Les yeux de Satan
les yeux de satan

(Child’s Play)

1972

Réalisation : Sidney Lumet

Avec : James Mason, Robert Preston, Beau Bridges

Film vu par nos propres moyens

Au début des années 70, Sidney Lumet a un gros coup de cœur pour une pièce de théâtre : Child’s Play. l’œuvre raconte l’histoire d’un jeune homme qui retourne dans son ancienne école pour devenir prof de sport mais il est confronté à des événements tragiques. L’histoire écrite par Robert Marasco, reprend des expériences vécues par celui-ci durant sa carrière de professeur. Lumet pense pouvoir apporter quelque chose en plus à la pièce et se lance dans l’adaptation. Malheureusement pour lui, les producteurs mettent  leur grain de sel et imposent de faire de ce drame scolaire, une histoire dans la veine de l’exorciste ou bien encore Rosemary’s Baby, gros succès de l’époque.

De plus ,il fait face à l’ego de Marlon Brando, premier choix pour interpréter le rôle de Dobbs face à James Mason. Brando abandonne le projet en prétextant à tort que son rôle est beaucoup moins intéressant que celui de Mason qui interprète le professeur de latin, Malley.

Durant le tournage, Lumet  ne se sentait pas à l’aise, pour lui quelque chose clochait. En revoyant les rushes son impression se confirme. Pour lui, le film est un échec, cependant il n’arrive pas à comprendre pourquoi. Les yeux de Satan est-il vraiment un mauvais film? Nous allons voir ça ensemble.

Apprends et tais-toi.

Les yeux de Satan, nous propose de plonger dans le milieu de l’éducation et plus particulièrement dans l’éducation catholique. Ce cadre permet à Lumet de nous parler de ce sujet et comme bien souvent dans son œuvre, c’est un moyen de proposer une critique de notre société.

Nous découvrons  le pensionnat et la vie scolaire par les yeux du jeune Paul Reis( Beau Bridges), un ancien élève devenu prof de sport grâce à son ancien mentor Joseph Dobbs, un enseignant très populaire auprès des élèves. Au début, Reis est heureux de revenir dans l’école, se rappelant avec tendresse ses jeunes années ainsi que la peur qu’il ressentait pour celui qui est à présent son collègue, le froid et sévère Jérôme Malley. progressivement, nous allons assister à un désenchantement de la part de Reis au fur et à mesure du drame qui va se jouer devant nos yeux. Des élèves se battent entre eux et Malley semble être harcelé sans que personne ne lève un doigt pour l’aider.

Au travers de cette histoire, Lumet nous propose une éducation qui ne laisse pas de place à l’individualité. Tout le monde doit  rentrer dans le rang et ne pas remettre en question le système. Le libre arbitre, c’est le thème qui a attiré en premier le metteur en scène sur cette histoire.  Les yeux de Satan nous propose un triste constat sur la jeunesse. Celle-ci est formée pour n’être plus que de braves soldats répondant aux ordres de l’autorité. Malley illustre bien ce propos. Professeur de Latin, il essaye sans cesse de pousser ses élèves à la réflexion et surtout à comprendre l’origine et la signification des mots. On le croit mauvais, mais c’est faux. Il aime ses élèves et veut leur donner toutes les chances possibles dans le monde. Face à lui, on retrouve un corps enseignant hostile qui préfère le traiter de fou et le pousser à démissionner. Pour eux tous les problèmes viennent de ce Malley et de sa façon d’enseigner, il doit être écarté coûte que coûte. 

Le plus virulent est Dobbs. Sous ses airs de grand copain, nous découvrons au fur et à mesure du récit que c’est en fait un stratège. Il façonne ses jeunes esprits, les endoctrine pour sa gloire personnelle. Il aura ainsi accès à des adultes influents qui feront ses quatre volontés.  

C’est un portrait sombre et fort que nous propose Lumet, c’est même plutôt réaliste. Ne plus réfléchir, ne plus remettre en cause ce que l’ordre nous apprend, ne plus choisir ce que l’on veut faire, pour le réalisateur c’est perdre son humanité. Les enfants deviennent des animaux, voire même des robots. Dobbs, le tyran sans cœur qui va jusqu’à tuer une vielle dame et pousser un homme au suicide , juste pour garder son prestige. L’homme est un loup pour l’homme et il n’y a pas de place pour les plus faibles, ceux qui ne rentrent pas dans le moule établi par la société.

La jungle scolaire

Ce que l’on peut aussi dire de Lumet c’est que c’est quelqu’un en avance sur son temps. Le film parle de harcèlement moral et physique en milieu scolaire. Il dépeint ce sujet de façon poignante, angoissante et totalement réaliste , je peux malheureusement vous le certifier. L ‘école c’est une pyramide. En haut vous trouvez les puissants, ici c’est le professeur Dobbs et sa cour , vous pouvez les comparer aux fameux élèves populaires que vous trouverez dans toutes les œuvres se déroulant dans un lycée.

Au centre vous avez ceux qui suivent la ligne directrice  sans faire de vague ni poser de question, à savoir les prêtres ainsi que les autres élèves.

Enfin tout en bas vous avez ceux qu’on appelle les loser. Bien souvent il s’agit de ceux qui ne veulent pas sacrifier leur personnalité et qui n’ont pas envie de suivre le haut de la pyramide. Dans les yeux de Satan , c’est donc le professeur Malley, incarné avec beaucoup de justesse par James Mason. Il sera rejoint au fur et à mesure du film par le jeune Reis qui s’indigne face aux harcèlement subit par son collègue.

C’est dans cette partie que la mise en scène de Lumet m’a énormément touchée. Il traque Malley l’enfermant souvent dans le cadre, le filme en gros plan comme pour l’oppresser de plus en plus. Le téléphone qui sonne. Première fois que je retrouve traduit à l’écran l’angoisse du téléphone qui sonne et la peur de décrocher le combiné. Lumet joue sur le son et la focale pour transformer cet outil de communication en monstre et dégage une intense pression. Malley est sans cesse acculé, finissant même par trébucher dans une scène comme s’ il tombait en essayant de sortir du cadre et de fuir la situation. Il n’est jamais en paix. Plus tard, Dobbs le harcèle à la maison, allant jusqu’à causer la mort de la mère de Malley, malade et épuisée. On sent la souffrance et l’oppression subie par le pauvre Malley. Il est poussé au désespoir.

Une scène importante, qui va finir de briser le personnage, c’est lorsque le professeur se retrouve face au prêtre dirigeant l’école. Il est rapetissé dans le cadre alors que le prêtre le domine et semble au fil de l’échange l’écraser. Ses mots claquent comme des coups et encore une fois le travail de direction d’acteur est excellent. Mason semble se briser sous nos yeux jusqu’à finir par tomber à genoux suppliant  d’être cru face à un prêtre aussi raide qu’un mur de brique. On comprend dans cette scène que le destin du personnage est scellé, le drame est proche.

Une autre scène intéressante se situe à la fin du film. Reis complètement choqué par le suicide de Malley , découvre alors le vrai visage de Dobbs, Il décide de lui faire face et de s’opposer frontalement à lui. La sanction tombe, conduit devant les élèves robots de Dobbs, le jeune homme est présenté comme un traître voulant briser l’ordre établi, il doit être éliminé. Il sera donc lapidé. On peut ici faire un parallèle avec le règne animal. Le chef de meute ordonne la mise à mort du faible. La meute doit rester unie. On retrouve cette idée aussi plus tard dans un épisode de la série Buffy contre les vampires, dans lequel un groupe d’élèves possédés par une meute de hyènes, agit de la même façon, se lançant tous sur la pauvre victime apeurée durant un match de Ballon prisonnier . On retrouve d’ailleurs une scène similaire dans les yeux de Satan lors d’une partie de basket. L’élève est filmé seul face aux autres, un groupe effrayant qui le fixe du regard. Cette seule image fait surgir en nous une crainte et une envie de fuir. Encore une fois on retrouve bien cette idée d’homme, “l’animal intelligent “ comme le disait Nietzsche, une intelligence vite oubliée lorsque celui-ci est empêché de s’en servir. Encore une fois, l’importance de la réflexion et donc du libre arbitre est une fois de plus habilement soulignée par Lumet .

Et le diable dans tout ça

Je vous avais parlé en introduction, du fait que le studio voulait ajouter à cette histoire un côté fantastique. Pour moi ,c’est sur ce  point qu’il faut y chercher ce qui devait gêner, le cinéaste. Bien que l’aspect fantastique ne soit pas frontal mais suggéré, il fait perdre le film en cohérence. On a bien souvent l’impression qu’il manque des scènes et certains passages comme par exemple l’introduction qui voit un élève agressé dans son lit, une croix ensanglantée dessinée sur le front . On en parle plus, ça ne se reproduit pas et jamais cela ne sera expliqué. C’est dommage parce qu’à côté Lumet propose des éléments plutôt intelligents.

Dès le début du film, il oppose les couleurs bleu et rouge. Ce qui est pertinent car le rouge est associé à la religion, on le retrouve dans les cierges par exemple. Le rouge est aussi associé à un personnage : Dobbs. Dès sa première scène il porte une chemise rouge. Au fur et à mesure du film, le rouge prend de plus en plus d’importance, chassant la couleur bleu symbole de lumière, de respiration et symbolisant l’autre professeur. A la fin, le rouge semble partout. Les ombres sont aussi quelque chose à surveiller. Elles sont souvent associées à Dobbs , nous le présentant comme le comte Dracula vampirisant ses victimes ou bien un diable passant des pactes pour apporter puissance et gloire. Parmi les scènes marquantes, l’entretien entre notre homme en rouge et son ancien protégé est assez fort. Dobbs parle de son amour pour ses élèves .Durant cet échange, par le cadre, la lumière, la couleur et le jeu de Robert Preston, on ressent une sensation de malaise, on a l’impression d’avoir changé de film pour se retrouver dans un film d’horreur, de monstre dans le genre Universal, voire même une production Hammer avec le travail apporté aux couleurs. On comprend à ce moment que cet homme est dangereux, il fait du mal à ses élèves. Son discours m’a fait me demander s’il n’avait pas agressé ces enfants. D’ailleurs une scène peut appuyer ce point. Un soir, Reis se fait menacer par les élèves. Subitement il semble ailleurs et prend un bout de verre cassé pour s’entailler. J’ai pensé alors qu’ il pouvait s’agir d’un traumatisme de l’enfance qui ressort ou bien pour rester sur le registre du fantastique, de la sorcellerie. Le harcèlement et la profanation de l’église peuvent être des armes utilisées dans le satanisme. On pervertit et on terrorise ses ennemis pour les abattre. C’est dommage que ces brillantes idées soient au final très mal intégrées et nuisent au final au message que veut nous livrer Lumet.

Considéré par son créateur comme un film raté, les yeux de Satan est une œuvre puissante émotionnellement qui nous met en garde contre la perte du libre arbitre et de notre sens critique. C’est aussi un bouleversant témoignage sur l’horreur qu’est le harcèlement et une grande colère de voir celui-ci totalement ignoré par les puissants. C’est dommage que ces messages fort  soient parasités par un du fantastique très mal amené et pas du tout exploité par Sidney Lumet qui ne semble pas intéressé par cet aspect. Malgré tout, c’est un film à découvrir absolument qui est injustement oublié dans l’œuvre de ce cinéaste, mais pourtant tellement d’actualité. 

Les yeux de Satan est à retrouver du côté des éditions Rimini
L’édition comprend:
– Le film en Blu-ray et DVD
– Un entretien avec Michel Cieurtat, critique de cinéma

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