Le Conte de la princesse Kaguya
Le Conte de la princesse Kaguya

(かぐや姫の物語)

2013

Réalisé par: Isao Takahata

Avec: Aki Asakura, Kengo Kora, Takeo Chii

Film fournit par Wild Side

Il existe des mots qu’on ne prononce que trop tard. Des idées, des sentiments, des émotions qui finissent couchés sur le papier une fois l’heure funeste passée. Une admiration profonde qu’on aurait voulu exprimer plus tôt, tant qu’il était encore temps. Elle est parfois bien étrange la relation qui unit le spectateur à l’artiste: on l’imagine à sens unique, on se repaît dans la contemplation, puis on se rend compte, au moment de partager sa passion et son amour pour un auteur afin d’étendre ce lien, que celui-ci n’est déjà plus parmi nous. Bien évidemment, même si Isao Takahata ne nous avait pas quittés en 2018, il y a peu de chances qu’il eut un jour l’occasion de nous lire. Pourtant, le simple fait de convaincre une personne, même une seule, de découvrir son travail de son vivant aurait suffit à restituer une part du plaisir que nous a procuré le réalisateur. mais voilà, les hommes sont éphémères mais leur œuvres demeurent pour l’éternité et Le Conte de la princesse Kaguya restera son ultime bijou, son film testamentaire, 5 ans avant son décès, et convoque autour de lui une forme d’apogée de son savoir-faire visuel ainsi que d’innombrables thématiques propres à ce géant de l’animation, éternellement associé aux studios Ghibli.

Si la vie n’était pas si brève et cruelle, il aurait même été amusant de souligner à quel point cette notion d’immortalité des grandes histoires était inhérente à la légende de Kaguya, qui trouve racine dans des textes fondateurs de la littérature japonaise remontant au 10ème siècle. Un conte simple, beau, pur qui sied parfaitement au style du cinéaste à l’origine de films comme Le Tombeau des lucioles, Pompoko, Mes voisins les Yamada ou encore Souvenirs goutte à goutte. Une ode à la vie et à la liberté qui retrace le parcours d’une enfant née dans une pousse de bambou et recueillie par un vieux paysan et son épouse. Cet être fantastique connaît une croissance précipitée tout à fait hors du commun et atteint une taille adulte en quelques jours à peine. Devant cet événement divin, les parents adoptifs de celle qui sera nommée par la suite Kaguya vont quitter la campagne pour gagner la ville et élever la princesse dans le luxe, avec pour ambition de lui trouver un noble mari. Mais Kaguya étouffe dans le carcan social du Japon féodal, effroyablement codifié. Elle éconduit chacun de ses prétendants et se lamente de la montagne boisée qu’elle a dû quitter.

Extase formelle

Dans un enchantement de chaque instant, c’est d’abord l’œil des spectateurs transportés dans un monde onirique que Le Conte de la princesse Kaguya caresse. Un tour de force artistique total auquel il suffit de quelques secondes à peine pour se retrouver ébahi devant la maestria que déploie Takahata. En mélangeant traits au fusain et rendus d’aquarelle, technique que le maître employait déjà dans Mes voisins les Yamada, la pépite que nous propose le cinéaste se hisse immédiatement au panthéon des œuvres Ghibli les plus époustouflantes dans leur approche visuelle. Les couleurs foisonnantes ensorcèlent et les visages sont emprunt d’une douceur absolue qui frappe immédiatement le spectateur en plein cœur. Si quelques séquences, en nombre restreint, sont volontairement plus brutes dans leurs esquisses, c’est avant tout l’émerveillement des milles nuances des couleurs de la forêt, des palais ou des costumes qui se fait saisissante. 

Le Conte de la princesse Kaguya
© 2013 Hatake Jimusho-Studio Ghibli-NDHDMTK

C’est sur cette toile idéale, proche de l’art ancestral japonais des rouleaux peints qu’affectionnait tout spécialement Takahata, que l’ambiance sonore peut pleinement s’épanouir. D’abord subtilement à travers le tintement de clochettes ou le bruissement des feuilles des arbres, puis de manière plus marquées dans la bande son proposée par le génial Joe Hisaishi ou dans la récurrence d’une comptine entonnée par plusieurs protagonistes de l’histoire qui vient accentuer le propos profonde du Conte de la princesse Kaguya.

C’est dans la simplicité d’apparence que s’exprime pleinement le chef-d’œuvre de Takahata, dans l’expression pure de sentiments sincères que la structure du conte, voire de la fable, permet d’atteindre. Il plane sur le destin de Kaguya une morale implicite évidente que le spectateur saisit naturellement, sans avoir besoin de forcer des sentiments de façon outrancière. Le maître joue la carte salvatrice de la retenue, sûr de la destination vers laquelle il embarque son public: il subsiste l’impression que les sourires et les larmes initiés par le long métrage sont nés de manière presque organique, dans un schéma narratif connu mais ici magnifié par le style formel de Takahata.

Prolongement naturel

Tout au long de sa filmographie, le cinéaste n’aura eu de cesse de disserter autour de la nature et du lien qui se perd entre l’homme moderne et les traditions ancestrales. Kaguya est heureuse dans sa montagne et dans les joies simples que la forêt lui procure, tandis qu’elle se lamente inlassablement à la ville. Le simple fait que cet être hors du commun naisse d’une pousse de bambous suffit à poser immédiatement cette thématique première du Conte de la princesse Kaguya. Mais il existe aussi quelque chose de plus implicite dans le film qui semble suivre le cycle des saisons. L’héroïne de cette histoire est joyeuse comme l’été avant de sombrer dans la dépression progressive de l’automne, voire la petite mort de l’hiver. Pourtant, Takahata finira par lui offrir une forme de renaissance, imagée par le printemps, dans un élan d’optimisme toutefois teinté d’une certaine amertume.

Le Conte de la princesse Kaguya
© 2013 Hatake Jimusho-Studio Ghibli-NDHDMTK

Le Conte de la princesse Kaguya s’inscrit également pleinement dans l’ADN de Ghibli. C’est une fois de plus un récit d’émancipation que nous propose ce bastion de l’animation, qui plus est porté à nouveau par un protagoniste principal féminin. La réflexion croissante sur ce petit bout de femme opposé dans l’âme aux codes de la société qui l’entoure ne dépareille pas du destin des autres héroïnes des studios. Peut-être Kaguya est elle simplement un peu plus passive que les fillette débrouillardes et téméraires que propose régulièrement Miyazaki, avec qui Takahata entretenait une relation d’admiration mutuelle. Le réalisateur du Conte de la princesse Kaguya à besoin de poser des règles qui contraignent sa protagoniste principale pour démontrer ce qu’elles ont d’absurdes.

Environnement hostile

C’est très certainement dans ces dogmes dépassés que le film dénonce des dérives toujours actuelles. Nous ne vivons plus à l’époque de Kaguya, mais la société se fait toujours oppressante dans notre quotidien et dans les étiquettes qu’elle cherche à nous coller, comme si l’être humain devait être catalogué. On éprouve ce sentiment de rébellion dans la scène où l’héroïne éconduit ses nobles prétendants. De belles paroles exagérées sont prononcées et Kaguya va renvoyer ses courtisans à leur métaphores fallacieuses. Alors que ces personnages imagent sa beauté en s’appuyant sur divers éléments mythologiques, notre héroïne demandera d’eux qu’ils lui ramènent les objets légendaires de leurs comparaisons exagérées  L’amour ne se fabrique pas dans Le Conte de la princesse Kaguya, et il ne se vit certainement pas dans des mensonges outranciers, il se doit d’être sincère.

Le Conte de la princesse Kaguya
© 2013 Hatake Jimusho-Studio Ghibli-NDHDMTK

 
Pourtant, il y a deux personnages dont on ne doute jamais de l’honnêteté des sentiments: les parents adoptifs de Kaguya. Dans cet axe du récit, il semble que Takahata s’adresse davantage aux adultes qu’aux enfants. Il oppose deux visions quelque peu contraires de l’amour qu’on éprouve pour un enfant. Alors que la mère se contente de sincérité et de douceur, son père va lui chercher à offrir le meilleur avenir possible à sa fille, perdant de vue le bien être de Kaguya. Le message du cinéaste est limpide: là encore, il nous invite à renouer avec la simplicité et la pureté. La vérité n’a pas besoin d’être complexe, les sentiments doivent s’exprimer de la façon la plus directe possible si on veut qu’ils restent touchants.

Le Conte de la princesse Kaguya est édité chez Wild Side

À l’image de son regretté réalisateur, Le Conte de la princesse Kaguya est un film aussi beau dans sa forme que dans son fond. Une ode à la simplicité qui remet en perspective les choses les plus importantes dans une sincérité de chaque instant.

Nicolas Marquis

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