Dans un jardin qu’on dirait éternel

(Nichinichi kore kôjitsu)

2020

réalisé par: Tatsushi Ohmori

avec: Haru KurokiMikako TabeKirin Kiki

Transportons-nous au Japon, dans une demeure traditionnelle. Dehors tout est calme, seul le bruit apaisant d’une fontaine se fait entendre. Dans ce jardin, la végétation est luxuriante mais aussi organisée, rassemblée avec goût. À l’intérieur de la bâtisse, une vieille femme s’affaire sur le sol jonché de tatamis. Elle prépare le thé selon les méthodes ancestrales, chaque geste réfléchi et appliqué. Sur le mur, un parchemin finement calligraphié impose une maxime simple: “Chaque jour est un beau jour”. Cette philosophie alliée à l’ambiance relaxante qui règne vous transporte. Alors que la femme vous tend une tasse de thé, la premiere gorgée finit de vous faire voyager.

Ce feeling plein de douceur est celui du film qui nous intéresse aujourd’hui: “Dans un jardin qu’on dirait éternel”. L’histoire de Noriko (Haru Kuroki), une jeune étudiante qui sur recommandation de ses parents va prendre des cours de préparation traditionnel du thé auprès de madame Takeda (Kirin Kiki). D’abord circonspecte, elle va progressivement se prendre de passion pour cette activité et percevoir le monde qui l’entoure différemment, avec plus de recul mais aussi des émotions sincères.

L’oeuvre sur laquelle on s’attarde est empreinte d’une réflexion poussée sur le temps qui passe. Récit au long court qui s’étend sur plusieurs décennies, “Dans un jardin qu’on dirait éternel” propose une perspective nouvelle et plus posée sur le chemin de vie de chacun. Une façon de concevoir les choses habitée par la philosophie japonaise et qui réfléchit sur ce qui reste, ce qui s’attarde et ce qui nous suit toute notre vie. Alors que Noriko s’applique à reproduire les gestes de madame Takeda, elle adopte aussi sa façon d’être, plus calme. Tout un dogme que le film suggère avec beaucoup de douceur mais aussi de pertinence.

Alors que le film nous suggère la tradition japonaise comme refuge aux tumultes de la vie moderne, il ne s’y oppose pas pour autant. Dans la nouvelle personalité que se forge Noriko, elle n’abandonne pas sa vie de femme mais utilise plutôt ces leçons comme une bequille qui l’aide à faire face à son quotidien. Son apprentissage est l’occasion pour elle d’assimiler que parfois,  les choses prennent du temps à faire sens. Les cours de thé sont évidemment le principal exemple, mais le film va également faire plusieurs fois référence au long-métrage “La Strada” de Fellini que Noriko a découvert jeune sans le comprendre et qu’elle n’a assimilé que plus tard. Là encore, la course du temps est approchée de manière différente.

« Détente »

« Dans un jardin qu’on dirait éternel” est aussi l’occasion de réfléchir avec calme le rapport entre un maître et son élève. Madame Takeda guide Noriko dans sa façon très codifiée de servir le thé mais également de manière beaucoup plus subtile dans l’approche de sa vie. Ce rapport est particulièrement bien rendu dans le film et Noriko évolue à la fois entre respect pour son professeur et affirmation de soi.

L’oeuvre est aussi très féminine dans un sens moderne. Cette construction de la personnalité de Noriko ne l’empêche pas de refuser de se soumettre au moule que voudrait lui imposer la société: elle se forge un caractère différent au rythme des cours et n’hésite pas à se battre de manière féministe et légitime contre les embûches de sa vie affective et professionnelle.

Assez étonnant d’ailleurs puisque le réalisateur Tatsushi Ohmori est bel et bien un homme. Il réussit à capturer grâce à sa caméra les dilemmes des femmes sans jamais être condescendant. Son film n’en reste pas moins une balade parfois un peu vaine, où le but final est régulièrement difficile à distinguer et exclut les spectateurs les moins calmes et patients. Un cinéma d’ambiance plus qu’un véritable récit.

Mais impossible de renier le talent du cinéaste. Son sens des lignes et des couleurs douces plein de calme et de volupté saute au yeux: “Dans un jardin qu’on dirait éternel” est visuellement à tomber, dans une économie de mouvements de caméra inutiles. 

Pour entretenir ces moments suspendus, le montage se fait lui aussi zen et doux. Les cuts répondent toujours à un besoin de montrer les choses, sans accélération inappropriée. Une approche du cinéma aussi présente dans les sons du films: la nature, le bruit du thé que l’on verse, le timbre des voix, la musique… La vue et l’audition sont flattées par un sens du goût poussé et toujours pertinent.

Dans un jardin qu’on dirait éternel” est une balade calme dans un Japon traditionnel mais qui nourrit la modernité. Il faut accepter de s’y perdre et se laisser porter pour savourer un film plein de douceur.

Nicolas Marquis

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