À l’ouest rien de nouveau

(All Quiet on the Western Front)

1930

réalisé par: Lewis Milestone

avec: Lew AyresLouis WolheimJohn Wray

“La mort n’est pas une aventure pour ceux qui se tiennent face à elle”: quelques mots extraits du paragraphe qui introduit le film sur lequel on s’attarde aujourd’hui et qui donne le ton. Alors que le septième art glorifie régulièrement les soldats, “À l’ouest rien de nouveau” (1930) de Lewis Milestone entend remettre les pendules à l’heure. Il n’y a ni honneur sur un champ de bataille, ni héroïsme, seulement des êtres meurtris par des conditions de vie affreuses, contraints de s’opposer à d’autres pauvres âmes. C’est avec une volonté de réalisme et de démystification dans sa représentation de l’armée que ce long-métrage s’épanouit. Un pari osé pour l’époque que le film va complètement réussir.

À l’ouest rien de nouveau” c’est une chronique complète de la vie d’un bataillon de jeunes volontaires allemands en pleine Première Guerre mondiale, de leur enrôlement jusqu’aux horreurs du front. Une volonté d’étudier les conflits armés dans leur ensemble, depuis les tranchées bien sûr, mais aussi dans le quotidien mortifère de ces jeunes combattants en proie à toutes les privations et dont la vie se résume à une simple volonté: survivre.

Pour parvenir à étaler son propos complexe, Lewis Milestone va imposer un cinéma de visages: régulièrement, on restitue les émotions des soldats à travers des plans serrés sur leurs faciès affreusement expressifs, meurtris par des circonstances inhumaines. Des têtes déformées de grimaces et qui nous glacent le sang. Un film de l’émotion brute, du ressenti, qui frappe fort et vise juste.

Ces hideuses images appuient une double douleur: d’abord celle physique évidemment, alors que nos jeunes combattants sont blessés par les combats, mutilés à vie et rapatriés dans des hôpitaux-mouroir lorsque ce n’est pas la mort immédiate qui les attend. Mais Lewis Milestone met peut-être encore plus en avant les meurtrissures morales de ses héros. Derrière la ligne de front, on vit avec ces soldats les épreuves les plus dures: la faim, le manque d’hygiène, la dépression et parfois même la folie furieuse qui frappe les protagonistes, témoignage d’un cadre de vie inhumain.

Tellement insupportable que les personnages principaux du film sont rapidement réduits aux simples rôles d’animaux, de chair à canon tout juste bonne à avancer la ligne de front de quelques centimètres au prix de leurs vies. Des progrès du jour qui seront perdus le lendemain dans un guerre aussi absurde que violente.

Les scènes de batailles où cet état de fait s’instaure sont en nombre relativement restreint et sont bien loin d’occuper la majeure partie du film: Lewis Milestone ne les oublie pas mais cherche sa vérité ailleurs. Elles s’imposent tout de même comme des instants de chaos absolu et assourdissant où le monde s’effondre autour des hommes. À tel point qu’elles en deviennent parfois difficiles à assimiler pour le spectateur.

« Chut chut. »

Des échauffourées orchestrées par des supérieurs le plus souvent absents, bien planqués loin des combats. Lorsqu’ils apparaissent enfin sur le champ de bataille, les gradés sont de véritables couards qui sont prêts à se planquer à la moindre pétarade, comme le sergent instructeur de notre bataillon qui finit par revenir dans le film au coeur des combats pour mieux se cacher avant de perdre lui aussi la raison.

Dans ce marasme, un soldat va s’imposer comme un quasi-leader: Kat (Louis Wolheim). Mais ce personnage est construit aux antipodes du modèle habituel du héros des tranchées. C’est un petit combinard ventripotent, roublard et franc du collier. Une façon de déconstruire les mythes guerriers pour Milestone qui propose ainsi une vision plus réaliste de la guerre. Kat ne se fait d’ailleurs aucune illusion sur le sort de la bande de jeunes hommes au centre du film: il sont condamnés à court terme.

C’est particulièrement intéressant de voir d’ailleurs que Lewis Milestone ne va pas, dans la première moitié du film, installer de véritables héros. La troupe des volontaires apparaît comme un seul personnage et la guerre va petit à petit écrémer ce groupe soudé jusqu’à n’en garder qu’une poignée en vie. C’est la mort qui dicte quels personnages deviendront dominants et le cinéaste en profite pour tacler violemment l’exaltation factice des anciens qui ont incité ces jeunes à s’engager.

Il faut attendre de longues minutes, jusqu’à la deuxième moitié du film, pour que se détache un véritable protagoniste principal. Mais même après cette mise en place, ce “héros” semble n’être une fois de plus qu’un support émotionnel: déjà parce que la guerre l’a vidé de tous sentiments humains, ensuite parce que sa mise en valeur sert essentiellement, au détour d’une permission, à mettre en accusation la population civile qui loin du front se berce d’illusions sur le bien-fondé de la guerre.

Même dans ces instants, il plane sur “À l’ouest rien de nouveau” un esprit de masse, les fantômes d’une jeunesse sacrifiée, mise en valeur par quelques mouvements de caméra novateurs et la construction, souvent sur plusieurs plans, de l’image de Lewis Milestone et qui offre perpétuellement à l’écran l’impression que les figurants fourmillent. Autant de soldats condamnés à l’horreur et à la mort.

Au revoir l’image lisse et idéalisée des soldats héroïques. Lewis Milestone offre avec “À l’ouest rien de nouveau” un film qui colle au plus près avec le réalisme de la vie des combattants, appuyé par une mise en scène et des partis pris scénaristiques pertinents.

Nicolas Marquis

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