
2021
Réalisé par: Audrey Diwan
Avec: Anamaria Vartolomei, Pio Marmaï, Kacey Mottet Klein
Film vu par nos propres moyens
Le seul Événement qui vaille, c’est celui d’Audrey Diwan. Celui d’un constat, que les combats gagnés sont toujours vacillants. Par un film sec, elle ramène à l’avortement son paradoxe, la splendeur et le déchirement de son sacrifice.
« Ne t’en fais pas, je n’ai pas l’intention de le garder ». Après les mots, les actes sont parfois difficiles. Ni heureux, ni malheureux : il n’y a que L’événement, Lion d’or à la dernière Mostra de Venise et adaptation du roman d’Annie Ernaux, où elle raconte son avortement clandestin de janvier 1964. De l’ouvrage, Audrey Diwan tire une veine âpre, sèche, sans compassion ni jugement, simplement la réalité d’un acte heureusement devenu légal, mais qui n’a rien de banal.

Brillante jeune femme de milieu modeste, Anne, pensionnaire, rentre chez sa mère, patronne de bar (incarnée par Sandrine Bonnaire), le week-end. Et très vite, la bascule. Ni sa mère, ni son professeur de littérature (Pio Marmaï) n’apprendront la nouvelle : Anne est enceinte. Elle s’y refuse, ne voulant pas échanger « un bébé contre une vie ». Mais nous sommes dans les années 60. L’interruption volontaire de grossesse ne sera autorisée qu’en 1975. Ainsi, la jeune femme affrontera l’omerta, l’opprobre, le refus d’un monde qui considère l’enfant à venir toujours comme un cadeau, jamais comme un fardeau. S’engage alors un contre-la-montre pour une femme qui, à elle seule, symbolise une volonté de faire bouger les lignes.
De l’âpreté du combat
Révélation du film, Anamaria Vartolomei, actrice franco-roumaine, offre la dualité nécessaire. Celle de faire face, comme si de rien n’était, vivre une vie de jeune femme, et la douleur, la peur d’une grossesse non désirée. Dans un réalisme quasi documentaire, Audrey Diwan, caméra à l’épaule le plus souvent, se fait le témoin d’un combat acharné contre un système, où la volonté d’un être pousse souvent à sa mise en danger. D’une réelle crudité, sans pour autant virer dans le torture porn, L’événement n’élude rien des sévices physiques et psychiques que s’infligent la jeune femme et que lui inflige la société. Le mouvement devient source de crispation. Le hors-champ devient le lieu de ces sévices, la matrice d’actes clandestins, passibles de prison à l’époque. On camoufle, mais tout est visible. L’actrice principale, qui à ce titre porte le film sur ses épaules, soutient parfaitement une femme dans la retenue, qui agit dans l’ombre, déterminée à continuer la jouissance de son existence, tout en ayant cette peur de l’urgence.

Du roman d’Annie Ernaux, Audrey Diwan ajoute son atmosphère paradoxale : celle d’abord d’années 60 synonymes de frustration féminine. Où l’eros, la sexualité, se mêle au thanatos, la mort ici de l’adolescence, des rêves de grandeur écrasés par le pragmatisme d’une naissance. Un drame où l’intensité va crescendo, où pour Anne s’engage une course contre elle-même et un monde suranné. Une réalité brute, montré avec une précision chirurgicale et quasi documentaire.
Un piège intelligemment évité
Néanmoins, Audrey Diwan évite l’écueil du film daté, et c’est là que réside le paradoxe : si le scénario ou les costumes font état d’une histoire des années 60, la réalisation, elle, s’engage dans une vision beaucoup plus moderne. Caméra à l’épaule, numérique, mise au point soignée, le film est léché, trop pour ne pas vouloir se faire preuve d’un film moderne. Une manière pour Audrey Diwan de montrer que si l’avortement est devenu légal en France depuis presque cinquante ans, le combat continue. Acérée piqûre de rappel de la condition féminine, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, l’événement brille par son efficacité et un regard neutre sur un acte loin d’être anodin. Audrey Diwan, sans jamais vaciller, offre à Anamaria Vartolomei un écrin pour son talent, livrant un film moderne qui fait rappeler que l’avortement reste un combat : il reste encore restreint, voire illégal, dans de nombreux pays à travers le monde.
L’événement est édité par Wild Side dans un Blu-Ray qui contient le film, la bande annonce, mais aussi un entretien avec Audrey Diwan, la réalisatrice du film.

Brut, sans concessions, L’événement brille par sa limpidité et l’efficacité de sa réalisation, offrant à son actrice principale l’écrin nécessaire à l’éclosion de son talent. Un récit moderne et prenant sur un sujet toujours brûlant.