Un après-midi de chien

(Dog Day Afternoon)

1975

de:  Sidney Lumet

avec: Al PacinoJohn CazalePenelope Allen

Le film de braquage est un sous-genre du septième art bien particulier: souvent cantonné au simple rôle de divertissement, il est régulièrement porteur de thèmes sociaux forts. Même une œuvre comme “La casa de papel” et sa qualité disons toute relative contient une part de rébellion envers la société. Quand un grand réalisateur s’essaye au genre et lui insuffle cet esprit de contestation, les oreilles des Réfracteurs se dressent, les yeux s’ouvrent en grand et les méninges s’agitent.

De talent, Sidney Lumet, le cinéaste, ne manque pas. En quelques coups de caméra bien pensés et de dialogues d’apparences anodins, il va poser le contexte. La banque et la rue sont immédiatement identifiées et le huis-clos peut démarrer immédiatement. À l’écran, ça n’a l’air de rien et c’est pourtant capital: ne pas faire attendre le spectateur, lui donner les clés d’emblée.

Le réalisateur réussit aussi la prouesse de n’imposer que très peu d’ellipses dans son histoire. Une impression délicieusement étouffante d’immersion naît dans le coeur du public. On vit ce braquage, on le subit même, otages virtuels que nous sommes. On le répète, ça n’a l’air de rien et pourtant c’est incroyablement compliqué à faire: ça change totalement la manière dont on aborde l’oeuvre.

Car bien souvent, les braqueurs sont d’infâmes voyous sans foi ni loi. Ici c’est l’inverse, on s’attache affectivement presque immédiatement aux deux voleurs. Sonny (Al Pacino) et Sal (John Cazale) sont deux marginaux, des oubliés de la société, deux vétérans du Viêt-Nam qui vivent dans la pauvreté et que le reste du monde veut faire taire. Sonny est un beau parleur, un tchatcheur, c’est lui qui mène la danse. Sal est un silencieux, un taciturne. En une poignée de phrases, John Cazale va tout de même réussir à lui donner vie et on devine les fêlures qui sont siennes.

Terriblement humain, l’adhésion des employés de banque et des spectateurs à leur cause est rapide. Ce n’est pas un syndrome de Stockholm mais une vraie affection. Nous sommes tous des marginaux dans la vie, plus ou moins ouvertement, et nos deux héros ont simplement décidé que trop c’était trop. Ils en deviennent presque des champions de la justice sociale qui représentent tous les oubliés.

« Du temps de l’attestation de déplacement »

L’une des choses qui nous a le plus marquée dans l’oeuvre de Sidney Lumet est sûrement la manière dont la police répond au braquage, car elle traduit une blessure plus profonde dans l’Amérique des année 70. Quelques minutes à peine après le début du braquage, des dizaines de flics sont sur place, bien organisés et obéissant comme des petits toutous. C’est une réflexion que nous vous invitons à partager: n’est-il pas absurde de n’offrir aucune perspective d’avenir aux deux parias et pourtant d’être d’une rapidité hors-normes lorsqu’il s’agit de répression? D’ailleurs, la société a-t-elle évoluée?

Surtout que nous sommes ici face à deux amateurs. Les couacs du début (avec notamment un troisième larron qui se dégonfle) ne mentent pas. Exit les cambrioleurs hollywoodiens de haut vol, “Un après-midi de chien” n’est pas là pour le grand spectacle mais plutôt pour l’authenticité et la réflexion: l’histoire du film est d’ailleurs inspirée de faits réels.

C’est par petites touches que Sidney Lumet étoffe le personnage d’Al Pacino. Jamais brut et toujours intelligent, il va peu à peu lever le voile sur sa vie privée et définir ainsi encore plus efficacement ce marginal mis au ban par l’Amérique moderne. Aucune autre alternative que le crime pour ce triste héros.

L’un des autres thèmes forts du film est cette image qu’il donne du fameux “quart d’heure de gloire” comme disait Andy Warhol. Sonny est attiré par les projecteurs et caméras qui sont éparpillés sur place. Il sort régulièrement de la banque pour haranguer les foules, jouer le cabotin en chef qui veut son moment à lui pour hurler ses revendications. Il se complait dans le rôle de héros du peuple que lui confèrent les tragiques circonstances. C’est un homme qui en a marre et qui veut crier au monde sa détresse, écoutez-le donc!

L’un des plus talentueux réalisateurs de son époque s’essaye à un genre addictif. Le résultat est explosif et incontournable, comme la performance fantastique d’Al Pacino.

Nicolas Marquis

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