Monika

(Sommaren med Monika)

1953

réalisé par: Ingmar Bergman

avec: Harriet AnderssonLars EkborgDagmar Ebbesen

On a souvent fait de cataloguer Ingmar Bergman parmi ces cinéastes à l’art si complexe qu’il ne devient accessible qu’aux plus érudits. Foutaises! En cinéma, il n’y a pas de barrières infranchissables: un besoin d’attention totale et d’analyse de l’image certes, mais sûrement pas un propos qui serait réservé à une caste. En quelques lignes, très simples, on va vous prouver ce qui est notre credo chez les Réfracteurs: du cinéma grand public aux films d’auteurs, tout peut être appréciable si on s’en donne la peine.

Le résumé: Monika et Harry sont deux jeunes amoureux dont la romance est rendue complexe par leurs situations personnelles étouffantes dans une petite ville ouvrière. Sur un coup de tête, ils vont embarquer sur le petit bateau familial d’Harry pour s’exiler à la campagne et vivre leur amour au milieu de la nature. Et c’est tout pour l’amorce! On vous l’a dit, rien de complexe, simplement un effort d’implication à faire.

Saute d’abord aux yeux le personnage de Monika: peu féminine de prime abord, cette ouvrière est assez solidement bâtie et mâchouille régulièrement un chewing-gum. Bergman en ferait presque un garçon manqué dans son quotidien mais pas dans ses rapports avec Harry où elle se montre plus fragile. C’est la vie quotidienne qui fait de cette jeune fille en fleur un personnage rude mais qui ne demande qu’à s’épanouir dans cet amour mutuel. Subtilité dans l’écriture, d’accord les gars, mais franchement là encore, pas de quoi dégainer un bac+12.

Bien, maintenant c’est là que l’effort d’attention va devenir primordial. Quand on parle des grands noms du septième art, il faut garder à l’esprit que le cinéma convoque de multiples aspects et lorsqu’il devient génialissime, ce n’est pas que grâce à son histoire, mais également de par sa mise en images. À ce jeu, “Monika” tient la dragée haute à certains chef-d’œuvres. Alors que l’amour des deux amants est rendu presque impossible par le contexte social, Bergman va utiliser les lignes de l’image pour régulièrement “enfermer” ses personnages: c’est par exemple Harry qui regarde par une fenêtre ou Monika qui se tient sur le pas d’une porte. Dans les deux cas, le décor contient les deux protagonistes et appuie ce sentiment d’enfermement. Pas la peine de se prendre plus la tête, si vous savez reconnaître un rectangle, vous pouvez l’assimiler.

« Bronzette »

D’autant plus que la dureté de la vie en ville n’est pas que visuelle mais aussi dans les faits. Des gamins traitent Monika de grosse de manière gratuite, le patron d’Harry le méprise, ou encore un passant (probablement une ancienne conquête de Monika) fout une trempe à notre héros. Au premier degré, c’est un scénario simple, au second, c’est une fois de plus une façon de montrer que la ville “avale” ses habitants.

Dans cette entame, Bergman va imposer un principe là encore très simple mais qui est presque sa marque de fabrique: le jeu sur plusieurs plans. On s’excite pas les amis, là encore c’est simple à cerner. Au premier plan, un personnage passif, spectateur lui aussi de la scène, et en arrière plan, le déroulé de celle-ci. En imposant un protagoniste au plus proche du spectateur, le cinéaste vous implique émotionnellement dans la scène. C’est pas compliqué, il suffit de ressentir et en art, on ne peut jamais se tromper sur ses émotions. La violence des échanges de la scène vous apparaît forcément décuplée: un tour de passe-passe simple et aisé à comprendre.

Vient le moment de la transition, celui où il va falloir légèrement interpréter les symboles que nous donne Bergman. Nos deux héros délaissent la ville pour rejoindre en bateau la campagne. Le réalisateur enchaîne les plans de coupe où la ville est de moins en moins présente et où la nature reprend ses droits. Alors, il nous offre quoi notre ami suédois comme symbole? En plus de cette forêt qui dévore peu à peu la ville, durant plusieurs secondes, c’est par la mer que nos protagonistes s’échappent. En bateau à moteur certes, mais par l’eau, pas par une route qu’aurait tracée l’homme. Progressivement, il donne à son film et à ses héros un aspect plus primaire, plus animal. Très franchement, pour peu que votre cerveau soit un minimum actif,  c’est assez simple à percevoir et encore plus à ressentir.

Une fois la campagne atteinte, Harry et Monika vivent leur amour au grand jour et se satisfont dans un premier temps de plaisirs très simple. Ils rient, ils s’enlacent, ils se redécouvrent, bref ils s’aiment. Toujours dans une logique de synthétiser l’amour dans sa pureté, c’est le moment où Bergman va dénuder son héroïne. La nature additionnée au plus simple appareil et d’un coup, on propose une vision très pure de l’amour. En soustrayant la société moderne et ses soucis, on revient à une équation sentimentale la plus simple possible. C’est à votre portée! Il suffit juste de ne pas lâcher le film et on le voit, là! C’est évident!

Mais l’ambition de Bergman n’est pas de prôner une désocialisation brute des hommes: dans cette nature, les besoins les plus élémentaires comme se nourrir deviennent un problème. On s’aime et on se cajole mais on est obligé de faire des incursions dans le monde moderne. Ce sentiment, il est prépondérant lorsque Monika part voler les fruits d’un champ et finit capturée. Chaque concession à la société menace un peu plus le couple et ouvrez les yeux! Bergman vous le montre clairement! Des nuages gris obscurcissent le ciel précédemment clair! Même le dernier des idiots peut l’assimiler.

C’est donc en toute logique que les protagonistes vont devoir regagner la ville et c’est à ce moment que la morale de l’histoire prend tout son sens. S’aimer dans notre monde est compliqué, mais le faire en autarcie est impossible. Défaitiste et un peu plombant d’accord, mais pertinent à coup sûr! Vous pouvez être d’accord avec le réalisateur ou vous pouvez éprouver un sentiment contraire mais dans les deux cas, avec simplement un peu de confiance en vous, vous venez de comprendre du Ingmar Bergman et vous pouvez briller en société. Bravo!

N’écoutez pas les élitistes qui souhaitent se réserver le bon cinéma. L’art est accessible à tous pour peu que vous soyez dotés de sentiments. “Monika” est un film simple, tout ce qu’il demande, c’est un peu d’implication.

Nicolas Marquis

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