14 heures

(Fourteen Hours)

1951

Réalisé par: Henry Hathaway

Avec: Paul Douglas, Richard Basehart, Barbara Bel Geddes

Au cœur de New York, les hauts buildings transpercent le ciel. Debout sur une corniche, au bord du précipice, un homme en pleine perdition (Richard Basehart) menace de sauter dans le vide. En bas, la foule est effrayée avant que les badauds, dans une explosion de voyeurisme malsain, ne s’attroupent pour assister au dénouement du triste événement. Dans la chambre d’hôtel du suicidaire vont et viennent agents de police, journalistes, et personnages plus ou moins importants de la vie de cet être brisé. Parmi eux, l’agent Dunnigan semble être le seul à instaurer une relation de confiance toute relative avec la star malgré lui du jour.

C’est à travers cette installation très simple mais qui regorge d’opportunités scénaristiques que Henry Hathaway va tisser un récit simple et percutant qui ne se limite pas au simple destin du personnage campé par Richard Basehart mais qui s’ouvre également à une critique relativement fine de la société, encore pertinente aujourd’hui. Le premier point qui attire l’attention est l’utilisation du décor par le cinéaste. Plongées et contre-plongées parsèment l’œuvre pour restituer l’effet de vertige inhérent à la situation mais c’est dans le cadrage que Hathaway impressionne. Le réalisateur a conscience de l’identité de New York et propose une jungle de béton où les immeubles obscurcissent le ciel. Alors que le personnage principal est prêt à sauter, on voit derrière lui en perspective la continuité de constructions en béton. L’auteur nous dérobe nos repères géographiques les plus primaires pour nous emporter.

Concernant le décor toujours, on sent poindre dans “14 heures” l’envie d’offrir un environnement restreint mais complet. La corniche est le lieu de toutes les attentions, mais la chambre, le hall de l’hôtel et la rue sont aussi proposés comme pour saisir toutes les facettes du drame. Une des belles idées du film tient au placement de Dunnigan: assis sur le rebord de la fenêtre, le flic fait le lien entre le forcené et sa hiérarchie, comme un cordon ombilical scénaristique. Une image confortée par la corde que le policier attache à sa jambe: il est celui par qui passent les messages en même temps qu’il devient un confident.

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Entre eux s’instaure une relation de parole. Certes, les forces de l’ordre multiplient les plans pour empêcher la chute du héros, mais c’est avant tout par le verbe que le geste morbide est retardé. Proposer le dialogue comme une solution aux problèmes d’apparence insurmontables de Richard Basehart s’impose comme une thèse intéressante du film, loin du grand spectacle. Une démarche que le statut social de Dunnigan vient souligner: notre flic est tout en bas de la hiérarchie, habituellement assigné à la circulation et c’est pourtant lui qui semble le plus à même de comprendre le malheureux, justement parce qu’il est lui aussi très humain. “14 heures” balaye de la main les histoires fantasmées du septième art pour offrir un récit plus intimiste, cohérent et ancré dans le quotidien.

L’inhumanité, c’est chez les autres policiers, eux gradés, qu’on va la sentir la plus pesante. Les supérieurs de Dunnigan sont ennuyés par la situation mais ne considèrent pas réellement les tracas du déséquilibré. Ils ne cherchent pas à comprendre, simplement à résoudre, sans se rendre compte que l’un ne peut se faire sans l’autre. Hathaway va également proposer une autre figure d’autorité: la médecine. Là aussi les docteurs sont parfois plus manipulateurs que guérisseurs mais ces personnages restent relativement bâclés: certaines de leurs interventions ne semblent être là que pour sortir d’une impasse scénaristique, comme si le metteur en scène avait besoin de verbaliser à travers eux, d’une manière très peu naturelle, pour faire avancer son histoire.

Puis il y a ceux qui constellent la rue et n’attendent qu’une chose: la chute. On y remarque au centre, des médias complètement voyeurs et opportunistes, soucieux de l’audimat avant tout. Mais Hathaway nous met aussi en accusation, nous renvoie à notre fascination primaire pour les événements morbides. Que feriez-vous à leur place? Pourriez vous vaincre le manque de sentiment inhérent à nos rythmes de vie pour vous émouvoir? Rien n’est moins sûr pour le quidam et le cinéaste tient à le faire savoir.

Toutefois, passé un certain cap dans son histoire, Hathaway va humaniser cette foule. Sur le béton vont se nouer des histoires d’amours qui sortent de l’ordinaire. L’idée derrière ce processus c’est que même au bord du gouffre, même désespéré, notre vie peut toucher par ricochet celle des autres et les pousser vers un bonheur inattendu. On comprend toute cette théorie, on y souscrit même partiellement mais c’est peut être ce que “14 heures” accompli le moins bien. Il y a dans ces amourettes une forme de dissonance avec le reste, un effet “conte de fée” trop appuyé qui déçoit sans pour autant ternir invariablement le reste du film.

Scénario simple et efficace, mise en scène léchée et inventivité font de “14 heures” un divertissement captivant malgré quelques lourdeurs d’écriture pardonnables.

Nicolas Marquis

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