L’Extravagant Mr. Deeds

(Mr. Deeds goes to Town)

1936

réalisé par: Frank Capra

avec: Gary CooperJean ArthurGeorge Bancroft

Le cinéma de Frank Capra est rempli d’amour et d’un sentiment d’affection sincère pour ses personnages. C’est presque un bonheur renouvelé à chaque fois de voir le cinéaste imposer des héros simples et profondément bons. Des êtres plus vrais que nature qui nous touchent au plus profond de nos petits cœurs de pierre de Réfracteurs blasés. Alors qu’aujourd’hui on vous propose de vous attarder avec nous sur “L’extravagant Mr. Deeds”, on saisit l’opportunité de réaffirmer toute notre affection pour les protagonistes du réalisateur dans un long-métrage proche idéologiquement de “La vie est belle” (celui de Capra donc, dont on vous parlait ici, pas celui de Benigni dont on vous parlait ). On embarque pour le petit monde fantastique de l’artiste où l’innocence et la générosité existent et triomphent souvent.

Cette forme de candeur, elle définit parfaitement Longfellow Deeds (Gary Cooper), le héros de ce film. Un homme simple d’une petite ville de campagne américaine qui va hériter du jour au lendemain de l’immense fortune d’un oncle qu’il ne connaît pas. Rapatrié à New York, il va devoir composer avec les quolibets de la presse, la cupidité des avocats et la convoitise des personnes intéressées , lui qui est d’une innocence pure qui passe parfois pour de la sottise. Un caractère empreint d’une certaine poésie lorsque Capra étale des scènes oniriques, comme lorsque Deeds glisse sur la rambarde de l’escalier de sa demeure comme un enfant espiègle.

Ce héros jouit immédiatement d’une cote de sympathie énorme: on aimerait tous avoir un ami comme lui pour nous remettre sur le droit chemin. Drôle sans être bouffon, on s’attache à Deeds et on adhère totalement au jeu de Gary Cooper qui offre une performance historique. Pendant tout le film, notre amour pour ce nouveau milliardaire grandit jusqu’à atteindre un climax ultime dans le monologue de fin, parfaite conclusion d’une œuvre unique.

Ce personnage au cœur gros comme une pastèque va en fait servir d’échelle de mesure à Capra: c’est à travers lui que les turpitudes de notre société se jaugent. En voyant Gary Cooper souffrir des péripéties parfois cruelles du récit, on comprend que ce n’est pas lui qui a un grain mais plutôt nous tous qui sommes un brin mauvais. Le cinéaste nous force à nous remettre en cause, à évaluer notre propre caractère: Deeds représente un idéal vers lequel on devrait tous essayer de tendre pour améliorer notre monde. Est-il possible d’être profondément généreux et altruiste sans être instrumentalisé? Peut-on parvenir à s’améliorer individuellement sans se heurter à la société? En dehors du contexte fantasmé du septième art, ne fonce-t-on pas collectivement dans le mur? Voilà autant de questions presque existentielles que Capra nous pose avec panache.

« Gros calinou! »

On pourrait presque parler de “Conte de fée moral” pour ce long-métrage. En plus de la réflexion, Capra va parsemer son film de petits éléments qui nous rappellent les histoires de princesses et de preux chevalier, mais où la demoiselle en détresse serait ce bon vieux Deeds. Au plus évident, on pense au surnom dont est affublé ce personnage, “Cinderella man”, mais on éprouve aussi ce sentiment dans l’histoire d’amour qui se tisse entre lui et Babe Bennett (Jean Arthur). On s’accroche à cette relation, on rêve de la voir aller au bout. Une fois de plus Capra nous emporte dans son imaginaire parfait sans qu’on s’en aperçoive, il nous implique dans le récit.

Pour réussir ce tour de passe-passe émotionnel, le cinéaste va insuffler énormément de rythme dans son film. D’abord dans l’enchaînement des scènes qui se fait sur une cadence infernale, ponctué par les gros titres des journaux à scandale. Mais également dans les dialogues et dans la mise en scène: beaucoup d’instants chorale où les répliques fusent, des réparties cinglantes, des blagues parfaitement minutées… Capra est tout en maîtrise dans sa construction.

Toute une installation qui sert à tirer à boulet rouge sur notre société et toutes ses institutions en mettant en avant leurs travers parfois catastrophiques. “L’extravagant Mr. Deeds” n’épargne personne: la finance, la presse, les avocats, les artistes même et autres! La pellicule devient même politique à la moitié du film et se transforme en véritable plaidoyer où le réalisateur oppose valeur humaine et financière, déjà à l’époque. C’est presque triste de constater que malgré cette délicieuse mise en garde, rien n’a changé.

Voilà un film qui non seulement traverse le temps dans son fond mais qui réussit encore aujourd’hui à émouvoir même les plus réfractaires. L’un des sommets de la carrière de Frank Capra.

Nicolas Marquis

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