Tastr Time: Les temps modernes

(Modern Times)

1936

réalisé par: Charlie Chaplin

avec: Charlie ChaplinPaulette GoddardHenry Bergman

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Les temps modernes” de Charlie Chaplin.

Au moment d’aborder l’ébauche d’une critique des “Temps modernes” de Charlie Chaplin, on se retrouve face à un véritable dilemme. Imaginez un passionné de peinture qui tenterait de vous convaincre que “La Joconde” est un tableau intéressant: c’est presque inutile, l’oeuvre est dans toutes les têtes et chacun en reconnaît la splendeur. C’est un peu le même souci auquel on fait face aujourd’hui, mais c’est le jeu du Tastr Time et on s’y plie avec la joie de retrouver une oeuvre fondatrice du 7ème art, en espérant éveiller la curiosité de ceux dont la cinéphilie n’en est qu’à ses balbutiements.

Dans cette nouvelle aventure de Charlot, on retrouve le célèbre personnage aux prises avec le monde moderne de l’époque, d’abord le travail à la chaîne puis les affres de la société de consommation que le clown va croquer avec une grande pertinence et beaucoup de recul.

Et c’est dès l’entame que Charlie Chaplin va donner le ton de son oeuvre: d’abord une horloge qui égrène lentement les secondes dans une course inexorable, puis une image de moutons qui avancent bêtement, rapidement confondu avec celle des travailleurs qui se rendent à l’usine. 10 secondes, c’est le temps qu’il faut au cinéaste pour déjà s’inscrire dans une critique acerbe de la modernité.

Son talent de comédien va ensuite prendre le relais: alors qu’il s’échine sur une chaîne de montage, ses pitreries épousent la cadence du travail. Drôle à n’en pas douter, l’acteur affirme également quelque chose de plus profond, comme si le labeur marquait le corps et l’esprit jusqu’à la torture. Voilà toute la force de Chaplin: inviter au rire en même temps qu’il vous fait passer un message plus implicite, et “Les temps modernes” est probablement l’un des plus vibrants exemples de ce talent.

Passé les cabrioles abracadabrantesques de l’usine, Charlot va faire un autre parallèle osé entre le travail manuel et la prison. Par un malheureux concours de circonstances, son personnage va se retrouver incarcéré: c’est à nouveau avec une volonté rythmique presque mécanique, voisine de la scène précédente, que le magnifique clown tisse un lien entre taulards et travailleurs. Là encore, on retrouve la volonté d’affirmer une certaine privation mental des forçats de l’usine proche de celle des prisonniers.

« Tout ça pour un joint de culasse. »

Puis vient le temps de tirer à boulet rouge sur une société de consommation qui apparaît comme un miroir aux alouettes. Ses joies sont factices, le plus souvent inaccessibles à la classe ouvrière. Charlie Chaplin saisit parfaitement un dogme de notre civilisation qui est encore en vigueur aujourd’hui: travaille pour consommer, toujours plus, épanouis-toi dans la dépense de l’argent au détriment des rapports affectifs. “Les temps modernes” est un brûlot politique, presque une oeuvre anarchiste.

D’autant plus qu’à certains recoins de son histoire, Charlie Chaplin va également affirmer la volonté de notre système de casser les luttes, que ce soit par l’intermédiaire du patronat, de la police, ou des hôpitaux. Il se joint à la cohorte de marginaux pourtant plus sensés que leurs congénères et perpétuellement, la machine sociétale va les briser, les entraver.

Mais tant de messages ne gâchent pas l’ingéniosité, le plaisir et le ludisme du cinéma de Chaplin. Si son film est chargé politiquement, il s’appuie aussi notamment sur des décors fabuleux, toujours propices aux cabrioles les plus drôles. On a tous en tête cette image de Charlot prisonnier des engrenages d’une machine infernale et ce n’est pas pour rien: son travail autour des environnements est tout simplement génial.

Les temps modernes” rend également grâce au jeu de Chaplin, proche du talent d’un danseur. Ces loufoqueries s’affirment par une science du mouvement proche de celle d’un danseur. Le cinéaste est un véritable chorégraphe. C’est prépondérant dans la scène du magasin où Charlot chausse des patins à roulettes pour entamer un ballet improbable, au bord du vide. Cette émotion, ce soulèvement qu’on éprouve à le voir flirter avec le gouffre, c’est toute la pureté de son cinéma qui s’exprime.

Mais Charlot n’est pas seul et sa partenaire, Paulette Goddard, offre elle aussi une belle performance. Parfois sauvageonne, parfois émue, sur son visage se lit une infinité de nuances et son faciès reste imprimé dans la rétine, comme une illustration indélébile de cette lutte des classes qu’affirme le film.

C’est d’abord un plaisir malicieux de replonger dans le film, tant Charlot y est drôle. Mais c’est aussi une œuvre à message, où chaque joie cache une nouvelle peine avec beaucoup d’à propos.

Nicolas Marquis

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