Les fils de l’homme

(Children of Men)

2006

de:  Alfonso Cuarón

avec: Julianne MooreClive OwenChiwetel Ejiofor

Le cinéma reste un curieux business qui ne répond qu’à ses propres lois. C’est un microcosme étrange où les réalisateurs doivent d’abord accepter des films plus dirigistes pour ensuite affirmer leur talent d’auteur. Si on se met quelques secondes dans les godasses d’Alfonso Cuarón, le cinéaste qui nous intéresse aujourd’hui, l’équation était assez claire: accepter de tourner un épisode d’Harry Potter (Le prisonnier d’Azkaban, l’un des préférés des fans paraît-il) pour ensuite revenir dans des thématiques qu’il a choisies avec “Les fils de l’homme”. Logique mais audacieux, c’est le défi que relève brillamment le long-métrage.

L’histoire d’un monde au bord de l’extinction: une vague de stérilité frappe la population et aucun enfant n’est né depuis plus de 18 ans. Théo (Clive Owen) erre dans les ténèbres de la ville, à quelques rues de terribles centres de rétention mortifères pour sans-papiers. Son destin va basculer quand il va rencontrer Kee (Clare-Hope Ashitey), une jeune femme enceinte. Ils vont ensemble tenter de trouver une embarcation qui les mènerait vers un centre de recherche international.

« Les fils de l’homme” est indéniablement une oeuvre signée de son auteur: parmi toutes les subtilités du cinéma d’Alfonso Cuarón présentes dans le film, on retiendra surtout cette prédisposition aux plans-séquences, avec toujours une réelle motivation dans l’emploi. Pour immerger dans l’action ou pour restituer une tension qui repose sur plusieurs éléments, cette façon de filmer captive toujours l’attention.

D’une façon générale, “Les fils de l’homme” est filmé de manière très brute. Caméra à l’épaule, le cinéaste invite au sursaut à chaque explosion, chaque rebondissement, chaque situation. Une logique de langage cinématographique qui appuie bien la fuite en avant des deux héros, qui rappelle fortement celle de l’aventure vidéoludique “The Last Of Us”.

« La guerre des paparazzis monte d’un cran »

Cette volonté de fluidité ne contrarie pas la construction des plans et chaque élément est savamment disposé pour affirmer un contraste supplémentaire. On le ressent tout particulièrement dans les étreintes de Clive Owen, ou également dans les scènes où une foule se dévoile à l’écran. Un certain brio dans la construction pure.

Mais le long-métrage va aussi chercher des symboliques plus essentielles, notamment dans son affirmation des décors: de la modernité de la ville aux ruines des ghettos, “Les fils de l’homme” suit une trajectoire claire vers la précarité la plus totale. Cette société sur le déclin existe dans ce que nous dévoile le film, elle est palpable, cohérente, et c’est notamment grâce à cette volonté d’immersion. Seules exceptions sont les scènes avec Michael Caine, au milieu de la forêt donc plus organique, mais elles aussi sensées dans la démarche de fond du film.

Le flegme de Clive Owen dans l’une de ses meilleures performances mis en opposition avec le naturel de Clare-Hope Ashitey donne un cocktail savoureux. Une complicité logique s’installe entre les deux compagnons. Sans devenir verbeuses, leurs tirades invitent à s’interroger sur la décrépitude qui frappe la société et qui ne semble qu’à quelques tournants près de notre Histoire.

N’est-ce pas là le plus beau défi que relève le film? Celui de réussir à délivrer une œuvre de science-fiction qui avec l’âge continue d’être de plus en plus proche de nous. Les épidémies qui balaient notre globe s’affirmaient déjà dans “Les fils de l’homme” et lui confèrent aujourd’hui un statut presque visionnaire.

Aucun doute en tout cas que le bébé d’Alfonso Cuarón a imposé une vision d’une société en plein déclin que reprendront des dizaines d’œuvres. Cette idée de nature qui reprend ses droits pullule dans les années suivantes et est pourtant déjà présente au cinéma dès 2006.

Un geste de génie. Comme un magistral coup de pinceau, Cuarón livre une pellicule réfléchie et sensée sur un monde qui pourrait nous entourer un jour.

Nicolas Marquis

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