The Offence
The Offence affiche

1973

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Sean Connery, Trevor Howard, Ian Bannen

Film vu par nos propres moyens

Les pépites cinématographiques sont parfois le fruit de bien curieuses circonstances. En 1971, Sean Connery est plus que jamais associé au rôle de James Bond, qu’il incarne depuis de longues années. Si l’acteur n’a jamais eu de cesse de vouloir s’écarter de ce modèle pour tendre vers des rôles plus ambiguës, souvent magnifiquement comme nous en faisions mention dans notre podcast sur La colline des hommes perdus, le grand public le connaît avant tout pour ses interprétations de l’agent 007. Le contexte de production qui entoure The Offence, de Sidney Lumet, illustre parfaitement cette dualité qui habite le comédien. Alors que Les diamants sont éternels commence son élaboration, Sean Connery exige qu’en échange de sa participation, la société United Artists finance deux autres films, à hauteur de 2 millions de dollars maximum chacun, pour que l’artiste puisse montrer l’étendue de son talent. L’un d’eux, une adaptation de Macbeth que devait réaliser Sean Connery lui-même ne verra jamais le jour. L’autre est The Offence, une des plus puissantes collaborations entre Sidney Lumet et le comédien, sorti en 1973.

Toutefois, et il semble que le réalisateur soit un abonné de ce genre de constat, le long métrage ne rencontre pas son public malgré d’excellentes critiques et mettra 9 ans à dégager le moindre profit, pour une raison bien simple: son exploitation ne se fait que dans une poignée de pays, France exclue, à cause de son sujet sensible qui refroidit la plupart des investisseurs. En effet, 2 ans après le faussement léger Gang Anderson, Sean Connery retrouve Sidney Lumet pour cette fois un film noir, poisseux et oppressant.

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Dans The Offence, une petite ville d’Angleterre vit terrorisée par les agissements d’un violeur en série pédophile. Alors qu’une quatrième victime est découverte, le détective Johnson (Sean Connery) se lance plus que jamais sur les traces de l’horrible monstre. Mais son abnégation tourne à l’obsession, et lorsqu’un suspect potentiel est enfin arrêté, l’agent de police, sans la moindre preuve concrète, est convaincu qu’il tient le coupable. L’interrogatoire qui les oppose tourne au drame, alors que la bestialité de Johnson éclate au grand jour, témoignant des fêlures qui sont les siennes et qui se sont accumulées au fil des années de service.

Bien plus que sur les agissements du hors-la-loi, ou même sur l’enquête policière qui entoure ses crimes, The Offence centre avant tout son regard sur Johnson, dans un véritable portrait intime d’un être victime d’une pression titanesque et de traumatismes lourdement enfouis. Après avoir mené tant de frondes filmiques contre les systèmes en place à son époque, Sidney Lumet choisit de théoriser autour d’un rouage de la grande machine policière, avec un fatalisme de chaque instant. Johnson n’a rien d’héroïque, bien au contraire il est à plus d’un égard détestable, mais son caractère est le fruit de son impuissance face au mal, couplé à un véritable ras le bol mental. Le détective ne veut plus officier selon le code de conduite de la police, il cherche des raccourcis, une issue à ses tourments personnels et se perd dans ses déductions. Dans une des premières scènes, Johnson compare ainsi la dernière des victimes à la première et souligne leur ressemblance, ce que renient ses pairs: il voit le même visage partout, il est obsédé par l’affaire.

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Alors que la victime est conduite vers l’hôpital, dans un état de panique total, Sean Connery lance à l’ambulancier sur le point de sédater l’enfant “Give us a chance”, dans l’espoir qu’il lui laisse le temps de lui parler pour glaner des indices. Cet anti-héros est dépourvu de toute marge de manœuvre, et l’arrivée du suspect sonnera le glas des dernières barrières morales que Johnson éprouve vis-à-vis de la loi. Il se dit, plusieurs fois, à “100% sûr” de tenir le coupable, mais n’en n’a aucune preuve, seul son instinct prime, presque animal. Cette pression sur les forces de l’ordre se ressent également plus tard, lorsque Johnson fait face à la police des polices: son incohérence verbale pousse son interlocuteur dans ses derniers retranchements, qui explose de colère lui aussi, de manière plus mesuré. Quand les enjeux sont des vies et non des chiffres, tout change.

L’interrogatoire où Johnson malmène le violeur supposé marque assurément le tournant du film, le point précis où l’homme n’est plus un être civilisé, mais redevient un animal féroce, luttant pour la survie des siens. Dans une prestation magnétique, sauvage et intense, Sean Connery brise son image. Son personnage est hanté par le passé, une goutte de trop à fait déborder le vase de son humanité, il n’en reste plus que la bestialité. Pourtant, le film nous annonçait explicitement le caractère chaotique profond qui allait caractériser Johnson, bien avant, lorsque la victime est découverte et qu’elle hurle face à l’apparition du policier. Sa déchéance n’est pas immédiate, elle est progressive et l’enfant innocent la perçoit. Son cerveau ne peut plus trouver la paix, et la pellicule se trouble de séquences de flash-back proches du cinéma d’horreur, parsemées de visuels sur les anciens corps qu’a découvert Johnson au long de sa carrière. Le maigre passage dans son appartement personel et l’échange avec sa femme se fait également rugeux, violent même. Lui qui a transgressé le code de la police, est il devenu également un malfrat comme les autres ? Si la réponse reste ouverte, on démontre en tout cas que la pression a eu raison de lui: trouble de la mémoire et hallucinations dans lesquels Johnson se voit en violeur alimentent ce questionnement. Il ne sait plus comment fonctionner.

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La volonté visuelle affirmée de Sidney Lumet est de nous placer dans la peau de l’interrogé: initialement celle de l’accusé, puis par la suite celle de Johnson. L’apparition très récurrente de lumières blanches qui envahissent tout l’écran rappelle l’éclairage de la salle d’interrogatoire, mais agit également tel un spot qu’un policier nous braquerait sur les yeux pour nous malmener. La position du public n’est absolument jamais confortable dans The Offence et il faut savoir l’admettre pour s’enrichir du film. La privation de sommeil à laquelle Johnson est contraint par le scénario invite même un artifice proche de la torture. Mais c’est peut être avant tout dans les teintes que le film se veut le plus terne: noir, gris et rouge sont presque les seules couleurs visibles d’un bout à l’autre, à l’exception de la tenue blanche de la victime, symbole de pureté.


Sidney Lumet est un grand directeur d’acteur, et il le prouve encore avec un de ses plus fidèles complices, mais il s’impose également comme maître du décor de son œuvre, assurément loin d’être innocent. Rien n’est laissé au hasard: si la salle d’interrogatoire où se déroule le drame est étrangement vaste, c’est pour permettre à ses comédiens de se mouvoir et de s’exprimer à leur aise, certes, mais également pour montrer que jusqu’à lors, Sean Connery est encore dans son domaine, le long métrage respire un minimum. Par la suite, lorsqu’il deviendra lui-même l’interrogé, les espaces se feront beaucoup plus étriqués, comme si le film se resserrait sur lui, l’étouffait. L’une de ces pièces est même en travaux, comme si symboliquement le fonctionnement de la police était défaillant et devait subir une profonde réforme. La violence à morceler les murs du commissariat. “In a room like this, you can discover yourself”, le texte est explicite. Le jeu de focales proposé par Sidney Lumet abonde dans ce sens. Régulièrement, Johnson est au premier plan, occupant une bonne moitié de l’espace de l’image, et les autres protagonistes relégués à l’arrière. Tantôt nets, tantôt flous, ils attestent de l’adhésion ou non (le plus souvent) à la trajectoire de ce flic en perdition.

The Offence invite à un profond malaise, mais un malaise primaire et volontaire, ici élaboré pour faire réfléchir le spectateur sur son rapport à la violence et à la pression. La morale est floue dans le long métrage, le bonheur inaccessible, et les hommes, presque tous, des martyrs. Un Lumet majeur.

The Offence est édité par Wild Side.
L’édition comprend un entretien avec Jean-Baptiste Thoret et François Guérif

Nicolas Marquis

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