Mignonnes

2020

réalisé par: Maïmouna Doucouré

avec: Fathia YoussoufMédina El Aidi-AzouniEsther Gohourou

Pour une fois, permettez-nous de commencer par une petite pointe d’autosatisfaction. Pour la première fois, vos Réfracteurs ont pu profiter d’une séance en avant-première, dans une salle aussi pleine que le permettent les conditions sanitaires actuelles. C’est donc en grandes pompes et billet de TGV en main que moi-même, Spike, ai rejoint mon ami et frère Yamaneko pour vivre ensemble “Mignonnes” de Maïmouna Doucouré, en présence de la réalisatrice qui signe ici son premier film. On vous rassure, les Réfracteurs restent impartiaux et c’est en toute honnêteté qu’on vous livre ici notre avis assez enthousiaste sur ce long-métrage poignant et pertinent.

« Mignonnes”, c’est le nom d’un groupe de danseuses, toutes entre l’enfance et l’adolescence, que va rejoindre Amy (Fathia Youssouf). Tiraillée entre un contexte familial complexe alors que son père polygame prend une seconde épouse et des difficultés d’intégration dans son nouveau collège, notre héroïne va trouver du réconfort dans cette bande de joyeuses jeunes filles. Mais alors qu’un concours de danse se profile à l’horizon, les chorégraphies des “Mignonnes” deviennent de plus en plus lascives, jusqu’à en être dérangeantes.

C’est donc deux histoires bien distinctes qui viennent se mélanger dans “Mignonnes”. En faisant étalage d’une cellule familiale au modèle bien particulier et des difficultés d’Amy pour se faire des copines, le film entend jouer sur ces deux terrains pour délivrer son message. Un mélange parfois un peu trop compliqué qui donne l’impression d’un long-métrage différent, à deux visages. Ce mix parfois chaotique va d’ailleurs plomber très légèrement la fin de l’oeuvre.

Mais permettez-nous d’insister sur le “très légèrement”: comme toujours, on pinaille un peu et la mise en parallèle des deux axes du scénario est plus que pertinente. L’interdiction de disposer de son corps et de ses sentiments qu’impose le modèle familial et à l’inverse l’affreuse marchandisation de sa féminité qu’amène la danse sans pudeur sont finalement des thèmes très voisins. Dans les deux cas, il est question de trouver une identité propre alors que les repères autour d’Amy sont dissonants.

La trajectoire de ce personnage principal en ressort donc tangible, réelle, presque vécue dans certaines scènes. Amy a de gros problèmes, ça on ne le contestera pas, mais ses soucis ne sortent pas de nulle part, son périple n’est pas incongru et cela est souvent rare pour un premier film. Maïmouna Doucouré dit:

“C’est l’histoire d’une petite fille qui grandit trop vite et qui va arriver à un point de rupture, de déchirement. Son corps et son esprit vont lui dire stop et lui demander de prendre le temps de grandir. S’il y a un message dans le film, c’est celui-ci”

« Pros du cache-cache »

À chaque encablure, et en passant même parfois par le rire, le film ne cesse de nous questionner: Quel modèle pour nos enfants? Quelles chances pour eux dans ce monde absurde où on commercialise même l’humain? Pompeux dit comme ça, mais omniprésent dans la mise en images de la cinéaste. “Mignonnes” s’adresse aux fillettes comme aux adultes et force une autocritique salvatrice.

Bémol toutefois, et vous allez reconnaître là les obsessions maladives des Réfracteurs: les actrices enfants. Si Amy est parfaitement incarnée par Fathia Youssouf, on a parfois grincé des dents sur certaines performances de ses comparses. Très franchement, rien de honteux. Bien au contraire, on salue la maturité d’un casting aussi jeune mais dans l’écriture et dans la direction, on s’est parfois senti un peu en dessous de ce qu’on pouvait offrir. Un détail.

La bonne idée visuelle du film, c’est sans doute la façon dont Maïmouna Doucouré reste perpétuellement à la hauteur de ses jeunes héroïnes, adoptant ainsi un point de vue enfantin propice à l’identification. De quoi trouver du souffle dans certains cadres: on pense avant tout au final, mais aussi à des scènes plus discrètes comme celle où Amy et une de ses copines sont assises dans un lave-linge. Une volonté de l’intime assez efficace.

Si on devait ne formuler qu’une seule remarque à l’encontre de “Mignonnes”, c’est sans doute celle qui est la plus douce à entendre: on est là face à un premier film prometteur mais où Maïmouna Doucouré en fait parfois trop. Trop de coeur, trop d’éléments disparates: une envie de “trop bien faire” en quelque sorte. Ce sentiment, il faut peut-être le pondérer un peu et écouter ce que la cinéaste dit de sa passion pour le cinéma et de son parcours pour mieux comprendre:

“Ma mère était persuadée que cette industrie (le cinéma) était destinée “aux autres”. Nous, nous étions trop noirs, trop pauvres, trop banlieusards. Et tout ce que je voyais à la télévision ou dans le cinéma français lui donnait raison. Je me suis alors interdit de rêver!”

Et ça aurait été bien dommage que la réalisatrice nous prive de son talent tant le parcours d’Amy pour construire son identité suit un schéma tristement logique. Aux problèmes complexes, on n’amène pas de réponses simplistes, mais davantage des pistes de réflexion que le spectateur peut saisir ou non. “Mignonnes” est une chronique de la rue, des trottoirs gris et mornes, des caniveaux puants, et bien difficile de grandir dans ses conditions. Laissons le mot de la fin à Maïmouna Doucouré:

“Dans “Mignonnes”, je filme ce passage très délicat et transitoire de l’enfance à l’âge adulte, où l’on tient dans une main une poupée et dans l’autre une cigarette pour faire comme les grands”.

Mignonnes” marque de nombreux points dans sa vision sans concession du passage à l’adolescence. Trop de cœur dans ce premier film? Peut-être, mais le résultat est d’une qualité totalement respectable et accomplit sa mission.

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

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