Coup de théâtre

(See How They Run)

2022

Réalisé par : Tom George

Avec : Sam Rockwell, Saoirse Ronan, Adrian Brody, Ruth Wilson

Film vu par nos propres moyens

En 2017, Searchlight Pictures annonce la production d’un Whodunit avec dans les rôles principaux, Hugh Grant et Keira Knightley. Malheureusement, la production est stoppée à cause du rachat de la Fox par Disney. En 2019, sort le film de Rian Johnson, À couteaux tirés. Son succès remet le Whodunit sur le devant de la scène. Searchlight en profite pour ressortir de ses tiroirs See How They Run, avec cette fois-ci dans le rôle de l’inspecteur Stoppard et de son équipière la jeune officier Stalker, Sam Rockwell et Saoirse Ronan. Ils doivent enquêter sur la mort d’un réalisateur qui devait adapter La souricière d’Agatha Christie.

Quand on a vu un Whodunit, on les a tous vus !

Le film débute par un personnage expliquant aux spectateurs que le Whodunit est un genre usé jusqu’à la corde, mais quel est ce genre ?  Sa définition est très simple: il s’agit d’une intrigue policière mettant en scène un enquêteur excentrique accompagné d’un amateur. Cela n’est pas obligé que l’enquêteur appartienne aux forces de police. Ces récits ont été popularisés par Agatha Christie et ses personnages cultes : Hercule Poirot et Miss Marple .

Coup de théâtre propose un regard critique sur le Whodunit. Tom George, le réalisateur, nous plonge dans une partie de Cluedo endiablée tout en nous rappelant les grands principes du genre. Une société riche et flamboyante en façade mais qui cache de lourds secrets, différents lieux, des indices qui tombent toujours au moment où les enquêteurs sont bloqués et enfin une résolution de l’affaire dans une salle réunissant tous les suspects. Rien n’est oublié. La victime avant de mourir dit « lorsqu’on a vu un Whodunit, on les a tous vus», ces mots sont illustrés tout au long du film, l’enquête n’a rien d’exceptionnelle, elle est même très classique et si vous avez l’âme d’un détective, vous trouverez rapidement la solution. Le mystère n’est pas ce qui est important, ici la véritable enquête est de découvrir pourquoi ce genre dépassé revient sur le devant de la scène. Pour répondre à cette question, le metteur en scène choisit d’utiliser l’humour pour mettre en lumière les défauts du Whodunit. Il ridiculise ses personnages en commençant par son duo d’enquêteurs. L’inspecteur Stoppard est un alcoolique dépressif qui donne l’impression de s’ennuyer dans son travail. Sa coéquipière, l’agent Stalker est une fan de cinéma beaucoup trop enthousiaste et assez maladroite. Le spectateur, malgré sa sympathie pour ce duo attachant, ne peut prendre les personnages au sérieux. Le réalisateur les place souvent dans des situations ridicules et fait avancer l’intrigue non pas par leur travail mais bien souvent par un pur hasard plaçant l’indice devant leurs yeux. Ce point permet de dénoncer la structure même de l’enquête, celle-ci est basée finalement davantage sur le bon vouloir de l’auteur plutôt que sur des déductions. 

Du côté des suspects, ce ne sont que des archétypes. Une riche productrice avide d’argent, un auteur ne supportant pas d’être rabaissé, un acteur à l’égo surdimensionné, bref les suspects habituels. Le long métrage nous les montre comme vides, ne s’attardant jamais trop longtemps sur leur vie, ils ne sont là que pour nourrir l’énigme. Les profils et mobiles sont souvent les mêmes, Le Whodunit tourne en boucle. Il est prévisible et lorsque l’on doit l’adapter, le réalisateur américain propose de tourner un climax bourré d’action et d’explosions car la simple présentation des faits est jugée comme désuète. Ceci est appuyé par la réalisation qui utilise beaucoup de split screen pour tenter de dynamiser le récit des témoins ou bien encore pour ajouter de la tension lors des courses poursuites. Le réalisateur ne laisse jamais le temps à ses protagonistes de souffler, ils doivent toujours rester en mouvement quitte à s’emballer et mener le spectateurs sur de fausses pistes.

Le passionné de Whodunit devrait se sentir insulté de voir ainsi son genre préféré ridiculisé en permanence, pourtant Coup de théâtre arrive à capter son cœur.

Ne pas conclure trop vite.

Sous cette critique d’un genre paraissant obsolète aux yeux d’un public plébiscitant les grosses productions, Coup de théâtre est avant tout une belle lettre d’amour. Certes le réalisateur nous a montré qu’il en reconnaissait les faiblesses mais il nous prouve aussi tout son intérêt. Ce qui passionnait Agatha Christie, ce n’était pas seulement de tenter d’imaginer le meurtre parfait , c’était d’observer la nature humaine comme le rappelle souvent Miss Marple. Ayant grandi dans la haute société et été au centre des ragots lorsque son mari l’a trompée, Christie a très bien compris que cette société se cachant sous un masque de vertu, n’était en fait qu’un groupe avide de rumeurs et jaloux les uns des autres. La jalousie et l’avidité sont les mobiles qui reviennent d’ailleurs le plus souvent dans son œuvre.

Tom George fait de constants rappels à l’œuvre de l’autrice pour critiquer le milieu du cinéma tout comme elle critiquait la bourgeoisie anglaise. On retrouve des références dans les noms des personnages, certaines actions et surtout l’utilisation de sa pièce, La souricière en enjeux. Le long métrage s’attaque de plein fouet à ses adaptations de Christie qui n’ont pas saisi l’aspect culturel et social de son œuvre, privilégiant le glamour et l’action plutôt que la découverte de la nature humaine. Oui, les codes de ce genre peuvent paraître répétitifs mais ils peuvent très bien être adaptés à notre époque pour poursuivre le travail d’analyse d’Agatha Christie.

En convoquant la série Scooby Doo et ses fameuses scènes de poursuite, le réalisateur nous dit également que nous avons tous grandi avec ce genre. Le Whodunit est également un doudou, il a nourri notre imagination enfantine et notre goût du mystère, il ne faut pas l’oublier. Se replonger à la source est un moyen de se rappeler le chemin parcouru et de voir l’évolution de notre propre regard de spectateur et ce que nous avons oublié. Stoppard, flic désabusé par ses enquêtes au début du film, retrouve le plaisir de résoudre des énigmes. Il perpétue l’héritage d’Agatha Christie. En brisant le 4ème mur, il  supplie le public de ne pas dévoiler la fin pour laisser aux nouveaux arrivants le plaisir de jouer les détectives amateurs.

Coup de théâtre est un petit film sans prétention mais plutôt rafraîchissant. Tom George est conscient des faiblesses de ce genre ancré dans la culture anglaise mais il nous les fait oublier grâce à sa réalisation, son message, ainsi que son duo d’enquêteurs attachant et drôle. 

Le film est actuellement au cinéma.

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