Les Voisins de mes voisins sont mes voisins
Les voisins de mes voisins sont mes voisins affiche

2022

Réalisé par: Anne-Laure Daffis, Léo Marchand

Avec: François Morel, Arielle Dombasle, Valérie Mairesse

Film fourni par Jour2fête

Unis depuis les bancs de la faculté de la Sorbonne qu’ils ont tous les deux fréquentés, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand continuent leur parcours artistique main dans la main. Comme bien souvent, c’est à travers une collection de courts métrages salués par la critique que ces deux spécialistes français de l’animation on fait leur premières armes, avec notamment Les Cowboys n’ont pas peur de mourir en 2009, qui avait fait grand bruit, et pour lequel le duo de cinéastes collaborait avec Denis Lavant et Arthur H. De court à long, il n’y a parfois qu’un pas, et pour leur premier film dépassant une heure, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand puisent dans leurs expériences passées: Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est initialement motivé par la réunion des deux essais précédents du tandem, La Saint-festin et La vie sans truc, sortis respectivement en 2007 et 2013, et témoignage vibrant de l’univers délicieusement barré des deux artistes. Pourtant, ce premier long métrage n’a rien d’un collage idiot, et les réalisateurs saupoudrent leur oeuvre de nouvelles histoires, de personnages saugrenus et originaux jusqu’ici inconnus pour offrir un film chorale. Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est aussi pluriel qu’il est singulier.

Sous les tentes du Cirque Super, le magicien de renom Popolo tente d’effectuer le tour de la femme coupée en deux, mais se retrouve face à une curieuse déconvenue: les jambes de sa partenaire ont décidé de s’échapper dans la plus grande stupeur. Désormais au chômage, le prestidigitateur met les pieds avec maladresse dans le monde de l’emploi. Les gambettes baladeuses trouvent elles refuge dans un bien curieux immeuble parisien, dans lequel se télescopent de multiples destins: un ogre patibulaire perd ses dents lors de la Saint-festin, jour de repas frugal; le vieux monsieur Demy prépare un voyage solitaire vers une destination paradisiaque alors que son corps ne se déplace plus que péniblement; le fringuant Truducou, randonneur expérimenté accompagné de son chien Picasso, est lui désespérément coincé dans l’ascenceur de la bâtisse, sans réel espoir de sortie.

Les voisins de mes voisins sont mes voisins illu 1

Pour asseoir l’identité graphique des Voisins de mes voisins sont mes voisins, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand se reposent sur un style haché, où les dessins se font tranchant et mordant, comme rapidement esquissés et pourtant savamment pensés dans leur fourmillement de détails. Les coups de crayons sont secs mais jamais innocents, toujours en recherche d’une émotion et d’un ton particulier et unique. Dans leur approche visuelle, le duo se fait aussi le garant d’un foisonnement de techniques visuelles d’ordinaire diamétralement opposées: si l’essentiel du long métrage repose sur de l’animation traditionnelle, quelques incursions d’images de synthèse apparaissent ça et là, discrètement. Les supports employés en guise de décors traduisent également une certaine malice omniprésente répondant à l’originalité du propos: lorsque monsieur Demy emprunte par exemple le métro, Anne-Laure Daffis et Léo Marchand représente son périple sur un véritable ticket, tandis que la visite de l’ogre chez le dentiste semble tracée à-même une feuille de cahier, une idée étrange de prime abord mais dont les deux cinéastes s’amusent dans la résolution de l’intrigue. Les compères metteur en scène apparaissent également voleurs d’images: les leurs, puisque le film est la réunion de certains de leurs précèdent travaux, mais aussi celles de la télévision ou de différentes archives, surgissant le plus souvent de manière impromptue pour accentuer un des nombreux gags et faire constamment mouche, en même temps qu’elles brisent le mur des dimensions.

De quoi souligner perpétuellement un jeu de références délicieuses, fruit de la culture artistique et télégénique des deux enfants des années 1980. Quiconque a grandi en même temps qu’eux se rappellent indubitablement des publicités pour Royal Canin ou Herta que les réalisateurs détournent pour mieux en rire, tutoyant parfois l’esprit Canal + du siècle dernier. Toutefois, les pirouettes humoristiques sans autre qualité que leur amoncellement n’auraient que peu de valeur, et Les Voisins de mes voisins sont mes voisins brille avant tout par la qualité d’écriture. Celle du fond, qui offre un liant perpétuel entre les pourtant multiples points de vue et une escalade déjantée dans la loufoquerie permanente du film rappelant les travaux sur papier de Fabcaro, mais aussi celle de la forme, alors que les répliques se font cinglantes, mordantes et sincèrement hilarantes. Les échanges entre Truducou et Picasso font même office de modèle d’équilibre comique en tandem.

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Intelligence de forme rime également avec pertinence de fond, et l’humour perché n’annule jamais le message sous-jacent de l’œuvre. Pour que Les Voisins de mes voisins soient mes voisins soit une réussite, il ne peut se contenter d’inviter au rire, il doit, au moins légèrement, faire réfléchir, ce dont Anne-Laure Daffis et Léo Marchand ne se dédouane pas. Tout en restant digeste, leur film invite ses personnages à trouver un sens nouveau et profond à leur vie, alors que leur destin devient semé d’embûches. Pour la plupart, le début de leur quête débute par un accident: Popolo ne peut plus exercer la magie, l’ogre n’a plus de dent, Truducou voit son voyage compromis… La réponse à l’errance de leurs âmes acculées au précipice semble être l’amour: un message qui aurait pu être simpliste si la grammaire filmique des deux réalisateurs n’était pas aussi acide. Face aux tourments du quotidien, les élans du cœur deviennent des bouées de sauvetage, et se trouvent bien souvent sous leur nez, littéralement sur son propre palier en ce qui concerne l’ogre. Les Voisins de mes voisins sont mes voisins n’est jamais loin du conte de fée des caniveaux, même si il désacralise sauvagement l’image de la princesse.

Anne-Laure Daffis et Léo Marchand font également preuve d’intelligence dans une écriture de personnages marquée par la compassion. Les cinéastes sont amoureux de ceux qu’ils dépeignent, et personne n’est véritablement méchant dans leur film, tout juste maladroit. Même les élans les plus gores du récit, et il en figure plusieurs, semblent bon-enfant, jamais réellement violent. Les Voisins de mes voisins sont mes voisins a beau convoquer l’imagerie du film d’horreur à quelques instants précis, le spectateur sait constamment que la résolution tendra vers une morale positive, empreinte de gentillesse et de compréhension: le périple peut paraître sale mais le but est saluable. De quoi s’interroger sur la cible du film: à l’évidence, un jeune public ne peut pas tout saisir des subtilités de l’œuvre, on fait ici davantage appelle à l’âme enfantine des adultes, que les deux metteurs en scène déterrent avec subtilité et virtuosité.

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Un sentiment conforté par le cadre offert par Les Voisins de mes voisins sont mes voisins, particulièrement corrosif sur le monde qui nous entoure, à plus d’un virage du récit. Dès l’entame, la caravane de Popolo trône dans un terrain vague sale et repoussant, alors même qu’une affiche politique y figure, comme si Anne-Laure Daffis et Léo Marchand s’essayaient discrètement à la saillie sociétale, toutefois très subtile. Un geste répété lorsque les réalisateurs installent le “Paule-Emploi”, lieu où la recherche de travail devient absurde face aux réponses d’une administration déconnectée. L’ultime coup de semonce vient au moment de mener la fronde contre la société de consommation, à travers le “Mega U”, supermarché où se rencontrent la plupart des protagonistes. Aseptisé, froid, inhumain, ce lieu indispensable à la société moderne n’en paraît pas moins marketé de fond en comble. Ce n’est assurément pas un hasard si Les Voisins de mes voisins sont mes voisins en offre une représentation en 3D lisse, alors que le long métrage ne manque jamais d’aspérités.

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins assemble efficacement l’ingéniosité de sa mise en image, l’humour de son écriture, et la pertinence de son fond, dans un long métrage assurément unique et marquant.

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est disponible chez Jour2fête, dans une édition DVD regroupant:

  • Le film
  • Les deux courts métrages “La Saint-festin” et “La vie sans truc”
  • Une intervention de Léo Marchand à la cinémathèque de Paris
  • Un livret de 36 pages

Nicolas Marquis

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