Tastr Time: Les enfants du paradis

1945

réalisé par: Marcel Carné

avec: ArlettyJean-Louis BarraultPierre Brasseur

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Les enfants du paradis” de Marcel Carné.

Cette semaine, pour ce nouveau Tastr Time, on embarque pour le Paris des bas quartiers, celui des caniveaux un peu crades, des vies brisées engoncées dans la pauvreté la plus collante et des voyous de tout poil, grands bandits ou petits escrocs minables. Mais aussi, et surtout, le Paris des artistes, des comédiens, des metteurs en scène et des funambules de la première moitié du 20ème siècle. C’est d’eux dont il va être particulièrement question dans “Les enfants du paradis”, un drame amoureux qui se tisse entre la belle Garance (Arletty), l’acteur Frédérick Lemaître (Pierre Brasseur) et le si touchant artiste de pantomime Baptiste (Jean-Louis Barrault). Les deux hommes vont se disputer les faveurs de la belle en même temps que leur notoriété grandit dans le quartier des théâtres de la capitale.

La plume

Un nom va immédiatement nous sauter aux yeux alors que défile devant nous le générique de début du long-métrage: celui de Jacques Prévert. Le poète si célèbre signe le scénario et les dialogues des “Enfants du paradis” et sans grande surprise, son écriture va friser le génie, alternant moments d’émotion brute et instants de poésie pure. Les tirades qu’il nous offre bénéficient de tout son talent d’auteur sans perdre de leur naturel. C’est évident chez le personnage de Garance: chacune de ses répliques dessine un peu plus les contours d’un personnage entier.

Les protagonistes que nous propose Prévert et le réalisateur Marcel Carné sont dans leur personnification proches de personnages d’une pièce de théâtre, très marqués. Certains sont là pour la bouffonnade, comme le directeur d’un théatre distribuant des amendes à la volée, d’autres plus métaphoriques comme Jericho, véritable rapace avare qui synthétise la précarité des bas quartiers parisiens, ou encore des antagonistes affirmés n’hésitant pas à aller jusqu’au meurtre pour assouvir leurs pulsions.

Avec brio, Marcel Carné va confronter ces êtres avec beaucoup de naturel pour les comparer, eux et leurs motivations. La vocation des saltimbanques est par exemple par moments mise en parallèle avec celle des tueurs qu’on mentionnait, acteurs et auteurs s’écharpent autour d’une pièce, attestant de visions différentes de l’art, et au plus profond, les notions d’amour et de poursuite d’un idéal artistique sont confrontées avec une fluidité déconcertante.

« Au clair de la lune… »

Show Business

Cet amour est d’ailleurs dépeint dans “Les enfants du paradis” comme un idéal presque inaccessible: les peines de cœur sont perpétuelles et il n’existe pas vraiment d’équilibre dans le bonheur. On voit peut-être Garance davantage comme une muse que comme un cœur à prendre. Tous ces comédiens se lancent à sa poursuite sans jamais véritablement la saisir, mais plutôt en faisant de leurs mésaventures des thématiques qui tirent leur art vers le haut.

Il y a derrière cette épopée artistique une vraie idée de sacrifice humain qui griffe ceux qui s’y essayent. Baptiste est un être profondément meurtri, enchaîné dans une souffrance perpétuelle même lorsque la vie est clémente. On reste sur ce concept un poil déprimant mais toujours pertinent que la quête de la perfection est un combat sans fin contre soi-même.

Frédérick incarne lui sans aucun doute un thème plus léger du film mais pourtant omniprésent: la folie des grandeurs. Cet artiste exubérant est pétri d’orgueil et de vanité et le duo Carné/Prévert va s’en servir pour lancer une véritable charge contre les comédiens prétentieux et trop sûrs d’eux. Le long-métrage semble nous dire qu’en matière d’art ou d’affaire du cœur, aimer c’est laisser libre et ne pas posséder bassement.

Sur les planches

Aussi imposante soit la patte de Jacques Prévert sur “Les enfants du paradis”, le réalisateur Marcel Carné n’est absolument pas en reste et va faire preuve d’une maîtrise technique qui saute aux yeux. Au plus évident, il y a un travail enchanteur autour de l’éclairage et des ombres qui se portent sur les visages des personnages. La pénombre restitue la douleur, un filet de lumière met en valeur un regard pour accentuer une émotion: Carné maîtrise ses protagonistes avec un brio permanent.

Un style qui s’épanouit aussi dans des grands effets de foules qui donnent de l’ampleur au film, un souffle presque épique. Le public des théâtres bien sûr, qui en réagissant comme un seul homme exacerbent les sentiment, mais aussi les passants des boulevards parisiens qui offrent aux personnages principaux du film une place plus ancrée dans la société: au milieu de cette jungle humaine, Garance, Frédérick et Baptiste ne sont qu’une infime partie d’un tout bien plus vaste, des destins comme il en existe mille autres.

Puis enfin, il y a les scènes de pantomime à la mise en scène fabuleuse qui insufflent de la poésie au bout des gestes les plus infimes. Des séquences muettes qui en disent pourtant long et où Jean-Louis Barrault laisse éclater un talent de comédien hypnotisant. Impossible d’oublier ces séquences qui s’impriment d’une façon très primaire dans notre âme de spectateur.

Les enfants du paradis” représente une exaltation artistique fascinante où chaque détail appuie un propos plus large. Des destins plein de beauté et de mélancolie qui marquent les cœurs.

Nicolas Marquis

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