Nous sommes tous des assassins

1952

de: André Cayatte

avec: Marcel MouloudjiRaymond Pellegrin

Durant la seconde guerre mondiale, René, un homme aux origines plus que modeste, analphabète et alcoolique, rejoint la résistance, avec pour principale mission d’exécuter les traîtres qui collaborent avec le régime nazi. Mais le jour de la libération, en état d’ébriété, il va faire feu sur l’un de ses camarades. Condamné à mort, il va attendre sa terrible sentence, avec l’espoir quasi chimérique d’une grâce présidentielle qui lui éviterait la guillotine.

Pour mettre en scène cette histoire inspirée d’un fait réel, on retrouve André Cayatte, ancien avocat devenu réalisateur, et l’un des précurseur du genre: le film-pamphlet politique, sur fond d’affaire judiciaire. Il va réussir, non sans défauts, à délivrer un message fort, anti-peine de mort, à contre-courant des opinions de son époque. 68 ans plus tard, réfractons cela ensemble.

Et si vous ne connaissez pas André Cayatte soyez d’abord rassurés: certes reconverti, son talent de cinéaste est indéniable. Le montage de “Nous sommes tous des assassins” en est une preuve. Haletant, les scènes s’enchaînent sur un train d’enfer, grâce à un découpage particulièrement dynamique pour l’époque. Sans doute une façon d’asséner son message avec force, en prenant le spectateur à la gorge pour ne jamais le lâcher. 

Du talent, il en transpire aussi dans l’écriture de son personnage principal, qu’incarne Marcel Mouloudji. Issu de la misère la plus totale, cet anti-héros qu’est René est cohérent, jusque dans ses erreurs, et on imagine aisément comment cette époque troublée a pu enfanter de tels esclaves d’une société qui se cherche. Cet engrenage terrible va aussi broyer le petit frère de René, placé dans une famille d’accueil qui n’a de famille que le nom. On regrette toutefois que ce personnage soit plus mal amené dans le récit que René. Trop peu de scènes, trop mal réparties: il arrive souvent comme un cheveu sur la soupe alors que la pression carcérale étouffe le protagoniste principal.

Illustration nous sommes tous des assassins

« Classe en toutes circonstances »

D’autres personnages secondaires mieux travaillés, le film n’en manque pas : on pense surtout aux co-détenus de René, des hommes condamnés à une mort à laquelle il ne peuvent échapper. Ils ont tous une histoire à eux, cohérente, même si on pourra reprocher au film de ne montrer que des personnages positifs: les limites de l’aspect pamphlétaire de l’oeuvre.

Malheureusement, ils portent aussi en eux le plus gros défaut de “Nous sommes tous des assassins” : si René a toute la durée du film pour se construire plus en finesse, les autres détenus eux ont fatalement un nombres de scènes plus restreints. Conséquence directe: une tendance à se lancer dans de grandes tirades, intéressantes sans conteste, mais inattendues, et qui sortent un peu le spectateur du récit pour l’emmener sur un terrain purement politique. Un procédé légèrement maladroit, qui transforme le premier prisonnier venu en philosophe accompli.

Dommage, car André Cayatte fais preuve de plus de subtilité à certains moments, particulièrement lorsqu’il restitue la déshumanisation des condamnés. On pense notamment aux entraves que l’on impose aux prisonniers, ou à la surveillance constante des gardiens pour éviter qu’un détenu se substitue à la guillotine en se suicidant, summum de l’absurdité. Ou encore aux employés de la prison qui rigolent des malheurs de notre héros et de ses semblables. 

Et c’est là aussi un reproche que l’on peut adresser à “Nous sommes tous des assassins”, un manque de consistance dans les personnages qui ne sont pas des prisonniers. Ils sont tous terriblement manichéens, tel ce curé fraîchement débarqué dans la prison, et qui fait preuve d’une compassion sans faille un peu mal amené. Et même si certains vont s’épaissir à mesure que le film avance, leur installation dans le récit est maladroite. Peut être seul l’avocat de René fait exception, car lui aussi peut profiter des 2 heures de film pour évoluer. Heureux au début d’hériter d’une si grosse affaire, il se confronte progressivement au système. La conclusion de ce personnage peut par contre laisser perplexe car empreinte de naïveté. Au final, les plus humains des personnages sont les prisonniers condamnés à des peines moins lourdes, qui soufflent inlassablement une bougie pour chaque condamné exécuté dans des scènes où le réalisateur affiche une belle maîtrise de l’éclairage. 

8000

Pamphlet anti-peine de mort, avant d’être un véritable état des lieux de l’époque, “Nous sommes tous des assassins” est un film loin d’être parfait dans sa mise en scène. Mais en guise de conclusion, rappelons deux faits:
-Le film est sorti en 1952, et il faudra attendre 29 longues années pour que la peine de mort soit définitivement abolie en France
-En 2015, selon IPSOS et Opinionway, presque un français sur 2 se disait en faveur de la peine de mort
Alors quand un combat est juste, et qu’un cinéaste a le courage de poser ses baloches sur la table, les réfracteurs s’inclinent !

Nicolas Marquis

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