Le Tourbillon de la vie
Le Tourbillon de la vie affiche

2022

Réalisé par : Olivier Treiner

Avec : Lou de Laâge, Raphaël Personnaz, Grégory Gadebois

Film fourni par Dark Star Presse pour M6 Vidéo

Hasard et malice du destin accompagnent le périple artistique du cinéaste Olivier Treiner, influencent son existence intime et le conduisent aujourd’hui à mettre en scène les coups du sort de la vie dans son premier long métrage, Le Tourbillon de la vie. Près de vingt ans avant la sortie de son film, le réalisateur, alors encore étudiant, voit d’étranges augures bienveillants tracer son avenir et le lier inextricablement à celui de Camille, elle aussi passionnée de septième art. Dans l’intimité d’un café parisien, les deux âmes rêveuses sont réunies autour d’une même table par un spectre de coïncidences indicibles, dialoguent à coeur ouvert durant tout un après-midi et ne se quitteront plus, devenant par la suite mari et femme. Les dés du futur sont jetés pour deux artistes désormais unis par l’amour et par une même pulsion de cinéma. Néanmoins, les caprices d’une réalité qui transcende la fiction accompagnent leur rencontre. À l’autre bout de la capitale, le frère d’Olivier succombe lui aussi aux charmes d’une jeune femme, qui n’est autre que la soeur de Camille. Quatre existences distinctes fusionnent dans une pirouette du destin et les fils de leurs vies s’entrelacent. Après un passage par la forme courte récompensée d’un César, à l’occasion de L’accordeur en 2011, Olivier Treiner transpose à l’écran une part de son expérience personnelle et de ses espoirs dans Le Tourbillon de la vie. Pour le réalisateur, la vie est avant tout une question de choix, mais comme il en a lui-même fait l’expérience, certains aspects de nos destins défient la logique et se dérobent à notre emprise. Une seule seconde peut faire basculer une existence entière vers une route radicalement différente, de la solitude au bonheur commun, mais aussi de dilemmes personnels à de nouvelles épreuves. Ainsi, son film n’est pas l’expression de son unique vision, mais une variation lointaine autour d’une expérience collective, pour laquelle Camille Treiner en personne consigne le scénario et pour laquelle le frère du metteur en scène compose la musique qui occupe une place centrale dans le long métrage.

Jeune pianiste prodige, Julia (Lou de Laâge) dédie sa vie à la musique classique, sous l’œil admiratif et sous l’impulsion de ses parents. Mais au-delà de ses rêves, des élans de son cœur et de son tempérament, à quoi tient réellement son futur ? Lorsque l’oubli d’un passeport, le succès à un concours, ou un simple pile ou face peuvent profondément bouleverser sa vie, une multitude de destins radicalement différents cohabitent et se dessinent à l’écran. Basculant sans discontinuer entre chacun de ces avenirs possibles, Le Tourbillon de la vie confronte ces vies totalement différentes pour mieux souligner ce qui compose la psyché profonde de Julia.

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Au ludisme de sa forme souhaité par son réalisateur, Le Tourbillon de la vie confronte un large spectre d’épreuves morales qui affligent Julia. Constamment fragile, le destin n’est jamais une trajectoire idéalisée, chacune des lignes temporelles qui s’entremêlent à l’écran confronte la protagoniste à un chemin de croix différent, mais aussi à des joies parfois aussi simples que sincères. Le hasard est souvent source des contradictions et des angoisses du personnage, comme si une main invisible avait marqué son être, néanmoins, le long métrage reste une ôde à la vie inspirante, galvanisante, parfois éprouvante mais en définitive euphorique. De l’adolescente exubérante à l’adulte réservée, Julia invite le spectateur à se perdre dans le maelstrom d’une destinée et à accepter le lâcher prise. Temps et espace s’y affrontent. Un coup de dés fait voyager l’héroïne de Paris à Tokyo, de Milan à Berlin, au gré de ses futurs possibles, mais un ensemble d’éléments immuables ancre le récit et offre des points d’attache au spectateur. Toutes les Julia imaginées doivent affronter une poignée de fantômes communs auxquels il est impossible de se soustraire. Qu’elle soit devenue concertiste ou mère de famille en pleine dépression, la protagoniste se heurte ainsi à la mort de ses proches. Dans les visuels d’un cimetière, les multiples Julia ne font plus qu’une face à une même stèle. Son existence peut prendre mille chemins différents, ils ne sont que des hypothèses qui gravitent autour d’évènements fondateurs qui réunissent chacune des variations, parfois des épreuves intimes, d’autres fois des faits historiques, comme la chute du mur de Berlin. La petite et la grande Histoire évoluent de concert. Esclave du hasard, Julia est toutefois maîtresse de ses choix. À la multiplicité des temporalités répond l’expression d’une même âme, qui se dessine dans les mots et les actes de la jeune femme téméraire. Le jeu des coïncidences font des joies d’aujourd’hui les malheurs de demain, et des dilemmes du présent les extases du futur, mais une même résilience face à l’adversité et un courage de vivre habite une héroïne insoumise. Julia est toutes ces femmes à la fois, son unicité cachée derrière des quotidiens différents explose régulièrement à l’écran, sous les traits d’une excellente Lou de Laâge. Ses actions qu’elle pense parfois anodines bouleversent des dizaines de vies, faisant d’elle un phare au milieu des ténèbres. Comme un astre solaire, elle s’affranchit du hasard pour prodiguer aux autres le secours dont elle est parfois dépourvue, sans même s’en rendre compte.

La solitude de Julia souvent perçue n’est alors qu’un masque et la poursuite d’un idéal affectif apparaît comme un trait d’union entre ces vies différentes, plus semblables pourtant que ne le laissent paraître les apparences. Le cœur de la protagoniste se languit d’aimer et recherche la chaleur de l’âme sœur même au summum des tourments moraux. Les portes du destin se referment, mais son esprit reste ouvert, en quête d’une aide et d’un secours. Régulièrement, Le Tourbillon de la vie assimile l’amour à un abandon de soi au profit de l’autre, un sacrifice parfois trahi, souvent récompensé. Il n’existe pas de destinée manifeste pour les corps transis de passion, le gendre idéal qu’incarne Raphaël Personnaz se révèle fourbe, tandis que celui qu’on avait oublié, joué par Aliocha Schneider, ressurgit des limbes du temps comme un rêve presque évanoui mais qui se matérialise à nouveau. L’extase émotionnelle n’est pas une droite rectiligne, son accomplissement s’apparente davantage à un chemin tortueux mais toujours vertueux à emprunter, comme si l’union des êtres était le but noble de chacunes des vies de Julia. Le bonheur n’est ainsi pas placé dans une indépendance qui prive de l’élévation spirituelle. Le destins les plus austères de la protagoniste sont ceux sans amour, ceux qui contraignent ce qu’elle est derrière une “carapace froide qui interdit l’affection. Le salut d’une vie malmenée s’exprime dans la fusion des corps, au service d’un nouveau rêve commun. À l’instar de la véritable vie de Olivier Treiner, le hasard est un facteur essentiel dans la recherche sentimentale. S’abandonner à l’aléatoire devrait rendre l’amour précaire, mais à l’inverse, il en devient extrêmement précieux. Le Tourbillon de la vie condamne à ce titre l’un des hommes de la vie de Julia qui pense être en mesure de prédire l’avenir grâce à un modèle mathématique. Le personnage joué par Raphaël Personnaz s’est déconnecté de la mystique d’une vie affective et de ses mystères, et s’en voit incapable d’aimer durablement, tandis que dans les autres vies de Julia, ceux qui acceptent d’être fragilisés face à leur moitié construisent un futur idyllique. La passion est sans raison. Personnage altruiste de par sa profession de médecin et de par ses attentions, l’un des amants de l’héroïne que joue Marc de Panda a vécu des relations passées complexes, mais il est prêt à remettre sa sécurité en jeu pour construire un nouveau foyer. Le partenaire idéal doit accepter de souffrir et de son abnégation naît un bonheur inébranlable. 

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Si l’amour charnel est différent pour chacune des vies de Julia, celui filial est sacralisé pour devenir un autre essentiel du récit, peut-être même plus important que toutes autres relations. Une connivence unique est tissée entre la protagoniste et sa mère, jouée par Isabelle Carré. Deux femmes partage une douleur commune, celle d’être femme avant tout, et sont réunies face aux tempêtes. Au cœur du tourbillon évoqué dans le titre du film, la matriarche est une bouée de sauvetage, une partie intégrante de la construction du personnage principal. Joies et peines se partagent et deviennent un patrimoine commun. Être épouse se révèle souvent complexe, mais être mère est un leg, transmis à travers les générations, l’héritage d’un amour que Julia perpétue en faisant de ses enfants son bien le plus cher, celui dont la privation engendre les rebondissements les plus dramatiques du film. La maternité n’est en effet pas un acquis. Le même hasard qui fragmente les destins peut déposséder la protagoniste de la garde de ses enfants ou provoquer la stérilité, et ainsi la conduire à la peine ultime et à l’effondrement psychologique. Le bonheur n’est pas toujours entre les mains de Julia, il se dérobe à elle malgré son courage, lui est refusé. Fille aimante, elle peut devenir femme en pleurs, sans secours face à cette perdition. Le Tourbillon de la vie est une recherche du bonheur et il semble que pour Olivier Treiner, la parentalité est le Graal de cette quête. Néanmoins, une autre forme de filiation que celle du sang s’esquisse au fil du long métrage. En devenant enseignante de musique dans l’un de ses destins, et en se battant bec et ongles pour ses élèves en échec scolaire, Julia fait des enfants des autres ceux qu’elle n’a pas pu avoir. La maternité est un acte altruiste qui n’est pas dicté par la génétique, mais uniquement par l’affection, le désintérêt de soi au profit du plus jeune. Entre gestes indispensables et mutisme sacrificiel, être parent est un abandon de son bien-être personnel pour les générations futures. L’ascendant doit s’adapter à l’enfant davantage qu’il ne doit le modeler. Le père de Julia, interprété par Grégory Gadebois, semble ainsi se fourvoyer, alors que le spectateur imagine que cet homme parfois distant a transposé ses propres rêves déchus chez sa fille. Pourtant une fois encore, Le Tourbillon de la vie laisse percevoir qu’au-delà du masque de sa froideur, et bien qu’il ait probablement manqué d’affection, il n’a fait que tenter d’offrir à son enfant les meilleures chances possibles. Fabricant de pianos, il a conduit Julia vers une excellence disproportionnée qu’on pense imposée, avant de découvrir que la jeune fille a choisi la musique davantage qu’elle ne lui a été imposée.

Le piano est ainsi l’ultime trait commun entre toutes les vies de Julia. L’art est un don inné, qui se réitère métaphoriquement chez l’un de ses élèves à l’oreille absolue, et la musicienne est la seule dépositaire de ce qu’elle souhaite faire de son savoir. Néanmoins, il est impossible pour la protagoniste de réellement se soustraire à cette faculté. Le piano l’a désignée davantage qu’elle ne l’a choisi, il est voué à s’exprimer sous des formes très différentes dans chacun de ses destins, comme le fil rouge de son âme et de son expression. De ses plus jeunes années, alors que dans la ruines du mur de Berlin l’héroïne fait taire les cris par une envolée mélodique, à sa vieillesse entourée des élèves qu’elle a influencés, en passant par l’une de ses trajectoires de concertiste, la musique est le cri de son esprit, l’expression de son être sur des touches blanches et noires. La plupart des scènes mettant en scène le piano interviennent d’ailleurs aux moments de tension émotionnelle les plus forts, et montre une fusion absolue entre Julia et son instrument. Dans un morceau qu’elle ignore être un requiem pour une femme qui l’écoute lointainement, la protagoniste se déchausse et ne fait plus qu’un avec le piano. La musique est le hurlement d’une affirmation de soi souvent tue au quotidien. À l’instar de la maternité, la privation de la musique est une autre épreuve difficilement surmontable pour Julia, et dans un astucieux jeu scénaristique, Le Tourbillon de la vie enlace ces axes du récit. Privée de ses enfants, Julia ne trouve le salut que dans l’art; après plusieurs FIV infructueuses, l’enseignement scolaire de la musique devient son idéal; opposée à son père, elle se réconcilie avec lui devant un piano, partageant leur peine commune. Pour Olivier Treiner, l’art est l’expression de sentiments intimes et profonds, et le cinéaste renie même ainsi partiellement le monde de la musique classique élitiste, montré comme froid et inhumain. Le piano est source de chaleur, les morceaux que joue Julia sont des brasiers.

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Pourtant, cette soif intarissable de vivre se heurte à la douleur de destins tous porteurs d’une douleur. Il n’existe pas d’itinéraire idéal dans le périple de nos existences chahutées par les aléas de quotidiens éprouvants. Survivre est une victoire en soi, affronter ses démons et ses fantômes est une nécessité aussi inévitable que difficile. Julia ne peut pas fuir ce qu’elle est, tout comme elle n’est pas entièrement responsable de ce qu’elle est devenue, ses vies sont toutes des témoignages de courage ordinaire, de déambulations imparfaites mais orientées dans le sens d’un avenir meilleur. Seule la mort est une certitude, celle de proches ou la nôtre, évoquée allégoriquement à la fin du film. Pourtant, en ayant existé et resplendi durant quelques années, l’héroïne a triomphé des capricieux hasards. Le chemin qui s’est ouvert devant elle n’est jamais une impasse, tout au plus une route sinueuse mais au bout de laquelle se cache la beauté, par delà les épreuves. Les illusions s’évaporent, mais la réalité qui en résulte peut se modeler à travers des choix significatifs, affranchis des coïncidences malheureuses. Le film est alors une invitation à plonger dans les tempêtes ordinaires, à se perdre dans le tourbillon où tous les personnages évoluent, gravitant dans le cyclone des destins possibles, tracés ou à venir, fantasmés ou concrets.

Ludique dans sa forme et inspirant dans son message, Le Tourbillon de la vie offre un moment émouvant et sincère, agréablement mis en scène pour toujours maintenir espoir et tension dramatique.

Le Tourbillon de la vie est disponible en Blu-ray et DVD chez M6 Vidéo, avec en bonus : 

  • des scènes coupées

Nicolas Marquis

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