L’horloger de Saint-Paul

1974

Réalisé par: Bertrand Tavernier

Avec: Philippe NoiretJean RochefortJacques Denis

Le 25 mars dernier nous quittait le cinéaste français Bertrand Tavernier au terme d’une existence marquée par un amour sans borne pour le 7ème art. Outre la filmographie que le réalisateur laisse derrière lui et dont la réputation n’est plus à faire, c’est une cinéphilie passionnée et communicative qui semble avoir animé cet artiste unique. Au moment des adieux, vos Réfracteurs se trouvent bien idiots d’avoir écarté une carrière aussi prolifique: on est con, on croit avoir le temps de laisser de côté certains classiques pour mieux y revenir plus tard et voilà que la vie nous enlève les principaux artisans de ces succès. Mais il ne sera pas écrit que vos serviteurs ne tentent pas de rattraper leurs erreurs et c’est donc avec un peu de retard mais une véritable curiosité qu’on se penche sur “L’horloger de Saint-Paul”, un classique de monsieur Tavernier.

Une histoire qui s’apparente à un périple émotionnel pour Michel Descombes (Philippe Noiret), un horloger lyonnais qui voit sa vie basculer le jour où son fils, un garçon pourtant sans histoires, se retrouve accusé de meurtre. Esseulé pendant la cavale de son rejeton, ce père veuf va tenter de comprendre les motivations et l’état d’esprit qui ont bien pu pousser son enfant au pire, tout en composant avec le commissaire Guilboud (Jean Rochefort), le responsable de l’enquête avec qui l’artisan semble partager quelques traits communs.

Évoquer l’origine lyonnaise du triste héros du long métrage n’est pas innocent: Bertrand Tavernier va clairement jouer de la topographie des lieux et fondre la métropole dans son récit pour en faire un décor indissociable au film, jusqu’à réserver une place de choix aux remerciements dédiés aux responsables locaux dans le générique de début. D’une part, le réalisateur joue des traditions en proposant par exemple l’image des “bouchons” lyonnais, ces petits restaurants typiques, d’autre part il exploite la géographie des lieux et les bords du Rhône et de la Saône. Mais plus qu’une balade touristique qui n’aurait que peu d’intérêt scénaristique, c’est surtout sur le côté très vertical de la cité que va jouer Tavernier. Régulièrement, Lyon apparaît comme une ville étrange où les habitations s’empilent les unes sur les autres plutôt que de s’étaler dans la longueur. Une identité forte et singulière transpire de la pellicule.

Un dédale de rues dans lequel le cinéaste va apporter une bonne dose de mouvement pour suivre le périple de Philippe Noiret. On ne parlera pas de rythme perpétuellement soutenu ou de réalisation frénétique, mais plutôt d’une maîtrise du tempo qui apporte quelques regains de tension savamment pensés. Dès que le film pourrait sombrer dans un classicisme scénaristique ennuyeux, c’est le savoir-faire de Tavernier qui prend le relais pour maintenir le spectateur impliqué, forcer son identification à ce père solitaire. Un rapport au personnage principal qu’il convient par ailleurs de réfléchir: en nous proposant l’image d’un géniteur complètement paumé, Tavernier invite le public dans une bulle émotionnelle intime. Inconsciemment, on prend le parti de Michel d’emblée et on cherche des excuses plutôt que des raisons au crime de son fils.

« Philippe broie du Noiret (on sort). »

C’est en fait toute la thèse du film qui repose sur ce rapport affectif: “L’horloger de Saint-Paul” n’a finalement pas grand-chose d’un polar classique et n’invite d’ailleurs pas franchement au doute quant à la culpabilité du fils de notre héros. Le véritable fond du film n’est pas dans l’enquête mais plutôt dans l’étude sociologique des relations père/fils. Tavernier utilise des conditions dramatiques pour exacerber des sentiments du quotidien, Michel et son fils sont des gens comme vous et nous et c’est ce dogme qui offre une forme d’universalité pertinente au propos du long métrage, une pureté dans l’image du paternel.

Un rôle dans lequel Philippe Noiret triomphe totalement. Le comédien semble évoluer sur deux plans: il y a les répliques qu’il aboie, comme à bout de force, des moments de réactions et de pulsions, puis il y a tous ces instants un peu suspendus où l’acteur s’emmure dans le silence, comme un petit garçon triste et solitaire. Entre ces deux extrêmes, Noiret trouve un équilibre précaire et renvoie l’image d’un homme brisé par le drame. Sa quête est fatalement à mettre en parallèle avec celle de Jean Rochefort tant “L’horloger de Saint-Paul” cherche à unir les deux personnages. Alors qu’on pourrait imaginer Michel réfractaire à l’idée d’aider la police, il se noue entre le père et le flic une relation unique. Ils sont en fait liés par une même recherche de vérité même si celle de Guiboud est factuelle et celle de Michel totalement émotionnelle.

Un duo solidifié par une véritable science du dialogue et de la sonorité des tirades. “L’horloger de Saint-Paul” ne manque jamais de naturel dans ses échanges puis d’un coup, une réplique va nous piquer davantage que les autres et nous sortir de la contemplation pour s’en imprégner pleinement. On n’attendait pas mieux d’une adaptation d’une nouvelle de Georges Simenon, certes, mais le travail de réécriture est admirable. On est d’ailleurs peu surpris de voir le film être dédié à Jacques Prévert tant cet aspect du récit saute aux oreilles.

Puis il y a le côté politique par nature que porte le long métrage et que le film ne renie pas franchement. L’important  c’est l’affect, l’amour du père pour le fils, cela ne fait aucun doute et jamais Tavernier ne va contrarier ce point, pourtant son œuvre va parfois enfiler la cape de la justice sociale pour tacler les institutions. Montrer une police parfois inhumaine, dénoncer des médias qui se réjouissent du malheur des autres et qui manipulent les victimes des accidents de la vie, ou encore pointer du doigt une population qui préfère les rumeurs aux faits: tout cela, “L’horloger de Saint-Paul” ne cherche pas à l’oublier et l’énonce parfois subtilement.

Ce périple du côté du cinéma de Bertrand Tavernier nous invite à creuser encore plus loin notre exploration. Son film est plein de sincérité et de savoir-faire, jusqu’à ériger “L’horloger de Saint-Paul” en expérience unique, véritable vision d’auteur.

Nicolas Marquis

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