Dune
Dune Affiche

2021

Réalisé par: Denis Villeneuve

Avec: Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac

Film vu en salle (Max Linder)

Journaliste, Frank Herbert se rend dans l’Oregon pour écrire un article sur les dunes de Florence qui dévorent les routes et menacent les villes. Des scientifiques essaient de faire pousser des plantes pour arrêter l’avancée du sable. Fasciné par le sujet, Frank Herbert abandonne finalement son article pour se lancer dans l’écriture d’un roman, dont la toute première version est lisible dans La route de Dune. Après cinq années de recherches et de corrections, notamment aidé du rédacteur en chef de la revue de science-fiction Analog, il en sort un roman assez long pour l’époque qui paraitra dans la revue de 1963 à 1964.

Dune raconte les aventures du jeune Paul Atréide, dont la famille est envoyée sur la planète de sable Arrakis afin de relever le défi d’extraire l’épice tout en améliorant les conditions de vie des travailleurs. Face aux terribles difficultés attendant sa famille, Paul réussit à survivre et entame un parcours initiatique à travers les dunes d’Arrakis qui le changeront à jamais. Si Dune est un roman d’aventure, c’est également de la science-fiction qui traite d’écologie, de sociologie en passant par la nature même de l’épice et ce qu’elle produit sur le cerveau humain, sans parler des Theixalu. Il n’empêche que, pour les éditeurs des années 60 plus habitués à du space opéra et des romans interrogeant sur l’intelligence artificielle, Dune est inclassable. 

Résultat, Frank Herbert essuie plusieurs refus d’éditeurs avant d’être finalement publié en 1965. D’abord réservé à un public d’initiés sur les bancs de l’université, le roman-monde finit par avoir suffisamment de reconnaissance pour que les droits soient achetés en vue d’une adaptation en 1971. Arthur P. Jacobs, producteur de La Planète des Singes, y croit tellement qu’il désire David Lean à la réalisation et Robert Bolt au scénario. Seulement le succès de La Planète des Singes appelant des suites le privera du temps indispensable à la mise en route d’un tel projet. Malgré tout, Arthur P. Jacobs jusqu’à son décès en 1973 pensait pouvoir aboutir le projet qui prend définitivement fin avec son trépas.

La même année, un certain Alejandro Jodorowsky répond plein d’enthousiasme au producteur français Jérôme Seydoux qu’il souhaite réaliser l’adaptation de Dune. Le réalisateur d’El Topo est encore plus ambitieux que Jacobs. Il veut en faire un film de 12 heures qui révolutionnerait le cinéma, ouvrirait la conscience des spectateurs. Et pour cela, il a besoin de la musique des Pink Floyd, de Magma et de s’entourer de génie tel que le peintre Salvador Dali qu’il voit en Shaddam IV ou encore Orson Welles en baron Harkonnen. Le projet attire des financiers, malheureusement, il ne convainc les studios hollywoodiens qui refusent poliment tout en s’inspirant de l’impressionnant storyboard créé par Mobius et Giger, entre autres. Aussi après quatre années de pré-production, le projet est officiellement abandonné.

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Sans être réellement une adaptation du roman, la saga Star Wars peut néanmoins se vanter d’en tirer son inspiration. George Lucas adorait le roman et nul doute qu’il s’en est souvenu au moment d’écrire l’histoire de Luke Skywalker. Nul doute aussi que le storyboard dessiné par Mobius l’ait quelque peu inspiré pour certains vaisseaux et costumes.

En 1976, Dino de Laurentiis, producteur de Conan et du King Kong de 76, récupère les droits. Il fait écrire un script par Rudy Wurlitzer (Nog, Flats) et il souhaite embaucher Ridley Scott pour le projet. Mais celui-ci est affecté par la mort de son frère et guère disponible mentalement pour le projet, d’autant plus qu’il travaille déjà sur Alien qui est basé en grande partie dans ses designs sur le travail qu’avait fait H.G. Giger pour la planète des Harkonnen ! C’est donc vers un tout jeune réalisateur que Dino de Laurentiis se tourne : David Lynch. Ce dernier accepte sans même avoir lu le livre, mais après lecture de la saga il est convaincu de pouvoir en tirer trois films en se basant sur les deux suites du roman. 

Accompagné de l’auteur des romans, David Lynch produit un script pour un film de 5 heures qu’il arrive à réduire à 3 heures. Dino de Laurentiis espère pouvoir le convaincre de réduire au tournage ou au pire au montage. Ainsi, le tournage se lance dans le désert du Mexique et les catastrophes s’enchaînent. Si l’expérience est très douloureuse, David Lynch en retire une rencontre qui va marquer son cinéma : Kyle MacLachlan alors jeune acteur méconnu du public avec qui il a ensuite collaboré sur Blue Velvet qui lancera définitivement leurs carrières. Mais pour Dino de Laurentiis c’est un échec au box-office. Le film amputé d’une heure et demie est à peine compréhensible et, même s’il acquiert un statut culte auprès d’initiés, il sera pour son réalisateur une grande déception.

Dès lors, le roman est considéré comme inadaptable. Ce qui n’arrêtera pas Richard P. Rubinstein qui en 1996 acquiert les droits du roman. Il en tire une mini-série en 2000 qui remporte deux Emmy Awards et une suite trois ans plus tard. Cependant, le producteur de Simetierre et Dawn of the Dead a l’ambition de faire un long métrage Il négocie avec la Paramount, embauche Peter Berg (Hancock) avant de le remplacer par Pierre Morel (Taken) mais finalement le projet tombe à l’eau.

Il faudra attendre 2016 pour que l’idée d’une adaptation soit à nouveau évoquée. Entre temps, l’univers de Dune a conquis le jeu vidéo mais reste toutefois méconnu du grand public. Le film de David Lynch reste pour beaucoup trop mystérieux, les coupures effectuées par Dino de Laurentiis nuisant considérablement à sa compréhension. Legendary Pictures veut néanmoins s’assurer de se défaire de cette réputation. Pour cela ils embauchent Brian Herbert et Kevin J. Anderson qui ont écrit les suites et préquels des romans de Dune d’après les travaux de Frank Herbert. Ces derniers sont nommés producteurs exécutifs.

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Quant au réalisateur, c’est le canadien Denis Villeneuve qui est embauché. Le cinéaste avait Dune pour livre de chevet à ses 15 ans, l’âge du héros dans le roman. Autant dire que l’adapter était l’un de ses vœux les plus chers. Cependant, il ne s’est senti capable de le faire qu’après avoir réalisé Premier Contact et surtout Blade Runner 2049, deux films de science-fiction ayant eu un succès critique. Denis Villeneuve veut cependant prendre son temps pour donner à Dune l’ampleur qu’il mérite.

En effet, le cinéaste canadien est quelqu’un de plutôt consciencieux comme le prouve sa filmographie. Après avoir réalisé deux premiers long métrages plutôt expérimentaux, il fait une pause de 9 années afin de mûrir son cinéma. Revenant à ses premiers amours, le documentaire, il réalise en 2009 Polytechnique qui suit les évènements tragiques survenus à l’école polytechnique de Montréal, le tout en noir et blanc et en anonymisant le tueur. Ayant trouvé sa voie, il continue à filmer des drames, cette fois-ci familial avec Incendie. Son approche naturelle, presque documentaire, offre au film un succès certain lui ouvrant les portes d’Hollywood qu’il va conquérir avec Prisoners puis Sicario. A cela, ajoutons ses deux films de science-fiction qui confirmeront autant à Denis Villeneuve qu’à la Warner qu’il a les épaules assez solides pour réaliser l’adaptation du roman de Frank Herbert.

Si Dune est réputé si difficile à adapter c’est parce qu’il brasse de nombreuses thématiques pas évidentes à mettre en image comme : l’écologie, la politique, la religion, l’éducation, l’adaptation à un nouvel environnement, mais aussi la colonisation, la rébellion, la révolution, tout autant de thématiques chères à son auteur qui fut journaliste politique entre autres. Nul doute que le passé documentaliste de Denis Villeneuve l’a aidé à prendre pleine mesure des difficultés de cette adaptation mais aussi de la nécessité de coller au plus près du sable et des dunes qui constituent pas seulement un paysage mais également un personnage !

Celui-ci est en effet très présent. Car si l’on peut résumer l’histoire en le parcours initiatique du jeune Paul Atréide dont la famille est envoyée sur Arrakis pour y mourir, la planète où le piège va se refermer est couverte de sable. Les températures y frisent le 300° durant la journée, les conditions de vie y sont extrêmes et des vers géants dévoreurs d’humains comme de machines y vivent, enfouis dans les profondeurs des dunes. Mais Arrakis est la seule planète de la galaxie produisant l’épice permettant la prescience nécessaire aux hommes ayant dû apprendre à se passer de la technologie. Le roman est ce qu’on appelle un livre-monde qui s’attache non seulement à raconter une histoire mais à décrire l’univers l’entourant, à donner des connexions logiques entre celui-ci et les actions des personnages. 

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L’écologie est d’autant plus importante dans le roman que de celle-ci dépend la production de l’épice si précieuse ! Aussi, le désert est primordial. Et cela, Denis Villeneuve l’a bien compris. Si l’on peut trouver ses plans sur la cité d’Arraken quelque peu décevant, celle-ci ressemble plus à un bunker qu’autre chose, en revanche, il filme les dunes rendues mouvantes par les vers des sables comme il filme les vagues des océans de la planète océan Caladan d’où sont originaires les Atréids. D’ailleurs, une très belle transition est faite entre la mer et le sable lors de l’arrivée du Duc Leto et de sa famille. 

Bien sûr, les dynamiques entre les familles nobles, comme les Atréide, les Harkonnen et les machinations de l’Empereur menant la danse ont tout autant leur importance, car Dune est également un grand roman politique tout autant qu’écologique. Au cœur de ces affrontements : une planète, certes, sa ressource principale, évidemment, mais aussi un peuple broyé par les uns et convoité par les autres : les Fremens. Peuplade combative habituée à la dure vie du désert, elle va être la seule option possible pour Paul s’il veut se libérer de son passé mais aussi du piège fatal. C’est toutes ces intrigues entrelacées, ces thématiques complexes abordées par le roman qui font de Dune un univers difficile à adapter exigeant une ambition semblable à celle de Peter Jackson pour Le Seigneur des Anneaux !

Si Denis Villeneuve n’obtient pas trois films, il a la promesse de pouvoir en faire deux à condition que le premier fonctionne au box-office. Pour cela, il embarque son casting auréolé de star du moment : Timothée Chalamet, Oscar Isaac, Rebecca Ferguson, Zendaya mais aussi Josh Broslin, Javier Barden et Jason Momoa dans le désert. C’est là, avec des caméras numériques capables de filmer en basse lumière, à ces instants de la journée de pénombre dit « entre chien et loup » qu’il va tourner son épopée. A la bande sonore, Hans Zimmer qui a délaissé Tenet pour se consacrer à Dune, va inventer des langues et piocher dans les chants traditionnels du désert afin de composer une musique qui cherche à se rapprocher de la vision naturaliste et épurée du cinéaste.

Plus que jamais, le cinéma de Denis Villeneuve explore ses obsessions : l’homme face à la nature, l’homme face à son destin, l’homme écrasé par l’immensité, l’exposition d’une violence qui était déjà en gestation. Mais avec Dune, il explore également des thématiques qu’il n’avait encore abordés comme le rêve et la prescience. Il était difficile sur le terrain de concurrencer le maître à savoir David Lynch, c’est pour cela que Denis Villeneuve est parti sur une autre piste. Loin de la mystique des Lunes présentes également dans le roman, Denis Villeneuve choisi plutôt d’embrasser l’aspect prescience et d’user des visions pour décrire les possibilités d’un futur sur lequel Paul se jette comme les Fremens se jettent sur leur Krys lorsqu’ils déçoivent les leurs.

L’œuvre qui sort sur les écrans du monde entier est magistrale. Qu’on l’aime ou non, Dune ne laisse pas indifférent. Malheureusement, il laissera probablement à la porte ceux n’aimant le cinéma de Denis Villeneuve tant Dune est dans la suite logique de ses précédentes œuvres. Mais le cinéaste a su rendre l’univers complexe de Frank Herbert abordable, plus encore, il a poussé les spectateurs à lire le roman au point que celui-ci soit épuisé en librairie lors de la sortie en salle du film. Le vrai miracle est d’avoir réussi une adaptation qui contente les fans comme les néophytes. Bien sûr, il y aura forcément des déçus, mais l’on peut néanmoins noter qu’il a placé des thématiques présentes dans la suite du roman, dont l’auteur regrettait que les lecteurs ne les aient pas perçus dans le premier tome. Cela ne peut que nous rendre curieux de la suite qui devrait mettre deux années à être faite.

Dune est dstribué par la Warner.

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