La traque

(Sanyangeui sigan)

2020

de: Sung-hyun Yoon

avec: Jae-hong AhnWoo-sik ChoiLee Jehoon

On a bien failli ne jamais le voir. Entre crise sanitaire lié au Covid-19 et les batailles de distributeurs, “La traque” faisait davantage parler de lui pour ses déboires que pour son contenu. Mais voilà qu’enfin il est disponible sur Netflix (le même jour que « Tyler Rake« , pas forcément un cadeau en terme d’exposition). Faisons table rase du passé pour nous intéresser au principal: le film!

Dans un futur proche, l’économie sud-coréenne s’est totalement effondrée: la valeur de la monnaie locale est tellement devenue dérisoire que les échanges de devises sont interdits et une pauvreté absolue règne dans les rues et dans les immeubles délabrés. Pour s’extirper de cet enfer, quatre amis vont mettre au point un plan: dévaliser le casino clandestin où travaille l’un d’eux et où les jetons s’échangent en dollars. Mais une fois le braquage effectué, une chasse à l’homme funeste va avoir lieu entre les quatre compères prêts à tout pour fuir le plus rapidement possible et un mystérieux personnage qui semble prendre un plaisir sadique et pervers à les traquer.

Alors causons d’abord de cet univers dystopique. On ne peut pas parler de véritable originalité tellement les films utilisant ce procédé se sont multipliés les dernières années, mais celui que propose “La traque” fonctionne. Il paraît même probable et c’est peut-être ça le plus navrant. Ici, pas de grands élans futuristes mais plutôt un monde possible tant de nombreux pays seraient susceptibles un jour de totalement s’effondrer au gré de la bourse. Cette misère ambiante et ces hautes tours de béton délabrées, on les redoute, même si elles peuvent parfois sembler déjà vues. Concrètement, on va pas révolutionner la philo moderne, mais c’est déjà bien plus pertinent que “Tyler Rake” sorti le même jour. Le film va trouver un peu plus de fond et être moins dans la pause visuelle sans réel sens, même si un peu plus de patate à certains moments aurait été bienvenue.

Dans ce décor, nos 4 héros: difficile d’en distinguer un plus que l’autre tant l’esprit de groupe est bien rendu, sans pour autant créer de redondance. C’est un peu comme vos plus vieux potes dans la vie ordinaire: vous leur ressemblez malgré quelques détails spécifiques à chacun. Une dynamique qui fonctionne d’autant plus que cette bande d’amis, on s’y identifie aisément. On se sent presque des leurs.

« Le cache-cache ultime! »

Là où le film va tout de même accuser le coup, c’est dans leurs backgrounds personnels. S’ils sont sympathiques, il n’en reste pas moins quelques particularités dans leurs histoires qui poussent bien trop fort le côté larmoyant. Franchement, on s’en serait passé sans problème. On pense tout spécialement à la famille de Ki-Hoon (Woo-Sik Choi, le fils de la famille pauvre de “Parasite”) amenée comme un cheveu sur la soupe pour exacerber la compassion. Appuyer trop fort sur ces élans émotifs, là ou la mise en scène pèche un peu, est clairement l’un des plus gros problèmes de “La traque”.

Dommage car la réalisation est aboutie. Un peu flashy pendant l’élaboration du plan, avec des mouvements de caméra assez fluides et un montage intense, “La traque” va changer de grammaire à mi-film, lorsque la chasse à l’homme s’organise. Plus travaillée dans le cadrage, avec des jeux de perspectives intéressant, l’oeuvre change presque de genre. Malgré le manque de pêche qu’on évoquait précédemment, le long-métrage va devenir haletant, avec ce formidable personnage du chasseur, Han (Hae-Soo Park). Au point de devenir presque un slasher où les apparitions de cet homme mystérieux sont souvent synonymes d’affrontements sanglants.

Han est presque une symbolique, celle de la misère qui englue nos héros et ne veut pas les laisser partir, dans une narration rappelant le T1000 de “Terminator 2” si vous nous permettez la comparaison (de toute façon on fait ce qu’on veut!). Lorsqu’il apparaît, il semble presque invincible et son vice sans limite transforme le film. Nos héros sont poussés à l’illégalité par la misère ambiante et leur tentative de s’en affranchir les laissent impuissants face à un système qui va tenter de les broyer pour leur esprit de rébellion, de manière sanglante. Cette métaphore, c’est Han qui l’appuie. Ok les gars! C’est un peu facile, on est d’accord, n’empêche que ça nous parle à nous.

La fin reste toutefois problématique: déjà parce qu’elle reste ouverte et que la plupart du grand public n’aime pas ça. Personnellement, on s’en moque, on aime même ça lorsque le travail n’est pas prémâché. Elle laisse peut-être un peu trop de place à une éventuelle suite, mais on l’a encaissée sans trop de souci. Ce qui nous a beaucoup plus fait tiquer, c’est un “Deus Ex Machina” total: un élément du film jusqu’à présent inconnu et qui tombe de nulle part. Agaçant, car jusque là, le thriller tenait bon et on pouvait imaginer d’autres dénouements.

Sans se mentir, “La traque” est loin des chefs-d’œuvre coréens du genre. Mais il reste un moment plutôt agréable, noir et nerveux malgré son manque de prise de risque. Peut-être pas grand chose d’autre mais un contrat rempli.

Nicolas Marquis

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