El Chuncho

(Quién sabe?)

1966

Réalisé par: Damiano Damiani

Avec: Gian Maria Volonté, Klaus Kinski, Martine Beswick

Film fournit par Carlotta

Quel genre a le mieux caractérisé la figure du héros américain ? Au sortir d’une guerre mondiale meurtrière, et alors que le Code Hays est toujours bien ancré à Hollywood, l’Âge d’Or va se faire l’office de l’héroïsme, et notamment au Far West. Avec les figures incarnées entre autres par John Wayne, le western américain va acquérir ses lettres de noblesse, et devenir un genre à grand spectacle dans les années 60. Oui, mais voilà : les nombreux bouleversements qui agitent la société dans ces années-là n’épargnent pas le cinéma. Et alors que les vieilles figures du western commencent à prendre la poussière, et c’est de l’autre côté de l’Atlantique que le ménage sera fait.

En effet, les années 60 sont une décennie prolifique pour le cinéma italien : sous la figure tutélaire de Sergio Leone, qui ancrera le travail transalpin dans les mémoires pour les décennies à venir, de nombreux cinéastes vont s’approprier les codes du genre, bien aidés par les nombreux américains qui débarqueront à Cinecittà à l’époque. Si le plus illustre sous-genre a émergé à l’époque, le western spaghetti, est désormais bien connu de tous, d’autres ont également vu le jour à la même époque, dont le Zapata Western, dont la première explosion sera portée par Damiano Damiani avec El Chuncho.

Là où le héros américain était habituellement prophète en son pays, il est ici étranger de l’autre côté du Rio Grande. Niño, campé par le suédois Lou Castel, détonne au cœur de la révolution mexicaine, théâtre du genre ; dandy bien apprêté au milieu de la pauvreté ambiante, il crée un décalage par rapport à la situation ambiante, et son apparent snobisme ne fait que creuser le mystère qui entoure un personnage dont on ne comprend, pendant longtemps, ni les intentions ni la véracité de ses émotions. Chuncho, interprété par un Gian Maria Volonte encore une fois au firmament de son art, est son exact opposé ; extraverti, blagueur, uni à ses hommes, il porte la Révolution Mexicaine dans l’ombre du Général Elias. El Chuncho est l’association de ces deux personnages que tout oppose, duo asymétrique mais qui deviendra malgré lui interdépendant. Oui, le duo souffle le chaud et le froid ; Damiani applique un rythme effréné à son film, voguant, parfois maladroitement, d’attaque en attaque, jusque San Miguel. C’est lorsque l’on voit le duo Chuncho/Niño créé son alchimie, dans un mouvement de théorisation du Zapata Western ; en effaçant la limite entre bandits et révolutionnaires, le film montre qu’il s’intéresse avant tout aux rejetés. Dès l’ouverture, devant les cris mortifères des femmes et des enfants, on comprend que l’issue qui nous attend ne sera guère heureuse. 

El Chuncho

Si chez le western américain, et même plus proche avec certains Sergio Leone, le final avait un goût de positivité, une chape de pessimisme pèse sur le film, et ce n’est pas le sourire de Volontè qui fera penser le contraire. C’est là le quotidien de nos protagonistes : ce ne sont plus des héros de la grande nation, mais bien des mercenaires, auto-marginalisés, qui se battent pour un idéal et non plus pour la bannière. En ce sens, transférer son action au Mexique, pays aux clichés si négatifs, n’est pas anodin ; plus qu’une critique des codes du genre-père, El Chuncho est le contrepied, l’alternative qui préfère conter la réalité crasse que l’illusoire Histoire. Niño est le symbole de cette Amérique à déchoir, beau aux premiers abords, profondément abject et immoral sous les coutures. Sans forcément parodier le genre, la recontextualisation de celui-ci sert aussi bien à tourner au ridicule les clichés qu’à poser les bases d’un renouveau humaniste, renversant des codes sans avenir. Pour cela, Damiani use de tout l’attirail de démesure que l’on connaît aux cinéastes italiens de l’époque. Si le film ne fait pas vraiment dans la finesse, il saisit tout de même par son histoire et par ses scènes d’action riches, jusqu’à un final aussi prévisible moralement que déchirant. Les faibles peuvent-ils vraiment renverser les riches ? Question aussi bien intrinsèque au film que réflexion, El Chuncho se teinte d’une réflexion politique de gauche, presque marxiste par moment, embrassant le renouveau qu’il souhaite apporter. Car aussi imparfait soit-il, dans ses inspirations lorgnant par moment vers la série B, les intentions du métrage font de lui une œuvre indispensable. Fondateur du Zapata Western, comme nous l’avons dit, il fait partie de ces films qui internationalise le western, aussi bien d’un point de vue fictionnel que de production. Le western est mort, vive le western ; la restauration de Carlotta Films, au-delà de sa haute qualité, était avant tout nécessaire. Nécessaire car El Chuncho est un témoin de son temps, aussi bien politique que cinématographique. Et à cet égard, il fait évidemment office de patrimoine à préserver.

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El Chuncho

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