cinématographique pour ériger ses propres dogmes. Après “Blue Velvet” déjà bien perché, et avant “Mulholland Drive” qui est peut-être la quintessence de cette pratique, le cinéaste est ici maître de son royaume et le spectateur est un simple pion.

Pour autant, on est pas complètement perdu dans “Lost Highway”, qui porte plusieurs des thèmes phares du cinéaste et quelques éléments de construction habituels: parmi ceux-là, quelques personnages symboles, mais pas totalement. C’est qu’en fait, le cinéma de David Lynch ne représente pas des protagonistes mais bien plus des perspectives. Chaque scène pourrait être représentée de manière totalement différente suivant le point de vue que choisit Lynch. Cette pratique, il l’utilise pour développer une réflexion autour de la mémoire: Quelle réalité? Quel fantasme? Quelle différence pour ceux qui les partagent? Et quels points communs? C’est le moteur de presque tous les films du cinéaste à cette époque. Apporter une critique de nos mythes personnels et de l’aspect fatalement incorrect de nos souvenirs.

« En attendant le basket… »

Voilà! Bordel! On vous a dit qu’on allait vous perdre, accrochez-vous là! Bon rassurez-vous, il y a quand même quelques éléments (aussi subtils soient-ils) qui vous guideront dans le film. On pense notamment à la musique, au-delà de la chanson d’ouverture de David Bowie qui fût un ami proche de David Lynch. C’est en réalité toute la bande son d’Angelo Badalamenti (un autre collaborateur récurrent du cinéaste) qui en parfait accord avec le film offre une rampe à laquelle s’approcher. « Lost Highway » est une expérience de chaque sens, et l’ouïe tout particulièrement.

Autre aspect récurrent du cinéma de David Lynch: ces personnages de flics d’un “terre-à-terre” qui confinent à la bêtise. Mais pour autant, on aurait tendance à ne pas y voir une critique de la société mais plutôt justement un symbole de pragmatisme, un repère de vérité. La politique n’intéresse que très peu le réalisateur, sa quête est à une échelle plus humaine. Une recherche de l’inaccessible et du fantasme interdit.

Pour y parvenir, Lynch s’appuie sur une science du rythme et de la retenue ponctuelle quasiment parfaite. “Lost Highway” est une montée en régime lente mais qui arrive jusqu’à un extrême nerveusement génial. Son sens du décor explose également à l’écran: des lieux marqués, parfois par l’agencement de la pièce, parfois par une espèce de côté rétro savoureux à souhait. 

Mais c’est aussi la direction d’acteur que l’on veut retenir: en choisissant de réunir des acteurs aux physiques particuliers et spécialement aux faciès marqués, David Lynch offre presque un sentiment de malaise contrôlé dans les moments les plus nébuleux. Admettre le propos du film c’est fatalement admettre l’escamotage que le réalisateur effectue en vous dirigeant sur des fausses pistes, aidé par ce casting si talentueux.

L’un des plaisirs de la filmographie de Lynch, c’est réussir à se faire une interprétation personnelle de son œuvre: trouver sa propre réponse comme un enquêteur pervers. À ce jeu, “Lost Highway” est l’un de ses long-métrages les plus aboutis, rivalisant avec “Mulholland Drive” dans un esprit différent, plus sauvage. Alors n’hésitez pas une fois le film vu (parce que vous DEVEZ voir ça au moins une fois dans votre vie, ne serait-ce que pour vous faire un avis) et digéré à nous proposer vos interprétations et les confronter à la nôtre que nous avons pour le moment volontairement tue.

Nicolas Marquis

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