Mad Max: Fury Road

2015

de: George Miller

avec: Tom HardyCharlize TheronNicholas Hoult

C’est l’histoire d’une génération qui n’y arrivait plus. Après un véritable âge d’or du cinéma d’action et de ses stars bien musclées, la flamme commençait à s’éteindre. Dans le sillage du cinéma de super-héros (qu’on aime aussi, ce n’est pas la question) l’ensemble de ce genre cinématographique semblait suivre l’exemple de Marvel, en uniformisant son contenu: super-pouvoirs et quelques gags un peu potaches. Cette histoire, c’est celle d’un homme âgé de 70 ans, George Miller, disons-le clairement: un vieillard de réalisateur. Oublié par Hollywood dans le caniveau des gloires brisées, il ruminait, il réfléchissait, il faisait germer dans son imagination un ultime film, celui qui serait peut-être son baroud d’honneur et « ça passe ou ça casse!”. Quand un jour la brèche s’ouvre et qu’un début d’attente née autour d’un retour de la franchise culte “Mad Max” créée par l’ancien, le bonhomme rassemble ses forces et vient bousculer l’ordre établi pour donner une leçon de vie: n’enterrez jamais les gens trop tôt. Cette histoire, c’est une histoire de sang, de sueur et de fuel. Celle d’un vieux croulant qui débarque et botte les fesses d’une génération stéréotypée. Cette histoire, c’est l’histoire de l’histoire de “Mad Max: Fury Road”.

Car disons-le clairement, on le voyait nous aussi condamné à un anonymat relatif pour le restant de ses jours, le père George Miller. Que nous étions cons! Un peu à la manière de Fukasaku a l’époque de “Battle Royale” (à réfracter, pour sûr!), un maître nous assène sa leçon et on en a pété notre joint de culasse. “Mad Max: Fury Road” est une oeuvre sans concession: vous n’aimez pas la proposition de George Miller? Aucun souci, dégagez de la route. Pour les autres, amateurs de films du dimanche aussi bien que pseudo-esthètes prétentieux comme nous, accrochez-vous à votre volant, le film vous embarque pour deux heures de fantasme.

Le pitch est presque anecdotique: on retrouve Max (Tom Hardy), le héros de toujours de George Miller, capturé et réduit au simple rôle de poche de sang par Immortan Joe, le tyran local qui règne de mains de maître sur les ressources locales. Quand un convoi mené par Furiosa (Charlize Theron), l’une des lieutenants de l’armée du dictateur, dévie de sa route et que l’antagoniste principal découvre que son harem a été vidé par sa brave soldate pour mener ses précieuses conquêtes vers un paradis utopique, il va mobiliser toutes ses forces pour se lancer à la poursuite du camion citerne. En tête de poursuite, Max, littéralement harnaché au capot d’une voiture mais qui va rapidement pouvoir rejoindre Furiosa et l’aider dans sa fuite.

Pitch simple, d’accord, mais cela ne rime pas avec scénario prétexte. On en a vu des films, séries, jeux ou autres mettant en scène un univers post-apocalyptique, mais rarement avec autant de brio qu’ici. Alors que la tendance du genre semblait suivre l’exemple de “The Last Of Us” et son univers où la végétation reprend ses droits, George Miller nous rappelle aux doux souvenirs des plaines arides qui ont fait son succès jadis. Mais ce décor, il le magnifie par son écriture. D’abord dans la négation du corps: tous les protagonistes sont réduits à de simples rôles hideux, poches de sang ou autres femmes à traire, comme si notre société était allée au bout de sa démarche puante d’ultra-capitalisme qui écrase tout. Cet univers, en plus de l’étayer visuellement, Miller le construit aussi dans le phrasé. Une espèce de décrépitude lente du langage, qui aurait mené les hommes à des amalgames ésotériques étranges. L’eau, ressource vitale: “le Aqua-Cola”. Le banquet qui attend les martyrs au paradis: “Le McFestin”. Alors, vous voyez mieux où vous emmène le pépé délicieusement anar’?

« Ça part vraiment en couille le Paris-Dakar »

Et ben lachez pas vos slibards, parce que ce n’est qu’un univers qu’il pose, et où il va faire évoluer ses protagonistes comme un enfant joue aux Lego. Des mises en scène complètement décomplexées, amenées par des véhicules aux designs fous: chaque séquence d’action est effrénée (à tel point qu’une énorme partie du film est soit ralentie, soit plus généralement accélérée). Miller se permet tout: un guitariste enchaîné à un véhicule semblable à une sorte de chaine-hifi géante et dont chaque accord est ponctué par une gerbe de flammes sortant de l’instrument, le cinéaste l’ose. Des funambules sur des espèces de poteaux qui dodelinent haut dans le ciel et donne une dimension aérienne aux scènes d’action, le réalisateur n’hésite pas non plus.

Tout cela pour mieux servir une leçon de rythme absolue pour le monde du film de genre. Sur une musique fabuleusement déglinguée, et dans une palette de couleurs incroyablement originale, chaque affrontement est pensé. D’un véhicule à l’autre, dans un crescendo de coups de feu et d’explosions, “Mad Max: Fury Road” c’est presque deux heures d’action non-stop et pourtant incroyablement digestes. Durant les rares temps-morts, Miller en profite pour nous claquer la rétine avec des plans plus posés comme les si jolies scènes de nuit à l’ancienne, si savoureuses à retrouver.

Mais ce que le cinéaste a peut-être le mieux compris, c’est les limites des effets numériques à tout va. On vous invite à aller observer quelques images du “Making-of” pour constater le dogme simple qu’affirme Miller: tout ce qu’on peut reproduire en décors et cascades réelles, osons-le. Le film n’est pas exempt de tous effets spéciaux par ordinateur, mais il impose une volonté totale de revenir à des trucages plus concrets. C’est là encore plus qu’un simple retour en arrière, c’est une mise à jour salvatrice des concepts plus traditionnels.

Et puis il y a ce duo d’acteurs. D’un côté Tom Hardy pour jouer Max, mais presque volontairement effacé, au service du film, pour laisser Charlize Theron complètement éclater à l’écran. On ne l’a pas toujours portée dans notre coeur chez Les Réfracteurs, mais personne ne peut lui enlever son brio dans ce film. L’héroïne du film, c’est elle presque davantage que celui qui donne son nom à la licence. Un rôle féminin puissant, avant qu’Hollywood soit secoué par l’affaire Weinstein: ah là vous voyez que papi Miller en avait sous le capot!

« Mad Max: Fury Road”, c’est peut-être tout simplement le meilleur film de la saga. Sa mythologie, il se contente de la poser et de laisser loisir au spectateur d’assimiler ce qu’il veut, souvent pour trouver du rebond plus tard. Davantage qu’un simple nouvel épisode, c’est une remise aux goûts du jour d’un sentiment ancien. Miller a parfaitement assimilé ce que les grands studios ne semblent pas toujours comprendre: on ne veut pas revivre nos souvenirs, on veut revivre l’émotion qu’ils avaient fait naître à l’époque, et pour cela il faut un équilibre extrêmement subtil entre nostalgie et modernité, que “Mad Max: Fury Road” épouse parfaitement.

Nerveux, explosif, incisif, le film est presque une métaphore de ce que représente “Mad Max: Fury Road” pour le cinéma d’action: un précurseur, lancé à vive allure, une horde de poursuivants à ses trousses qui tente depuis de reproduire son tracé avec plus de difficultés. WITNESS!!!

Nicolas Marquis

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