La femme à la fenêtre

(The Woman in the Window)

2021

Réalisé par: Joe Wright

Avec: Amy AdamsGary OldmanAnthony Mackie

Lorsqu’on se penche sur l’Histoire du cinéma, rares sont les artistes aussi vénérés que le grand Alfred Hitchcock. Le réalisateur britannique n’a pas simplement parsemé sa filmographie de chefs-d’œuvre, il a aussi aidé à forger une grammaire cinématographique propre au thriller encore utilisée aujourd’hui. Avec une telle aura, il est évident que les hommages sont innombrables et quelques grands noms se sont même essayés au remake avec plus ou moins de succès et en général un résultat bien loin de l’original. “Fenêtre sur cour” représente très probablement l’exemple parfait de cette recherche éternelle de ce qui fait le sel des œuvres d’Hitchcock: sans doute l’un de ses longs métrages les plus souvent réadaptés, c’est aujourd’hui Joe Wright qui tente de remettre ce récit au goût du jour par l’intermédiaire de Netflix, eux qui avaient déjà tenté de revisiter “Rebecca”, assez lamentablement, il y a quelques mois. Mettons immédiatement sur la table ce qui va constituer le problème majeur de cette nouvelle proposition: ce déséquilibre permanent entre clin d’œil grossier et envie de se démarquer.

Dans cette nouvelle version, on remplace James Stewart et sa jambe dans le plâtre par Amy Adams, frappée d’une agoraphobie qui la contraint à rester enfermée chez elle. Alors qu’elle observe son quartier assidument à travers sa fenêtre, d’étranges voisins emménagent en face de chez elle et notre héroïne est persuadée d’assister au meurtre de la mère de cette famille. Mais le doute est permis: peut-on se fier à ce que voit ce personnage principal ou son changement récent de médication et ses troubles anxieux déclenchent-ils chez elle des hallucinations?

C’est dès l’entame du film qu’on va comprendre que Joe Wright déborde d’amour pour le cinéma d’Hitchcock, mais qu’il va choisir de l’exprimer d’une manière horriblement peu subtile. Alors qu’Amy Adams s’endort devant la télé, il défile sur l’écran les images des grands polars de l’époque et notamment ceux du maître britannique. On dépasse le stade du simple clin d’œil lorsque Joe Wright nous propose trois fois de suite une séquence fonctionnant sur le même mécanisme. Certes, ce souci s’atténue à mesure que l’intrigue progresse mais il témoigne de deux problèmes majeurs: Wright ne réussit pas à s’émanciper du poids du récit original et le cinéaste apparaît peu sûr de ce qu’il a de nouveau à apporter.

« Souvenir de La Baule. »

Un phénomène criant dans la mise en image du réalisateur. Affreusement classique la plupart du temps, elle devient tapageuse dans des séquences où le montage s’accélère. Jamais Joe Wright ne semble trouver la rythmique adéquate dans ces scènes qui voudraient exacerber artificiellement une tension déjà mal installée. Il n’y a pas de démarche artistique derrière ce processus, simplement une recette basique mille fois éprouvée à laquelle on ne souscrit plus depuis longtemps. Même la musique du film souffre des mêmes maux: plate et sans aspérités, elle ennuie plutôt qu’elle n’accompagne.

Les clichés ne vont pas se limiter à l’esthétique du film et Joe Wright va faire l’erreur habituelle de livrer une version complètement romancée des troubles psychiques. Pire, il voudrait utiliser son œuvre comme une cartographie de la guérison. Une attitude complètement désinvolte qui rappelle à quel point le monde du 7ème art a encore du chemin à parcourir avant de cesser de caricaturer outrageusement la vie de milliers de personnes malades dont la douleur est bien réelle. On nage ici dans le fantasme usuel et on est loin de la maestria d’Hitchcock qui se contentait de suggérer la démence.

Vouloir s’aventurer sur le terrain de l’agoraphobie et jouer perpétuellement de ce qui apparaît comme des hallucinations va faire peser un autre souci sur le film: il ne repose sur rien de concret. Si tout ce qu’on voit est remis en question, alors presque aucun fait tangible ne peut être admis comme véridique. Au-delà de la vision surfaite des malades, il y a cette impression que rien ne marque dans un long métrage qui se complaît dans l’émotion primaire sans chercher à développer de fond.

On lève aussi les sourcils devant la direction d’acteurs de Joe Wright. Heureusement que le cinéaste peut s’appuyer sur un casting solide (Amy Adams, Gary Oldman ou encore Julianne Moore en tête) car on reste dubitatif devant sa mise en scène très théâtrale des échanges verbaux. Il suffit de s’attarder sur les performances individuelles pour comprendre que le problème n’est pas tant dans l’intensité qu’apportent les comédiens, mais plutôt dans les déplacements qu’on exige d’eux.

Mais le plus rageant, c’est peut-être dans tout ce que Joe Wright ne retient pas de “Fenêtre sur cour” pour se concentrer sur des aspects moins captivants. Tout le jeu de voyeurisme et la culpabilité qui en découle qui façonne l’identité du film d’Hitchcock passe ici quasiment totalement à la trappe, malgré une installation scénaristique assez semblable. On n’éprouve pas une seule seconde le plaisir coupable d’épier ses voisins, on se réfugie ici juste dans une logique de thriller légèrement gore jusqu’à une conclusion sans aucune nuance, loin de l’original.

Regardez “Fenêtre sur cour”, votre temps sera bien mieux employé et vous y trouverez bien plus d’idées que dans “La femme à la fenêtre”.

Nicolas Marquis

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