Okja

2017

de: Bong Joon Ho

avec: Tilda SwintonPaul DanoSeo-hyun Ahn

En cette journée mondiale des espèces menacées, on doit vous alarmer: nous sommes tous des assassins! Même toi là, au fond, qui croit que bouffer du quinoa sauvegarde la planète! Ok, tu es peut-être un peu moins concerné que nous qui savourons régulièrement des Big Mac, mais peux-tu affirmer que toute la chaîne de production qui t’approvisionne est saine? Non, à moins de vivre en isolation totale et se contenter de son potager, c’est impossible. Non, non, non, et re-non les gars: notre système de consommation est un fusil braqué sur des espèces animales en voie d’extinction, mais les chasseurs, ce sont nous! Si la pérennité de notre bonne vieille charolaise semble assurée, son exploitation à outrance menace l’équilibre, et par ricochet d’autres espèces. Alors aujourd’hui, on s’assoit, on dégaine notre arme favorite, le cinéma, et on réfléchit sérieusement à comment être moins irresponsable.

Ce film, c’est “Okja”, l’histoire d’une race de super-cochons censée révolutionner l’agroalimentaire à long terme et dont plusieurs représentants sont expédiés aux quatre coins du globe, chez des éleveurs soigneusement sélectionnés. 10 ans plus tard, une fois leur croissance maximale atteinte, Mirando (on est pas loin phonétiquement de Monsanto), la société qui les avait éparpillés, les rappelle aux USA pour élire le plus beau spécimen, mais surtout pour commencer une commercialisation de masse. Seulement en Corée du Sud, la petite Mija s’est liée d’une amitié hors-normes pour l’animal dont son grand-père a la charge: Okja. Quand vient le moment de la séparation, Mija se lance dans une folle course-poursuite pleine de peps pour retrouver Okja, tiraillée dans une guerre entre Mirando et un groupe de sauvegarde des animaux.

Et là, derrière la caméra, on retrouve un ami des Réfracteurs: ce bon vieux Bong Joon Ho! Notre caméléon favori se révolutionne une fois de plus: comment imaginer une seule seconde que cette aventure follement colorée, proche du style de Wes Anderson, est le fruit du travail d’un homme responsable de films aussi différents que “The Host”, “Memories of Murder”, “Snowpiercer” ou “Parasite”? Une fois de plus, le sud-coréen nous laisse pantois de stupeur devant sa faculté d’adaptation à tous les styles.

Pourtant, ce film, il est indéniablement signé: derrière ses allures de fable écologiste, presque une farce au sens noble du terme, Bong Joon-Ho impose tout son savoir-faire. Science absolue du cadrage, direction d’acteur chorale et pourtant maîtrisée, mouvements longs et fluides de la caméra, musicalité et sens de la rythmique parfaits… Tout dans ce film sent bon le cinéma d’un artiste fascinant. Cette signature elle est même plus profonde, car “Okja” est presque le frère hippie de “The Host”. Les similitudes sont frappantes: un monstre, une thématique écolo et une jeune fillette prise en tenaille. C’est presque un exercice de style d’amener à des réflexions aussi similaires à travers deux genre cinématographiques tellement opposés: le film d’horreur pour “The Host”, la comédie pour “Okja”. Ce pari, le cinéaste le réussit à 100% et son message, il nous le claque au visage derrière un déferlement de couleurs et de pitreries aussi facétieuses qu’amusantes.

« Le moment Totoro »

Certes, en personnifiant à l’extrême le gentil Okja (au point de faire un clin d’oeil à “Totoro” lorsque Mija fait une sieste sur le ventre du gigantesque animal en début de film) Bong Joon-Ho vient chercher l’émotion de manière relativement visible. Mais que voulez-vous bon sang? Après des années à rabâcher le même discours sans que nos habitudes de consommation n’évoluent d’un poil, on devrait jeter la pierre à un film qui invite à une réflexion plus profonde avec ludisme? Que dalle! “Okja” est nécessaire à la prise de conscience, et tant mieux s’il joue de vos émotions.

Cette prise de conscience est d’autant plus salutaire qu’elle est totale. Bien sûr, Mirando est une société avide de profit, caricaturée à l’extrême, mais c’est le jeu de la fable. Pour autant, Bong Joon-Ho ne se gêne pas pour écorcher au passage les écolos, prêts à tout les extrêmes pour arriver à leurs fins, et parfois ridicules dans leur démarche de non-pollution totale, comme lorsque l’un d’eux refuse même les tomates par crainte de l’empreinte environnementale. Et puis il y a le consommateur, qui se fout de tout sauf du goût: nous! Au final, dans un film où tout est restitué par excès volontaire, c’est en fait l’enfer de l’abattoir qui est le plus réaliste. Bong Joon-Ho ne prône pas le végétarisme absolu, mais plutôt une consommation plus raisonnée de la viande et une réflexion urgente.

Cette course au profit permanent, et le désintérêt du public nous condamne à long terme, et le cinéaste l’assimile parfaitement. Comme dans “The Host”, l’usage d’une fillette comme héroïne est à double emploi: non seulement le réalisateur invite les plus jeunes à prendre à bras le corps la lutte pour une consommation plus saine, mais il nous renvoie également, nous les adultes, au terrible état des lieux que nous laissons à nos enfants. On a saccagé la terre et on devrait détourner le regard comme ceux avant nous? Ne comptez pas sur les Réfracteurs pour cela.

Alors posez-vous cette simple question en cette journée mondiale des espèces menacées: ces espèces justement, qui les menace?

À la vérité, c’est parfois économiquement difficile de se procurer des aliments irréprochables écologiquement. On le sait, nous aussi on le vit. Mais après “Okja”, le message est clair: est-ce une excuse pour n’en avoir rien à foutre? Si on vous force à bouffer de la merde, ouvrez quand même les yeux, car il est un reproche impardonnable que l’on peut nous faire à presque tous: celui de ne pas s’informer.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

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