Happy Feet
Happy Feet affiche

2006

Réalisé par : George Miller

Avec : Elijah Wood, Robin Williams, Brittany Murphy

Film obtenu par nos propres moyens

Saviez-vous qu’on peut changer le monde en faisant des claquettes ?

Dans la tradition des manchots empereurs, chaque individu doit trouver sa chanson afin de séduire et de s’accorder à un partenaire et ainsi perpétuer la colonie. Le petit Mumble naît dans cet univers, et comme son prénom l’indique (« to mumble » signifie « marmonner » en anglais), il n’est pas doué avec la parole. Son truc à lui, c’est la danse, les claquettes en particulier. Mais la danse, « ça fait pas très manchot » lui dit son père. Alors Mumble se cache, s’isole du groupe, se met en danger. Un jour, il est encerclé par des Skuas, des oiseaux affamés, et remarque le bracelet jaune qui entoure la patte du chef. Celui-ci raconte que des extraterrestres l’ont torturé et obligé à porter cette marque d’infamie. Malgré le danger que représentent ces oiseaux, tout ce que Mumble entend, c’est qu’un autre monde existe par-delà la banquise.

Il n’aura donc de cesse de chercher cet ailleurs, d’autant plus que les chefs de la tribu accusent sa danse de susciter la fureur de leur dieu, provoquant par conséquent la pénurie de poissons.

Une des ambitions de George Miller est de donner à chacun de ses films, du plus enfantin au plus violent, une ampleur cosmique. Ainsi, il opte pour des formats panoramiques, ses films sont parsemés de regards vers le ciel, de phénomènes météorologiques majestueux, de plans de l’univers. Happy Feet s’ouvre sur des images de l’espace, une nébuleuse a la forme d’un pingouin, un soleil brûlant, la Terre, les étendues gelées de la banquise. Des chansons populaires résonnent, s’enchaînent, se mélangent, bienvenue dans la colonie des manchots empereurs où s’apprête à naître le jeune Mumble, dont le nom évoque le mambo. Le malheureux oisillon, incapable de siffler une note sans évoquer l’agonie d’un animal, est le fils d’un couple star, son père s’appelle Memphis et chante avec les tics d’Elvis, et sa mère, Norma Jean, est une Marilyn à la voix douce.

La couvaison de Mumble n’a pas été de tout repos. Lors d’une lugubre cérémonie religieuse à l’adresse de la divinité des manchots, Memphis, frigorifié par le vent glacial, déprimé par l’absence de Norma Jean partie chercher du poisson, a laissé tomber l’œuf. Ainsi, lorsque son fils tarde à naître, Memphis sent la culpabilité le saisir. Et lorsque finalement l’oisillon sort de sa coquille, il est pris d’une horrible manie de danse.

Mumble a toutes les caractéristiques du bouc émissaire : il est le seul à danser, sa naissance est marquée par un incident, il est en retard, il est différent physiquement puisque son duvet, même à l’âge adulte, ne disparaît jamais totalement. George Miller ne s’y est pas trompé en demandant à Elijah Wood, comédien sans âge, de doubler le personnage. Lorsque le poisson vient à manquer, c’est vers lui que tous les doigts pointent. Le jeune manchot est donc contraint de quitter sa tribu, et le voilà confronté à tous les dangers de la banquise. Mais son bannissement l’entraîne aussi à la rencontre d’autres espèces, d’autres manières de vivre. 

Lorsque Miller aborde un scénario, il cherche le potentiel mythologique de l’histoire, c’est-à-dire ce qui pourra toucher le plus de spectateurs et de cultures différentes. Ainsi il se réfère aux grands récits qui irriguent l’imaginaire humain depuis des siècles. Sa rencontre avec l’essai de Joseph Campbell, Le Héros aux mille visages, a apporté une matière inépuisable à sa réflexion sur le parcours du héros et sur l’universalité des récits. De film en film, Miller présente un aspect de ces mille visages. Des décors aux personnages, à la structure en va-et-vient du film, un certain nombre d’éléments se retrouvent d’ailleurs dans Mad Max : Fury Road

Mais au-delà des récits établis, au-delà des grands mythes, Miller croit que ceux-ci s’écrivent encore. Il fait donc référence aux œuvres de ses contemporains, ceux qu’il admire, car les grandes scènes qui marqueront durablement les esprits sont déjà inscrites dans l’histoire du cinéma. Happy Feet fait appel à 2001 L’Odyssée de l’espace, quand Mumble est enfermé dans un aquarium, à Rencontres du Troisième Type lors d’une scène de communication entre 2 espèces, ou encore à The Truman Show du compatriote australien Peter Weir, toujours dans la scène d’aquarium. On reconnaît aussi dans les nombreuses chutes de Mumble, l’admiration de Miller pour le burlesque, plus particulièrement Seven Chances de Buster Keaton

Les références de Miller ne sont pas seulement des hommages ou des coups de coude entendus aux spectateurs. Il s’agit pour le réalisateur australien de poursuivre la tradition antique de transmission des histoires, ces histoires qui ont depuis toujours servi de guide pour les humains : « Nous vivons dans un monde où il y a un flot massif et constant d’informations, et fondamentalement les histoires sont utiles à notre survie. (…) pour les premiers habitants d’Australie, la valeur pédagogique des histoires définissaient notre monde. Elles vous expliquaient comment survivre, où était l’eau, la nourriture… et je pense que cela fonctionne toujours de la même façon dans le monde moderne. » ¹

Miller croit donc au pouvoir des histoires, à leur capacité à nous pousser au changement, à une révolution. Dans Lorenzo’s Oil, le jeune Lorenzo, gravement handicapé, parvient à sortir de son mutisme lorsqu’il veut exprimer son désir d’entendre de nouvelles histoires. Dans Trois mille ans à t’attendre, un djinn raconte des histoires à une femme pour la persuader de changer de perspective sur ce qu’elle pense déjà savoir.

Dans Happy Feet, quel changement le réalisateur souhaite appeler en nous ? Le film est ouvertement un plaidoyer pour la protection et le respect de l’environnement. Tout au long du film, l’impact d’une invasion étrange se fait de plus en plus visible : une pelleteuse prisonnière des glaces, un emballage plastique qui étrangle un manchot sauteur, un port désaffecté où les déchets sont déversés dans l’eau, un bateau qui pratique la pêche intensive. Du point de vue des manchots, les humains se comportent comme des envahisseurs nuisibles, ils sont nommés « aliens », pompent les ressources de la terre, surgissent du ciel, indifférents aux appels de Mumble, ignorant toute communication et pour finir, enlevant et tourmentant les animaux qu’ils croisent. Il y a néanmoins chez Miller une qualité qui transparaît à travers ses films, c’est un optimisme constant. Dans Happy Feet, cet optimisme trouve sa source dans l’ingéniosité des enfants à percevoir des choses que les adultes ne voient pas. C’est par l’intermédiaire d’une petite fille que la communication entre le manchot et les humains trouve une voie. La danse qui était une marque d’infamie devient la solution, le mouvement prend l’ascendant sur la parole, à l’image du cinéma de George Miller.

Pour interpeller Mumble qui est au désespoir après avoir été capturé et enfermé dans un aquarium, une petite fille se présente donc de l’autre côté de la vitre et tapote doucement. Mumble relève la tête et répond à l’enfant en dansant. 

Durant le film, un procédé inhabituel est utilisé. À plusieurs reprises, la fiction est éludée. Alors que les jeunes manchots partent pour un Spring Break, l’un d’eux s’adresse à la caméra d’un « Salut ! » ; plus tard, le gourou Lovelace titube et tombe sur la caméra au point de la renverser. Enfin, Mumble se cogne à la caméra qui s’avère être la vitre de l’aquarium de l’autre côté de laquelle les humains l’observent avec indifférence. Pourquoi cette rupture avec les conventions de la fiction ? Tout comme Mumble effectue un parcours classique du héros selon la théorie de Campbell, les spectateurs sont invités à le suivre et à emprunter leur propre chemin. Non pas comme ce qu’offrirait un processus de développement personnel, mais bien comme les meneurs d’une mutation pour le monde. 


Pendant tout le film, c’est le point de vue des animaux qui est adopté et les humains sont vus comme des « aliens ». Miller nous exhorte à ne plus réagir en extra-terrestres, en étrangers conquérants sur notre propre planète. Il nous encourage à regagner notre place dans la nature plutôt qu’en exacteurs des ressources, ignorant les conséquences de nos actions. C’est la raison pour laquelle, afin d’éveiller notre attention, il tape à la vitre de l’écran, comme la petite fille tape à la vitre de l’aquarium, établit la communication, démontre que l’espoir est encore permis. Le film se termine dans une belle utopie où le monde se mobilise pour une cause soulevée par un petit manchot dansant. Car le héros de Miller n’a pas besoin d’être un surhomme ou d’être doté de pouvoirs extraordinaires. Un peu d’optimisme et de foi, un engagement à toute épreuve, et par-dessus tout, il ne peut accomplir sa quête seule : il doit être soutenu par un groupe. Chez Miller, ce sont les victimes, les parias, qui ont la force de révolutionner les esprits. Celui qui était rejeté devient le moteur du changement dans la communauté des vivants, et même le petit enfant qui regarde le film a le potentiel de transformer l’état des choses. Le film se clôt sur une plume qui s’envole dans l’espace : l’infiniment petit a bouleversé l’infiniment grand. 

¹ In conversation with George Miller – G R A P H I C 2015, Sydney Opera House

Happy Feet est disponible en Blu-ray et DVD chez Warner.

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